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Une vie, celle de Simone Veil

Par Argoul

Simone Jacob était issue d’une double famille juive, laïque et républicaine, établie en France depuis le 17ème siècle en Lorraine d’un côté et depuis le 19ème siècle à Paris. Elle était d’une famille heureuse et studieuse, aux nombreux enfants. Son père lui disait : « Les Juifs et les aristocrates sont les seuls qui savent lire depuis des siècles, et il n’y a que cela qui compte. » p.18 Elle définit le « profil social et culturel » de sa famille : « des Juifs non religieux, profondément cultivés, amoureux de la France, redevables envers elle de leur intégration. » p.120simone-veil-une-vie.1201683622.jpg

Simone passe son enfance à Nice, jusqu’à son arrestation par la Gestapo et son envoi au camp d’Auschwitz-Birkenau à 16 ans et demi. Elle sera sauvée par une kapo juive, ancienne prostituée qui la trouve « trop jolie pour mourir » p.76. Elle l’affectera aux cuisines, avant la  libération par l’armée anglaise avec ses deux soeurs. Sa mère y laissera la vie, atteinte du typhus. De son père et de son frère, elle ne saura rien, sinon qu’ils ont été envoyés en Lettonie et qu’ils y ont disparus. Le chapitre sur le camp, s’il est le plus poignant, est écrit avec retenue. Simone y montre déjà un regard aigu sur les autres, perçant à jour les comportements humains. Non, personne ne savait ce qui les attendait. Non, les Allemands n’étaient pas tous des tortionnaires fanatiques : « la folie de la pureté les hantait » p.67. Non, reprocher aux Alliés de ne pas avoir bombardé les camps est inepte : « J’ai eu, parfois, le sentiment que certains maîtres à penser s’intéressaient plus à montrer du doigt l’abstention ‘coupable’ de Roosevelt et de Churchill qu’à dénoncer les horreurs concentrationnaires des nazis » p.94. Peut-être parce que Staline en faisait autant de son côté (pour la ‘bonne cause’) ? La solidarité communiste des camps : « Cette solidarité a certes existé, mais essentiellement entre communistes, et encore avec des nuances (…) il importait d’abord de sauver les cadres. » p.97 Quand on est devenue « Sarah-78651 », viande tatouée destinée à servir jusqu’à élimination, on n’a que faire des grands mots et autres promesses de l’aube.

De retour en France, certains s’étonnent qu’elle ait pu en réchapper, « sous-entendant même que nous avions dû commettre bien des turpitudes » p.108. Envie, ressentiment, xénophobie sont le fond français indécrottable ; certains le disent ‘pétainiste’, c’est probablement plus grave. Ceci posé, Simone trouve « Le Chagrin et la Pitié », film encensé dans les années 1970 par la gauche, excessif dans l’autoflagellation et l’accusation polémique de presque tous. Elle s’opposera à l’achat de ses droits pour l’ORTF, le jugeant trop partial. « Une réalité indéniable : nombreux étaient les Français qui avaient caché des Juifs, ou n’avaient rien dit lorsqu’ils savaient qui en protégeait. Or, le film n’en disait mot. » p.328 Elle-même a été accueillie par les Villeroy, des aristocrates niçois, durant les quelques semaines où elle se cachait. Après la Libération, la communauté juive n’a pas fait mieux : elle « s’était peu impliquée, au moins directement, dans l’aide morale et matérielle que les familles, souvent étrangères, amputées par la Shoah pouvaient espérer. » p.118

Simone Jacob a été reçue au bac juste avant sa déportation. En 1946, elle peut donc s’inscrire en droit et à Science Po. Elle y fait la connaissance d’Antoine Veil, qui deviendra son mari et avec lequel elle aura trois garçons. De quoi reconstituer une famille heureuse. Antoine réussit à l’ENA, Simone devient magistrat, malgré la résistance familiale et le machisme d’époque qui la verrait plutôt torcher et cuisiner à la maison. Elle est chargée de l’inspection de l’Administration pénitentiaire de 1957 à 1964. Puis Jean Foyer l’affecte à la Direction des Affaires civiles, où elle prépare durant 5 ans les projets de lois sous la direction de Jean Carbonnier. Elle traverse Mai 68 avec le sentiment de voir remettre en cause de façon juste « une société figée » : « Mai 68 fut très largement la contestation des patrons d’universités, des pontes de la médecine, des ministres, des chefs d’entreprise, de tous les mandarins qui croyaient détenir leurs pouvoirs d’une sorte de droit divin. » p.153 Croyez-vous qu’en 2008 les choses aient réellement changé ? Simone est lucide : « Le conservatisme de gauche succéda à celui de droite, et rien ne changea véritablement. » p.155

Simone Veil devient conseiller technique du ministre de la Justice René Pleven sous Pompidou, puis secrétaire du Conseil Supérieur de la Magistrature et administrateur de l’ORTF. Giscard l’appelle comme ministre de la Santé où sa grande œuvre est la loi sur l’interruption volontaire de grossesse en novembre 1974. La misère sociale était grande et les mentalités mûres. Elle porte, à la demande du Président, la liste UDF aux élections européennes de 1979 et est élue Présidente du Parlement européen. Elle y découvre la légèreté française sur les dossiers, l’esprit buté de la bureaucratie sur les trois lieux de réunion (Bruxelles, Strasbourg, Luxembourg), la division gauloise des partis proches… A nouveau ministre de la Santé sous Balladur durant la cohabitation, en prise avec « le Trou », celui de la Sécurité sociale, creusé tant par les abus (de médicaments, d’arrêts maladie, de diagnostics techniques, de rétention à l’hôpital, de carte hospitalière…) que par l’allongement de la durée de la vie et le vieillissement de la population. Pas de solution miracle, mais l’examen humble de comment les autres réussissent sur le sujet et le débat de société nécessaire au financement : « En soi, l’impôt est économiquement indispensable et socialement moral. » p.275

Sous Chirac, elle préside le Haut Conseil à l’Intégration, puis est nommée au Conseil Constitutionnel, « contre-pouvoir réel » p.295, depuis que Giscard a permis que 60 députés ou sénateurs puissent le saisir. Elle achève son mandat en mars 2007, délivrée désormais de tout devoir de réserve. Ses mémoires se lisent facilement ; elles sont le fait d’une grande dame à qui « on ne la fait pas » parce que les épreuves traversées lui donnent le recul nécessaire à juger des choses et des hommes. Le lecteur tranchera en lisant demain les citations de la note suivante. Elles sont pour moi une jubilation de lecture. Pour cette femme élevée dans l’esprit des Lumières, ayant traversé le pire de ce que le 20ème siècle a pu produire, les libertés, la modération et l’humanisme sont des raisons de vivre. Elle se trouve donc libérale, ne croyant pas aux injonctions d’Etat ni aux Vérités révélées. Elle aime Pompidou plus que de Gaulle, Chaban-Delmas plus que Giscard, Rocard plus que Mitterrand et Sarkozy plus que Chirac. « Au fond, tout au long de ma vie, j’ai eu la chance de pouvoir m’investir à ouvrir des brèches dans le conformisme ambiant. » p.261 Et c’est cette lumière qui nous éclaire.

Simone Veil, Une vie, Stock novembre 2007, 398 pages


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