Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais depuis le 11 mars, je n'ai plus trop envie d'écrire sur des mangasseries ou des anime. Je suppose que je ne suis pas le seul. Et je suppose que c'est temporaire. En fait, si, j'ai envie, mais je n'ose pas trop. Scrupules, peur de passer pour un insensible, ou un indifférent? Ou, au contraire, pour un opportuniste? C'est un peu, toutes proportions gardées, comme lorsque l'on apprend le décès d'une personnalité que l'on admire : se lancer dans un "adieu, l'artiste" appuyé, c'est clairement de mauvais goût, mais ne rien dire, c'est pas mieux. Alors, avec ce qui se passe au Japon, vais-je continuer à ne rien dire, à ne rien écrire, comme si de rien n'était? Comme si c'était tabou? Ou vais-je me laisser aller à des "messages de soutien" aussi vains que maladroits, probablement sincères, mais au final, assez bidons?
Aujourd'hui, alors que les évènements sont en cours, que le drame se déroule en direct sous nos yeux, comment parler du Japon? Télévisions, radios, vidéos sur le net, blogs, le tout en provenance du pays considéré comme le plus technologiquement équipé du monde... on a des raisons de penser que nous ne manquons pas d'informations. Comparé à des pays médiatiquement "éloignés", comme le Pakistan, Haïti, ou actuellement la Lybie (où un tsunami septuagénaire massacre impunément son peuple, maintenant que les caméras du monde lui foutent la paix... bref), le Japon possède tous les instruments de communication pour témoigner de ce qui s'y passe. Et pourtant, je trouve qu'il y a quelque chose qui cloche.
Mais quoi?
Je n'arrive pas à m'y retrouver, entre le sensationnalisme de la presse française (j'ai lu "le monde à peur", à la une de je ne sais plus quel quotidien ce matin) et les infos japonaises, qui nous font le supplice de la goutte d'eau, à force de communiqués laconiques et sous-évalués. Bien entendu, tout ce qui précède et ce qui suit n'est, peut-être, que le fruit de mon imagination ou de mon mauvais esprit. Mais tout de même. N'avez-vous pas non plus cette impression d'un gigantesque flou, sinon d'un malentendu, entre, d'une part : ce qui se dit et s'écrit chez nous, et d'autre part : ce qui se dit et s'écrit, a fortiori ce qui se passe, là-bas? (je vous laisse le temps de relire la phrase qui précède autant de fois que nécessaire, j'ai eu du mal à l'écrire, ne sachant comment la tourner. désolé)
Au moment où j'écris ces lignes, le dénouement n'est pas encore connu. Mais on s'oriente quand même vers un accident nucléaire majeur. Le déroulement est clairement détaillé ici. Je suis particulèrement sensible à cet aspect de la catastrophe, plus qu'au tremblement de terre ou au tsunami. Probablement parce que ma belle-famille vit en Ukraine, le pays de Tchernobyl. Au passage, je souligne la qualité du travail de Gemini, qui a publié sur son blog un rapport sur les conséquences de l'accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl.
La succession des communiqués sur l'état des réacteurs de Fukushima a quelque chose de fascinant, dans le sens morbide du terme. On assiste à un championnat du monde de langue de bois : chaque fois que Tepco ou le Gouvernement Japonais font un communiqué, c'est dans l'intention manifeste de minimiser la gravité. Mais chaque communiqué est pire que le précédent. En même temps on les comprend : d'un côté, le Gouvernement essaie de contrôler la situation, et ne veut pas créer la panique (au risque de ne pas évacuer la population alors qu'il en est encore temps), de l'autre côté, la Tepco n'est pas à son coup d'essai en matière de désinformation. Rappelons simplement que la Seele Genom Tepco a déjà été prise en flagrant délit de falsification de rapports de sécurité, de dissimulation d'incidents, et cerise sur la gâteau : la Tepco a tellement sous-estimé la gravité de l'accident actuel, que l'AIEA a été obligée de corriger les rapports reçus, et de le remonter à 6 sur 7 sur l'échelle internationale INES.
Pendant ce temps, chez nous, on s'étripe sur l'avenir du nucléaire, avec un opportunisme politique (en pleine campagne électorale) dont on se demande ce qu'il a à voir avec le danger que courent en ce moment même les japonais.
