Éloge des frontières, Gallimars, Paris, novembre 2010 (95 pages).
DEBRAY est une de mes figures de référence chez les penseurs contemporains, et je le suis depuis une trentaine d'années. J'ai été très tôt séduit par la médiologie, cette discipline à laquelle il a donné son nom, et qu'il ne faut pas confondre avec une sociologie des médias.
« La médiologie étudie les voies et moyens de l'efficacité symbolique,soit par quel biais une idée devient idéologie, organisation, modèle de conduite, source d'inspiration. »En d'autres termes, comment un prédicateur membre d'une secte dissidente du judaïsme devient Christ, comment celui-ci engendre le christianisme, puis comment le christianisme devient chrétienté. Idem pour le marxisme.
Ce sont les dialogues entre DEBRAY et les personnalités qu'il a invitées qui font l'intérêt de ce livre, transcription d'une série d'entretiens menés à l'été 2009 sur France Culture. Y sont abordés les principaux sujets qui le passionnent, de la médiologie aux faits religieux -- le dialogue avec Élisabeth BADINTER sur la laïcité vaut qu'on s'y arrête --, de la révolution, et des formes qu'elle prend aujourd'hui, à la mondialisation, le lecteur pouvant ensuite approfondir sa réflexion en lisant ses différents livres.
En complément de lecture, le bref Éloge des frontières, livre qui reprend le texte d'une conférence donnée en mars 2010 à Tokyo. Il y critique le très consensuel « tout sans frontière », monde « sans dehors ni dedans. » Toujours avec un style qui a du panache, et la phrase qui fait mouche. Que ce soit dans la sphère privée ou l'espace public, vive les limites. C'est emporté, on sourit, mais on ne peut que lui donner raison :
« L'indécence de l'époque ne provient pas d'un excès, mais d'un déficit de frontières. Il n'y a plus de limites à parce qu'il n'y a plus de limites entre. Les affaires publiques et les intérêts privés. Entre le citoyen et l'individu, le nous et le moi-je. Entre l'être et son paraître. Entre la banque et le casino. Entre l'info et la pub. Entre l'école, d'un côté, les croyances et les intérêts de l'autre. Entre l'État et les lobbies. Le vestiaire et la pelouse * . La chambre et le bureau du chef de l'État. Et ainsi de suite. »Rappelez-vous les derniers journaux que vous avez lus ces derniers jours; cette idée de déficit de frontière n'est-il pas plus que pertinent ?
* Ici, on écrirait « la patinoire ».