THÉÂTRE DES CHAMPS ÉLYSÉES (14 mars 2011): ORLANDO FURIOSO de A.VIVALDI (Dir.mus: Jean-Christophe SPINOSI, Ms en scène: Pierre AUDI, avec Marie-Nicole LEMIEUX/Delphine GALOU &Philippe; JAROUSSKY)

Publié le 16 mars 2011 par Wanderer

Orlando Furioso, pour les gens de ma génération, ce sont deux spectacles inoubliables et radicalement différents, d’une part, en 1969, la mise en scène de l’épopée de l’Arioste, époustouflante et inoubliable de Luca Ronconi dans les pavillons de Baltard des ex-Halles de Paris avant leur destruction , et dans les années 1980 (à la fin des années 70 en réalité)  la mise en scène de Pier Luigi Pizzi de l’opéra de Vivaldi reprise de nombreuses fois avec Marilyn Horne comme Orlando, au milieu des colonnes blanches.

Quel souvenir! la Horne sur son cheval, avec son casque à plume et sa cape rouge! Et quel souvenir musical!

Et pourtant, le spectacle du théâtre des Champs Elysées a déjà lui aussi une longue histoire, née de l’enregistrement de 2004, paru en 2006 chez Naïve avec bien des chanteurs de la distribution de ce soir et bien entendu Jean-Christophe Spinosi et son orchestre, l’Ensemble Matheus. Ainsi donc l’entreprise entamée il y a plusieurs années, accompagnant un travail d’édition qui a enfin rendu justice à la musique de Vivaldi, arrive sur la scène. Ce soir pourtant petit accident de parcours: Marie-Nicole Lemieux, la chanteuse québécoise que tout le monde attendait, est tombée malade, et elle a été remplacée (dans la fosse) par la jeune Delphine Galou, pendant qu’elle mimait le rôle sur scène. Mais au final, triomphe pour l’ensemble du spectacle. Le public parisien, et notamment celui des Champs Elysées, formé par Dominique Meyer, est avide d’opéra baroque.
On glose souvent sur le côté un peu convenu et monotone de ce type d’oeuvre, composé d’une succession d’airs de bravoure, sollicitant agilité, colorature, maîtrise technique étourdissante, visant (exclusivement, disent les adversaires de ce répertoire) à mettre les voix en valeur, sans vraiment accorder d’importance à ce qui est dit ou fait sur scène. Il y a quelquefois effectivement des longueurs, même si le propos de la mise en scène est de prouver que le livret est beaucoup plus profond qu’il n’y paraît.
Il faut rendre d’abord justice à Jean-Christophe Spinosi et à son ensemble Matheus: c’est pour moi le très grand triomphateur de la soirée, rendant cette musique dès le départ étourdissante de virtuosité, et tour à tour émouvante, dynamique,en faisant ressortir tout le modernisme, en montrant combien elle crée l’adhésion à ce qui se passe sur scène. Il y a des moments suspendus qui sont une pure merveille. Le deuxième acte dans son ensemble m’est apparu peut-être le plus réussi par sa variété,  son aspect mélancolique aussi. Spinosi rend cette musique éminemment vivante, pleine de sève, pleine de surprises, en mettant en relief certaines parties instrumentales qui rendent l’ensemble à la fois vivace, contrasté, toujours passionnant.
Du côté des voix, il a réuni peu ou prou la distribution de son disque, au moins pour les principaux rôles. Marie-Nicole Lemieux sur scène, a montré son engagement et son immersion totale dans le rôle d’Orlando, et la jeune Delphine Galou, accourue de Zürich, dans la fosse, malgré une voix moins large et moins puissante que celle de Marie-Nicole Lemieux, s’en est tirée avec tous les honneurs, démontrant à la fois capacités techniques, contrôle de l’agilité, respiration, mais aussi sensibilité et interprétation (notamment dans le redoutable 3ème acte).
Jennifer Larmore au départ n’a pas vraiment convaincu en Alcina, elle m’a même surpris: agilités problématiques, suraigus criés et acides: peu à peu cependant, grâce à un engagement scénique peu commun , et une maîtrise technique en lien de plus en plus intime avec l’interprétation, cette magnifique artiste (d’une grande beauté sur scène) a rendu le personnage bouleversant. De Jaroussky en Ruggiero rien à dire, car il a tout, beauté du timbre, technique impeccable, agilités étourdissantes, mais aussi maîtrise extraordinaire des moments plus recueillis: une prestation en tous points splendide.
Veronica Cangemi en Angelica me paraît avoir un peu dépassé l’âge du rôle, et cela se sent aussi dans la voix, rèche notamment à l’aigu, et pas toujours très à l’aise dans les agilités. Je suis un peu déçu car j’aime beaucoup cette chanteuse. Bonnes surprises pour l’Astolfo de Christian Senn, seule voix vraiment mâle de la soirée (c’est un baryton) qui sait rendre émouvant le texte par la simple vertu d’une diction impeccable et la Bradamante de Kristina Hammarström, intense, à la voix bien posée, très en place. Mais je garde le meilleur pour la fin: la jeune mezzo italienne Romina Basso a fait de Medoro un personnage magnifique: la voix a un timbre sombre, la chanteuse une technique redoutable dans les agilités, une rare maîtrise des inflexions grâce à une respiration exemplaire. C’est pour moi à la fois une vraie découverte, et l’assurance d’une suite de carrière sans doute riche, tant la prestation est impressionnante.
Au total, un travail musical de très haute qualité sans atteindre vraiment l’exceptionnel sur le plateau: il est vrai que l’oeuvre exige un niveau tout à fait extraordinaire de chacun des protagonistes, et il n’y a pas vraiment de petits rôles.

Pierre Audi est un metteur en scène qui produit toujours un travail très propre à défaut d’être toujours inspiré: beaucoup d’attention à l’esthétique, aux lumières et une réflexion dramaturgique souvent juste qu’on ne lit cependant pas toujours bien sur la scène. Ici, le parti pris est clair: cet Orlando est une oeuvre vénitienne, le décor (à dominante noire, tout comme les costumes) reproduit un riche salon vénitien (reconnaissable au lustre de Murano), les personnages portent des masques, c’est en quelque sorte un opéra de salon joué par des personnages à la Goldoni. Goldoni est d’ailleurs une grande référence de l’ensemble de ce travail, et je soupçonne aussi des claires références à l’univers de Giorgio Strehler (jeux d’ombres et lumières, mouvement virevoltants des costumes), qui connaissait son monde en matière goldonienne. Ainsi, Pierre Audi essaie de souligner ce jeu des apparences et des faux semblants, des sentiments vrais qu’on cache, de l’amour dont on joue, dont on se joue mais dont on souffre aussi, comme si Goldoni était mâtiné de Crébillon fils. Au jeu des égarements du corps et de l’esprit, Orlando perd son âme. Mais Audi a des difficultés au troisième acte à rendre le personnage intéressant: mouvements répétitifs, sans inventivité dans la dramaturgie, et au total peut-être , le sentiment que c’est un peu long, même si l’éclatement du groupe, la dispersion des personnages tout à eux-mêmes, laissant seuls une Alcina qui s’écroule, morte, et un Orlando qui clôt l’opéra par une danse hystérique bien proche d’un final d’Elektra de Strauss, reste une belle idée.

Incontestablement un beau spectacle, qui permet d’entendre une musique magnifique, qui semble presque neuve, mais qui ne procure pourtant pas l’extase qu’on attendrait des acrobaties musicales et d’une mise en scène aussi soignée. Une petite déception donc, au milieu de bien des motifs de satisfaction cependant.