En 1975, si je me souviens bien, je traînais au lycée et j’assistais aux réunions du comité antinucléaire local. Ce qui me frappe encore aujourd’hui, c’est la précision et la qualité des informations techniques qui nous étaient communiquées lors de ces rencontres et de ces débats. Informations pessimistes dont la justesse s’est révélée non seulement avec la réalisation des scénarios catastrophes que nous avons connus en 1986 (Tchernobyl) et aujourd’hui (Fukushima) mais encore dès 1979 (Three Mile Island). Je ne parle ici que des accidents civils les plus médiatisés. Pour les autres, civils et militaires, il suffit de consulter les listes impressionnantes, faciles à trouver sur internet.
Après plusieurs séances, j’ai fini par déserter le comité antinucléaire, à partir du moment où celui-ci a commencé à être investi par des excités membres de divers groupuscules, des types connus pour peaufiner des listes noires avec personnes à abattre en priorité au moment du Grand Soir, des types qui nous encourageaient à profiter du service militaire pour y apprendre à manier des armes que nous pourrions retourner le moment venu contre ceux qui nous les avaient confiées. Bien que ce discours n’ait pas du tout séduit les candidats à la réforme que nous étions pratiquement tous, il eut surtout pour effet de mettre par terre tous les efforts des militants du comité antinucléaire.
Par la suite, la lutte antinucléaire connut divers aléas que je suivis de loin en lisant la presse. Il n’était pas difficile de comprendre que les choix nucléaires étaient faits depuis longtemps et qu’on pouvait toujours en débattre si cela nous amusait. Ces expériences peu propices à l’aspiration à un éventuel engagement politique (elles furent pour moi à l’origine d’une longue période d’abstentionnisme) me conduisirent à me concentrer sur un but plus accessible et plus personnel, à savoir mon refus du service militaire. Une fois ma réforme obtenue, j’entrai dans ce qu’on appelle bêtement la vie active et continuai d’autant plus à me désintéresser de la politique que j’étais aux premières loges, dans mon métier de journaliste localier, pour en voir les lamentables acteurs à l’œuvre.
Le plus drôle est qu’au cours de mes années de presse écrite, j’ai été approché par des élus de gauche comme de droite qui me faisaient comprendre que je pouvais être accueilli dans leurs rangs. Mais j’étais bien trop accaparé par le démon littéraire pour vendre mon âme à ces pauvres diables de politicards. De plus, j’avais encore cette histoire de comité antinucléaire en travers de la gorge. Et puis, de toute façon, je ne suis pas politiquement fiable (on me croit à droite quand je parle sécurité et répression et à gauche quand je réclame du social, toujours plus de social, et on ne sait plus où me ranger quand j’affirme que la plupart des industriels sont nos ennemis).
Aujourd’hui, il m’arrive parfois de voter, toujours contre quelqu’un, jamais pour. La comptabilisation du vote blanc me serait bien utile. Mais de toute façon, pendant ce temps, le nucléaire continue. Bientôt les EPR ! Les enseignes commerciales et les bureaux vides pourront continuer de briller la nuit. Que demande le peuple ?
Oui, que demande le peuple ? Rien peut-être. Où alors du courant à tout prix pour pouvoir oublier les ténèbres, s'étourdir comme les papillons de nuit autour des lampadaires. Le plus désolant aujourd'hui est que nous ne pouvons même plus être antinucléaire puisque les centrales sont là et qu'il faudra faire avec, même si par extraordinaire, elles devaient toutes fermer. Même à l'arrêt, le nucléaire est là et sera désormais toujours là. Quant au nucléaire militaire, il faut hélas bien reconnaître que l'effroi qu'il inspire nous a garanti jusqu'à maintenant, au moins en ce qui concerne les grandes puissances, une paix relative depuis la fin de la seconde guerre mondiale. L'équilibre de la terreur pour toute consolation...
Allons, finissons sur une note d'espoir. Stéphane Hessel vient de publier Engagez-vous ! Voilà qui nous donne décidément du baume au cœur !