Même sans être totalement à la pointe de l’actualité, il est difficile de ne pas noter qu’une légère tendance au n’importe quoi peut se déceler dans l’éducation telle que pratiquée en France mais aussi en Belgique. C’est un de mes lecteurs habituels qui m’a conseillé la lecture d’un article révélateur de cette délicate orientation. Et si on couple celui-ci avec la récente poussée de fièvre de certains parents du 93, le tableau brossé dans ces pastels si éthérés ne laisse aucun doute : l’école du vivre-ensemble se fait gentiment dépuceler en tournante par la réalité, la situation économique, le socialisme appliqué et plus de trente années de tartuferies bien pensantes.
Finalement, Belgique, France, même combat : là-bas comme ici, l’ascenseur social semble en panne, coincé entre le rez-de-chaussée et la cave, et le réparateur est parti s’installer dans un autre pays où il n’est pas harcelé par l’état. Là-bas comme ici, de courageux foutriquets, la tête farcie de concepts fumigènes issus tout droit des trips sous acides les plus colorés de pédagogues alternatifs, tentent chaque jour de refonder le monde, réformer l’école … et y parviennent bien malheureusement avec les résultants fulgurants qu’on connaît.
Ainsi, l’auteur du premier article nous propose, dans une prose gloussante de petits adjectifs si typiques d’une conscientisation millimétrée aux problèmes du vivre-ensemble, quatre points dont la lecture déclenche difficilement autre chose que l’hilarité suivie d’une consternation lorsqu’on se rend compte que ça va être mis en place.
Je vous épargne l’article entier, voici les quatre points en question :
1. L’école doit absolument faire évoluer tout le monde, ne laisser personne sur le proverbial bord du non moins proverbial chemin. Pour cela, il faut … des moyens. Voilà qui change violemment du discours habituel.
2. On devra supprimer le redoublement. C’est une idée en vogue en France. C’est donc une bonne idée.
3. On va introduire des petits nuages d’éducation à la citoyenneté active et responsable. Cela va donner un parfum agréable et une ambiance feng-shui aux paquets d’élèves joyeusement rassemblés dans de vagues unités d’apprentissage pas trop contraignantes. Ensuite, ils auront accès à des espaces et des temps de parole — l’espace et le temps, ces nouvelles frontières que les fiers pipoducateurs explorent boldly where no pipoducateur has gone before — s’y exprimeront et pourront être appelés progressivement à participer au fonctionnement même de leur établissement. Là encore, du neuf, de l’innovant, du révolutionnaire. L’auto-gestion par les mouflets : un succès garanti.
4. Enfin, l’école nouvelle devra être conçue sur le modèle inclusif. Ne me demandez pas trop ce que c’est, c’est probablement un concept belgotronique de pédagogo. Mais ça a l’air d’emballer grave.
Quand on lit cet article, on ne peut s’empêcher — outre s’administrer une demi-douzaine de facepalms de plus en plus vigoureux au point de terminer avec des marques rouges sur les joues — de voir que ces réflexions trempées dans des barils de moraline égalitariste socialoïde sont grosso-modo les mêmes que celles qui furent tenues (et le sont toujours), en France, réflexions qui ont présidé à différentes réformes, différents essais, dont les résultats sont à présent visibles dans l’école de la république.
Et c’est là que le second article entre en jeux.
Comme une équipe de ninja où, opérant toujours en couple, le premier chope la victime et l’empêche de bouger pendant que le second lui taille un short étroit à grands moulinets d’un sabre trop affûté pour être honnête, l’actualité ne se repose jamais et nous fournit immédiatement une autre occasion de mesurer précisément les fameux dégâts que provoquent nos joyeux drilles.
