Explorations dans les mystères de la constitution
intellectuelle d'une "pétasse"
Qu’on me permette de détourner ici un mot vulgaire, « pétasse » en l’occurrence, pour lui donner une acception particulière qui me sera utile dans la réflexion que je voudrais entreprendre. Pour dissiper tout malentendu, je précise d’emblée que je n’ai aucune aversion envers les êtres humains qui utilisent leur corps à des fins de plaisir, quelque soit leur sexe ou leur méthode, pourvu qu’ils le fassent entre adultes consentants et sans nuire à autrui.
Ce dont j’aimerais vous entretenir, c’est des impondérables de la conversation ordinaire. Beaucoup trop de choses sont en jeu quand deux (ou plusieurs) personnes se rencontrent pour la première fois et « se sondent ». Ces enjeux sont exprimés au moyen d’une formule cliché par les lectrices et les lecteurs de la « psychologie populaire » : « 90 % de la communication est non verbale », disent-ils.
Voyons donc de quoi est constitué ce « non verbal » dans les situations qu’il m’a été donné d’observer. Le contexte purement anecdotique qui a suscité ces pensées en moi était formé par un groupe auquel j’appartiens et qui se rencontre régulièrement. Lors de notre dernière réunion, deux nouveaux membres sont venues nous rejoindre, une Mexicaine et son amie française. Comme dans toute interaction, les affinités et les discussions sont allées bon train. Un membre du groupe, pour lequel j’ai de la sympathie, nourrissait un penchant, je crois, envers la Mexicaine. Je pense même avoir surpris plus d’une fois ses yeux rouler dans la direction de la jeune « Latinos », comme on dit ici (même si je n’aime pas ce terme). Pour aller vite, disons que la jeune fille ne lui a accordé aucune attention et qu’il doit sûrement être rentré déçu (je suis rentré avant lui, mais je suis presque certain de l’issue de cette cour). Pendant qu’il discutait avec elle, j’essayais de reconstituer, en me fondant sur les détails de l’échange linguistique et surtout non linguistique, les catégories mises en œuvre par la Mexicaine pour se former un jugement ou une image de cet ami qui, par ailleurs, selon moi, ne manque pas de qualités. Voilà donc le contexte utile pour l’intelligibilité de ce qui va suivre, mais non nécessaire à sa compréhension.
Il me plait d’utiliser le terme « pétasse » (et j'assume la charge négative de ce vocable) pour désigner non pas un individu qui fait un « mauvais » usage de son corps, mais celui dont l’esprit, malgré des études universitaires, est pollué par des valeurs honteuses et scandaleuses, des valeurs contre lesquelles l’histoire humaine de ces dernières décennies s’est intégralement construite. Pour donner un exemple de ces valeurs exécrables, je cite comme simple exemple la croyance en l’existence biologique de races humaines.
Bref, revenons à notre sujet et parlons des impondérables de la conversation. L’un des piliers sur lesquels repose le jugement d’une « pétasse » est la « posture » que tient un homme devant elle. Un homme droit comme un « i », un homme qui arrive à corriger les courbes du corps par un vêtement qui met des angles là où il n’y en avait pas, un homme qui hausse son corps, lève la tête et fait franchement face est d’emblée susceptible de lui plaire. Ce culte de la verticalité, la « pétasse » le généralise sur tout le corps masculin. Une « barbe bien taillée » ou un rasage parfait coïncide pour elle avec un rasage en ligne droite, avec des angles et des formes rectilignes. Un homme de petite taille ne peut bien évidemment pas incarner cet idéal. Est droit ce qui est long et non courbé. Mais l’exact contraire de cette esthétique est formé par une posture mollasse, par exemple un homme affalé sur son siège, à la tête baissée, aux épaules tombantes, ou un homme dont l’habit laisse entrevoir des manquements sacrilèges à la ligne continue. C’est toute l’apparence de l’homme, ou plutôt sa signification, qui passe sous le projecteur de cette manie inconsciente de la rectitude.
Le deuxième critère concerne l’occupation de l’espace. La « pétasse » trouve parfaitement ordinaire de se ramasser dans un cercle restreint, comme elle se ramasse dans sa jupe, parfois en croisant les jambes et en limitant ses gestes à une distance qui ne porte pas très loin devant elle. Mais c’est là un « privilège » qu’elle n’accorde pas à l’homme assis en face d’elle. Dans les yeux de la « pétasse », un homme doit se comporter conformément à sa « nature ». En vrai mâle, il est censé se lancer dans « la conquête de l’espace ». Un homme véritable, c'est-à-dire non efféminé, croit-elle, transgresse par définition ses frontières pour empiéter sur l’espace de l’autre, de manière magistralement naturelle. Seul un tel homme est capable de répondre à des « besoins » abyssaux, remontés du fond de l’enfance, fantasme de sécurité, envie de se mettre sous la protection de celui qui montre clairement qu’il est capable d’agression...et de sexe.
Bien malheureux est celui qui pense attirer son attention en se comportant en homme éduqué, respectueux des autres et de leur espace intime, soucieux de contrôler ses gestes et « l’envergure » de ses jambes qu’il croise de temps à autre. Cet homme ramassé sur lui-même, incapable de « conquête spatiale » et d’empiètements intimes est un homme jugé faible et méprisable. La « pétasse » a la certitude intuitive qu’un tel individu ne haussera pas le ton, ne fera pas de gestes sûrs et étendus, ne sera actif ni socialement, ni sexuellement. Il ne promet rien en termes de rayonnement social et de distinction.
Naravas