Lettres de femmes au XIXe siècle

Par Anne Onyme

Renée Blanchet & Georges Aubin
Septentrion
288 pages

Résumé:

Écrire une lettre au XIXe siècle est un rituel quotidien. L'écritoire est là, avec plume à aiguiser et encrier. Écrire est le seul moyen de communication qui peut alors franchir les distances. Pendant des années, Renée Blanchet et Georges Aubin ont accumulé plus de 500 lettres manuscrites, produites par des femmes issues des grandes familles, mais aussi en majorité par des femmes ayant pris racine dans les milieux modestes, femmes de marchands, de notaires, d'agriculteurs, de voyageurs, ainsi que de toutes jeunes filles, à peine sorties du couvent, qui ont voulu conserver entre elles des liens d'amitié. Relisez ces femmes qui ont aimé et vécu au Bas-Canada au XIXe siècle, vous trouverez en elles des traits frappants de ressemblance avec votre quotidien.

Mon commentaire:

Les deux auteurs de Lettres de femmes au XIXe siècle nous offre 150 lettres de femmes, choisies parmi les 500 qu'ils ont accumulé. Ces femmes de tous les âges, de toutes les conditions, jeunes filles ou femmes mariées, enjouées ou soucieuses, nous présentent à travers des fragments de leur correspondance, un portrait captivant du Québec du XIXe siècle.

Ces lettres nous parlent du quotidien. Tout d'abord des événements majeurs d'une vie comme les décès, les naissances, les baptêmes et les mariages, mais elles sont parfois plus frivoles, amusantes, littéraires ou simplement informatives. Certaines plumes ont plus de style que d'autres. Les lettres des filles Marchand par exemple sont un vrai plaisir à lire. Elles sont lumineuses et pleines d'humour. Celles de leur mère sont beaucoup moins plaisantes. Les lettres sont présentées en ordre chronologique et il est intéressant de pouvoir croiser les liens entre les expéditeurs et les différents destinataires. Pour certaines lettres, le contexte historique et social est précisé. En fin de volume, on retrouve une petite notice biographique pour chaque épistolière du recueil.

Les lettres sont classées en six catégories différentes:

La famille
Ces lettres ont essentiellement pour but de prendre des nouvelles d'un parent ou de donner de ses nouvelles. Certaines missives traitent de considérations religieuses, les voeux de mariage et les enfants. Plusieurs lettres de femmes de patriotes se retrouvent dans le recueil. La santé, généralement, est au coeur des préoccupation. Les gens donnent des conseils avisés ou font l'annonce d'événements graves. On retrouve quelques lignes parlant d'un suicide dans une des lettres.

Les affaires
Ces lettres sont souvent des demandes d'achat de marchandises qu'il est difficile de se procurer à bon prix. Certaines lettres font mention de remboursement de dettes, de démarches pour obtenir des informations diverses, de préparation de funérailles ou d'héritage et de biens immobiliers ou terriens. On retrouve également une lettre de démission!

La politique
C'est dans cette section que l'on retrouve plusieurs lettres de femmes de patriotes. On y parle de la justice, de la prison, de l'ordre. Certaines lettres sont tragiques et font état de pendaison. D'autres offres simplement des réflexions politiques. Une lettre est en quelque sorte une plainte pour abus des forces policières.

L'amour et l'amitié
Amitiés d'école, de couventines, confidences d'amies, lettres d'amour cette section est la plus romanesque du volume. Si certaines femmes sont quelque peu coquettes, d'autres se languissent de leur amoureux ou parlent de mariage. Certains esprits sont parfois enfiévrés et demandent au destinataire de brûler leurs lettres ou de ne les montrer à personne!

L'éducation
Ici, c'est une correspondance surtout axés sur l'école. Échanges entre parents et enfants pensionnaires, conseils sur l'éducation, examens, mais aussi inconduites et problèmes, manquement à la messe... Ce qui était, on s'en doute, de graves péchés.

Les voyages
C'est la section la plus courte du volume. Il s'agit principalement de propos sur des voyages ou des descriptions de voyages: paysages, mode de transport.

En début de volume, les auteurs traitent des lettres trouvées de manière générale et nous offrent des tableaux comparatifs qui donnent une bonne idée de la provenance des lettres. Il est vraiment passionnant de se plonger dans ces lettres qui sont comme un voyage dans le passé. Ces femmes qui ont vécu avant nous, nous ont laissé une trace de leurs préoccupations, de leurs amitiés, leurs amours, leur famille. On apprend beaucoup de choses sur ces femmes qui ont aimé, pleuré, vécu les pires tourments ou ont eu une existence particulièrement joyeuse. On remarque tout de suite les femmes délaissées, celles qui ont été abandonnées ou au contraire, qui sont bien entourées.

J'ai pris énormément de plaisir à découvrir ces femmes d'un temps passé, à grappiller ici et là quelques unes de leurs phrases, à en relire certaines autres qui m'ont particulièrement plu. Certaines lettres sont tout à fait charmantes alors que d'autres sont profondément émouvantes. Ceux qui aiment l'histoire et surtout celle des femmes trouveront ici un ouvrage passionnant et très riche sur la vie quotidienne des femmes au XIXe siècle. Recueil qui trouve un écho dans notre vie d'aujourd'hui.

Quelques extraits:

"On a trouvé depuis ton départ sur la rivière l'Assomption, [...] une veine de cuivre mêlée de span. La chose est certaine. Cette mine est-elle riche, est-elle pauvre? Voilà ce qui pique un peu ma curiosité. Je suis trop près de l'autre vie pour m'occuper beaucoup des gains qu'on peut faire dans celle-ci." Louise-Amélie Panet, p.73

"Ici, notre chère Fanny est faible, la chaleur la fatigue beaucoup. Elle a besoin d'un changement d'air et elle va aller à Cacouna renouveler ses forces à l'air de la mer." Rosalie-Eugénie Dessaulles, p.95

"Dimanche, il faisait un temps infernal, nous ne reçûmes pas de visites. Le soir, la température étant plus clémente, MM. Resther, Saint-Louis, W. et L. Prévost, deux neveux à M. Mercier, et M. Dandurand vinrent passer la soirée avec nous. Mme Mercier me dit que je commence à conquérir ce dernier, qui est un jeune homme très bien, mais ce serait une demi-conquête parce qu'il est engagé, et c'est une conquête que je ne veux pas faire dans tous les cas, si par impossible ce jeune Don Juan oubliait les charmes de sa fiancée pour se laisser subjuguer par mes faibles attraits." Joséphine Marchand, p.107

"Vivant depuis mes malheurs dans une réclusion complète, les livres, ces délices de l'intelligence et amis de tous les âges et de toutes les positions, tristes ou gaies, me deviennent de plus en plus chers et même indispensables." Émélie Lemaire-Saint-Germain, p.209