René Daumal, né dans les Ardennes le 16 mars 1908 et mort à Paris, le 21 mai 1944 à 36 ans . "Tel homme s’éveille, le matin, dans son lit. A peine levé, il est déjà de nouveau endormi ; en se livrant à tous les automatismes , s'habiller, sortir, marcher, aller à son travail, s'agiter selon la règle quotidienne, manger, bavarder, lire un journal – car c’est en général le corps seul qui se charge de tout cela –, ce faisant il dort .
Pour s’éveiller il faudrait qu’il pensât : toute cette agitation est hors de moi. Il lui faudrait un acte de réflexion. Mais si cet acte déclenche en lui de nouveaux automatismes, ceux de la mémoire, du raisonnement , sa voix pourra continuer à prétendre qu’il réfléchit toujours; mais il s’est encore endormi. Il peut ainsi passer des journées entières sans s’éveiller un seul instant.
Songe seulement à cela au milieu d'une foule, et tu te verras environné d'un peuple de somnambules .
L'homme passe, non pas, comme on dit, un tiers de sa vie, mais presque toute sa vie à dormir de ce vrai sommeil de l'esprit. Et ce sommeil, qui est l‘inertie de la conscience a beau jeu de prendre l’homme dans ses pièges : car celui-ci, naturellement et presque irrémédiablement paresseux, voudrait bien s'éveiller certes, mais comme l'effort lui répugne, il voudrait; et, naïvement il croit la chose possible, que cet effort une fois accompli le plaçât dans un état de veille définitif ou au moins de quelque longue durée; voulant se reposer dans son éveil, il s'endort.
Et le seul acte immédiat que tu puisses accomplir, c'est t'éveiller, c’est prendre conscience de toi-même. Jette alors un regard sur ce que tu crois avoir fait depuis le commencement de cette journée , c'est peut-être la première fois que tu t'éveille vraiment; et c'est seulement en cet instant que tu as conscience de tout ce que tu as fait, comme un automate sans pensée. Pour la plupart, les hommes ne s’éveillent même jamais à ce point qu'ils se rendent compte d'avoir dormi.
Maintenant, accepte si tu veux cette existence de somnambule. Tu pourras te comporter dans la vie en oisif, en ouvrier, en paysan, en marchand, en diplomate, en artiste, en philosophe , sans t'éveiller jamais que de temps en temps, juste ce qu'il faut pour jouir ou souffrir de la façon dont tu dors ; ce serait même peut-être plus commode, sans rien changer à ton apparence, de ne pas t'éveiller du tout.....
Mais si tu as choisi d'être , tu t’es engagé sur un rude chemin, montant sans cesse et réclamant un effort de tout instant.
Tu t'éveilles; et immédiatement tu dois t'éveiller à nouveau.
Tu t'éveilles de ton éveil. Ton éveil premier apparait comme un éveil à ton éveil second.
Par cette marche réflexive , la conscience passe perpétuellement à l'acte.
Au lieu que les autres hommes, pour le plus grand nombre, ne font que s'éveiller, s'endormir, s’éveiller, s’endormir, monter un échelon de conscience pour le redescendre aussitôt, ne s’élevant jamais au-dessus de cette ligne zigzagante, tu te trouves et te retrouves là selon une trajectoire indéfinie d'éveils toujours nouveaux.
Ta réflexion sur cet éveil perpétuel vers la plus haute conscience possible constituera la science des sciences. Je l’appelle métaphysique.
Mais toute science des sciences qu’elle est, n’oublie pas qu’elle ne sera jamais que l'itinéraire tracé d'avance, et à grands traits, d’une progression réelle ; si tu l’oublies, si tu crois avoir achevé de t’éveiller parce tu as établi d’avance les conditions de ton éveil perpétuel, à ce moment de nouveau tu t’endors, tu t’endors dans la Mort spirituelle".
René Daumal: Tu t’es toujours trompé
Mercure de France (pamphlet sur les intellectuels à propos des existentialistes et de Camus). Voir aussi sur ce blog un autre extrait de René Daumal.
L'éducation des enfants et la spiritualité L'éveil et le coeur Se reposer dans l'être Qui entend ? Gaspump Question : est-ce si simple? Le murmure des murs Franck terreaux sera l’invité de radio ici et maintenant Plotin, l'éternité et le temps Travail et vision