Autre point qui me met mal-à-l'aise, c'est l'enfilement de clichés sur le peuple japonais. Ah, comme ils sont admirables, comme ils sont dignes, comme ils sont courageux et disciplinés. C'est probablement vrai, je ne le nie pas, mais l'insistance, sinon la complaisance avec laquelle c'est tartiné à longueur d'articles me laisse un sale goût dans la bouche. Parce qu'une fois de plus, ce n'est pas sans arrières-pensées. Il y a celles, habituelles, qui nous renvoient à notre supposée indiscipline, notre sale caractère, notre tempérament latin, notre versatilité, si commodes pour rappeler que débattre c'est pas bien, que l'autorité a toujours raison et que les experts savent bien mieux que nous ce qui est bien pour nous. Il est minuit, tout est calme, dormez braves gens. Et surtout, prenez exemple sur la dignité des japonais, qui, eux, n'ont pas l'indécence de se mêler de politique. Et qui ferment leur gueule dans le malheur. Fermer leur gueule, voire. A croire que les médias français ne lisent pas la presse japonaise, qui, loin de "fermer sa gueule", pose les questions qui fâchent. Quand il le faut. Mais la presse française préfère les clichés, c'est tellement plus confortable... Juste pour halluciner un moment, il s'est même trouvé un éditorialiste français (celui des Echos, oui je balance) pour se demander si cette discipline n'était pas d'origine génétique...
Et puis il y a l'autre arrière-pensée, encore plus puante, que dans le malheur, il y aurait des peuples dignes et d'autres non. Des peuples courageux, et d'autres non. Pensez, à Tchernobyl, les ukrainiens et les biélorusses, des moutons qu'un parti communiste menait sans discuter à l'abbatoir. Z'ont que ce qu'ils méritent, ces cocos. C'la pô pas arriver cheu nous. Et les haïtiens, les pakistanais, les chinois, pareil. C'est vrai que quand on est pauvre, qu'on vit dans un pays du tiers-monde, la dignité, c'est pas ça, hein. Là, on n'est plus dans la tartufferie, mais carrément dans le mépris.
En même temps, il y a quand même des connards encore plus gravissimes, je me demande si j'ai raison d'en parler... mais depuis quelques jours, il se trouve quand même des gens qui se réjouissent ouvertement du malheur qui frappe le peuple japonais. Il y a d'abord les bas du front, les abrutis absolus, qui se déchaînent sur fessebouc à coup de "bien fait", invoquant une justice divine qui frapperait les responsables de Pearl Harbour. Je vous jure que c'est vrai. Mais il y a pire : les marchés financiers. Alors là, on n'est plus dans la connerie, mais carrément dans le cynisme. Un journaliste vedette de la chaîne américaine CNBC a déclaré, je cite, et je ne commente même pas : «Le bilan humain a l'air d'être bien pire que le bilan économique, nous devons nous en estimer heureux. Le bilan humain est tragique, nous le savons, mais les marchés, tous les marchés —pétrole, actions, matières premières, or— ne connaissent pas d'effondrement ou d'éclatement». Youpi, quoi, c'est vrai, merde.
C'est ça qui est formidable avec le malheur : on lit tout et n'importe quoi, et notamment le pire de la bêtise humaine. C'est un puissant révélateur, de la langue de bois, de l'intérêt, de la rapacerie, de l'hypocrisie et des préjugés. Je ne sais pas quoi ajouter de plus. Surtout, que, hélas, nous ne sommes pas parvenus au dénouement...
Je sais bien que mes pauvres lignes ne servent à rien. A part me soulager 10 minutes, et encore, à peine. La question demeure : que faire... écrire? En ce moment, je lis Nausicaa, et ça me saute à la figure. L'article pour le concours Sama Awards, je ne vous dis même pas le retard que j'ai pris. J'ai la motivation dans les chaussettes. Je pourrais me lancer dans une exégèse de Gunnm, Akira, Evangelion et Gen d'Hiroshima, histoire de mettre en perspective ce qui arrive aujourd'hui avec la thématique de l'apocalypse dans le manga et l'anime. Il y a de la matière. Mais à quoi bon? De toutes façons, mes états d'âme, on s'en fout et c'est très bien comme ça.
J'aimerais tant retrouver l'envie d'écrire. Peut-être qu'il n'y a, à notre place privilégiée, loin du malheur, rien de mieux à faire. Qu'écrire.
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