Le Canada ont prévu d’acheter soixante-cinq Lockheed Martin F-35, alias Joint Strike Fighter, pour un montant de 9 milliards de dollars. C’est un engagement proportionnellement trčs important pour un pays qui consacre 1,5% de son PIB ŕ la Défense. L’affaire semblait entendue jusqu’au moment oů le F-35 a commencé ŕ prendre beaucoup de retard et, surtout, ŕ dépasser les enveloppes budgétaires initiales dans des proportions inquiétantes.
De source américaine, il apparaît que le surcoűt atteindra 21 milliards de dollars par rapport aux estimations établies en 2001. Encore s’agit-il de s’entendre sur les chiffres. L’USAF, ŕ elle seule, a prévu d’acheter 1.763 exemplaires, la Navy, le Marine Corps ne seront pas en reste, trois versions sont prévues dont le F-35B ŕ décollage vertical. Pour faire simple, les Etats-Unis sont fermement décidés ŕ renouveler l’exploit industriel et commercial du justement célčbre F-16, mais cela en faisant appel ŕ une méthode tout autre : les clients étrangers sont associés d’entrée au programme aprčs avoir passé commande sur catalogue.
Dans ses conditions, les partenaires, dont le Canada, ont les yeux rivés sur les conséquences possibles d’une dérive importante de l’opération. Et cela en sachant que la marge de manœuvre trčs étroite du Pentagone exclut toute mansuétude vis-ŕ-vis des pays qui ont choisi de rejoindre trčs tôt cette opération hors du commun. En effet, les Etats-Unis ne peuvent légalement pas vendre le F-35 ŕ l’étranger ŕ un prix qui serait inférieur ŕ celui payé par leurs propres Forces. En clair, tout le monde paiera.
C’est ŕ Ottawa que la nervosité s’exprime de la maničre la plus évidente et alimente ces jours-ci un débat politique trčs tendu. En toile de fond, le budget de la Défense le plus important depuis plus d’un demi-sičcle justifié en partie par la participation du Canada ŕ la guerre en Afghanistan. Stephen Harper, Premier ministre, déploie des efforts méritoires pour calmer le jeu mais il lui est reproché un manque de transparence budgétaire sur les dérives attendues du F-35. Une situation que risquent de connaître bientôt les autres partenaires alors que rien n’est figé.
Un rapport parlementaire canadien a mis sur la place publique le coűt unitaire du chasseur américain, y compris l’examen détaillé de la courbe d’apprentissage industrielle. Il en résulte que le prix unitaire moyen de l’appareil devrait ętre de 148,5 millions de dollars américains, niveau qui devrait ętre atteint au moment de la sortie d’usine du 800e exemplaire. En revanche, quand commenceront les livraisons, le coűt unitaire atteindrait 247,8 millions.
L’industrie aéronautique canadienne, forte d’un peu plus de 80.000 personnes, inévitablement trčs proche, voire indissociable de sa grande sœur américaine, surveille elle aussi l’évolution de ce dossier délicat. Elle a en effet obtenu des compensations économiques correspondant ŕ 3,5% de la charge industrielle totale du programme F-35, calculée sur la production de 4.000 avions. D’oů son intéręt pour cet engagement qui présente l’intéręt de s’inscrire dans la durée, gage de stabilité. Claude Lajeunesse, délégué général de l’association des industriels canadiens de l’aéronautique et de l’espace, ne manque pas de le souligner ŕ chaque fois que l’occasion lui en est donnée. C’est une forme de prévention, la commande de F-35 risquant d’ętre remise en cause en cas de retournement politique. Une hypothčse qui n’a rien de fantaisiste.
Le ministre de la Défense, Peter MacKay, joue lui aussi la carte des retombées économiques qu’il estime ŕ un milliard de dollars. Sans parler du problčme opérationnel qui serait posé par un retour ŕ la case départ, la succession des CF-18 vieillissants n’étant alors plus assurée.
Le ton va certainement monter au fil des semaines, la controverse étant visiblement appelée ŕ prendre de l’ampleur. Les Canadiens vont ainsi, bien involontairement, jouer les précurseurs, les autres partenaires du F-35 ne pouvant éviter de se poser les męmes questions. Déjŕ, les premiers signes de mauvaise humeur sont apparus en Australie et d’autres vont suivre, notamment au Royaume-Uni oů des coupes sombres dans les dépenses militaires ont été annoncées récemment.
On imagine la suite, c’est-ŕ-dire des négociations sans fin, des promesses intenables, l’énoncé d’objectifs irréalistes pour assurer la survie d’un programme qui, de toute maničre, peut d’ores et déjŕ ętre considéré comme insubmersible. Le F-35 vivra, quoi qu’il arrive, dans le cadre d’un oligopole industriel plus puissant que jamais. On allait oublier de le rappeler : une fois de plus, les Européens ne sont que simples spectateurs.
Pierre Sparaco - AeroMorning