Dans l’article en question, on découvre donc que les effervescentes mesures mises en place sur les trente dernières années, ponctuées de réformes diverses, variées, et toutes dans le même sens, n’ont pas réellement produit les effets attendus ; dans le département le plus pauvre (et le plus « jeune » de France), les journées de classe se suivent et se ressemblent dans la médiocrité : les professeurs et autres maîtresses ne se bousculent pas pour donner classe et tombent très souvent malade, enceintes, en stage (ou au champ d’honneur ?), ce qui irrite légèrement les parents des élèves ballottés de remplaçants en remplaçants ou de classes en classes lorsque ces derniers manquent – eux aussi – à l’appel.
On pourrait croire à un petit pépin d’organisation. Ca arrive même dans les entreprises — que le monde nous envie — les plus huilées et les mieux rodées aux intempéries de personnel, comme par exemple la SNCF, la RATP, EDF ou GDF, et d’autres encore.
Mais non : aux dire même des parents, le problème vient d’une discrimination !
Le mot est lâché : l’école républicaine, pourtant égalitaire, citoyenne et démocratique, discriminerait les élèves du 93 ! Rargh. Mon sens du vivrensemble tousse à l’idée que ce soit possible.
Mais à lire les déclarations tonitruantes des associations de parents d’élèves (la FCPE … toujours sur la brèche, n’est-ce-pas), pas de doute : le vivrensemble, c’est sympa, mais jusqu’à un certain point. Très manifestement, les problèmes sérieux pour trouver des enseignants dans ce département ne se reproduisent pas dans d’autres, moins pauvres et moins « jeunes », avec une population qui vit moins ensemble.
Plus intéressant : devant le constat posé par les parents d’élèves (« nos enfants ne sont plus suivis, et ils n’ont pas l’éducation à laquelle ils peuvent prétendre »), la méthode d’action pour remédier au problème est … parfaitement en accord avec les frétillantes méthodes que nos pédagogos appliquent avec obstination : les parents irrités réclament, ni plus ni moins, que l’État — alpha et oméga de l’éducation en France, je vous le rappelle — s’investisse bien plus dans l’éducation, l’intégration et la promotion sociale de cette population populaire et étrangère à près de 25%.
Il n’est pas faux qu’avec la ponction douloureuse des impôts et le service minable rendu en comparaison, certains s’indignent (mais pas Stéphane H.) : « kwâ, on me jette en pâture une éducation au rabais, moi qui paye tant de cotisations, d’impôts, de taxes ? »
Mais on peut doucement se loler les tréfonds en observant que cette population (à la fois populaire et étrangère à 25%, ne l’oublions pas) choisit, devant la médiocrité de l’action de l’État — qui prétend, de son côté, faire œuvre de discrimination positive — , de calquer sa propre action en employant exactement le même vocabulaire et les mêmes procédés pour obtenir gain de cause : la voilà qui saisit … la HALDE !
Quelque part, c’est très rassurant : cette méthode montre que ces populations, bien que populaires et étrangères patati et patata, ont parfaitement assimilé les modes de fonctionnement de la presse nationale, ceux du gouvernement et ceux de l’administration. La mission d’intégration est, en somme, parfaitement réussie sur ces individus ! Réjouissons-nous : l’absolue nullité de l’administration française, sa désorganisation et la médiocrité de l’état républicain sont maintenant dénoncés aussi même par les petits et les sans-grades !
Mieux : ils prouvent, ce faisant, que les précédentes gesticulations délétères des aficionados de méthodes d’éducation alternative néo-über- »inclusives », avec du coton sans redoublement et de la vaseline sans note, test, évaluation et classement, ça marche très bien pour produire une génération entière de têtards gloutons branchés en direct sur la matrice étatique nourricière !
Non seulement, les pédagogos fous peuvent continuer à écrire leurs incroyables conneries, mais en plus, les gens qui les lisent auront été proprement préparésconscientisés pour recevoir le message et en redemanderont.
La mise en parallèle des deux articles montre que le travail de sape a fonctionné : toute la chaîne est maintenant synchrone. Les enseignants, la hiérarchie, les associations de parents d’élèves, les pédagogues innovants, les élèves et l’administration se renvoient tous la balle dans un grand nuage flou de bariolage citoyen froufroutant.
Et pendant ce temps, le niveau baisse.