De mon côté, j'ai opté pour un repêchage qui a déjà pas mal fait parlé de lui pour un premier roman. Je voudrais qu'on m'efface est en lice pour le Prix des libraires, aux côtés d'auteurs tel Louis Hamelin et sa Constellation du Lynx.
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Je crois judicieux d’aborder la genèse de ce récit, et pourquoi ne pas utiliser les mots mêmes de l’auteure : « Les premiers textes nés de cette rencontre (avec le quartier Hochelaga) ont servi de genèse à mon long-métrage Le Ring. Puis sont arrivés d’autres trames, d’autres enfances et Je voudrais qu’on m’efface a lentement pris forme, inspirés des battants du quartier. »
L’auteure a passé avec habileté de la réalisation au récit littéraire. Si je n’avais pas connu ses antécédents, j’aurais tout de même parlé d’un style cinématographique. Les images sont fortes, découpées, les actions menées en parallèle. Pas de croisements, ce qui intensifie la sensation du « seul sur mon île, seul dans mon bloc ». Les scènes tombent comme des couperets, et on entend presque « Moteur, on tourne » ou le « Coupé » à la fin de la scène. J’exagère, bien sûr. D’ailleurs peut-être ne devrais-je pas, car je n’aimerais pas laisser supposer que c’est trop. Ce n’est jamais trop quand c’est réussi, et indéniablement, ce l’est.
L’auteure possède un sens instinctif de la phrase sonnante et trébuchante et sa concision l’a fait ressortir. Comme si sa passion cinématographique, bien faire comprendre avec peu mais de puissantes images, lui avait inculqué cette discipline pour l’écrit.
Le sujet n’est pas drôle du tout et s’il avait été abordé avec mélo, aurait été carrément insupportable. C’est le portait de trois enfants qui l’ont à la dure, nés avec d’importants handicaps environnementaux. Kevin, âgé d’une dizaine d’années, n’est pas tant attendrissant qu’étonnant à gager toute sa vie sur les combats de boxe amateur de son père. On découvre un enfant à la violence latente. Ce serait le temps d’intervenir, mais le père, malgré un solide amour pour son fils, ne peut donner ce qu’il n’a pas. Il se bat pour sa propre survie et a autant besoin de son fils que son fils de lui.
Est-ce que parce que je suis une femme, j’ai été encore plus touchée par les deux jeunes filles. Mélissa est en charge de ses deux frères, le juge ayant interdit à sa mère, une femme de joie (!) de l’approcher à plus de 50 mètres. On comprend qu’une jeune d’à peine douze ans a besoin de quelques conseils ou de quelques dollars pour mener à bon port la barque du logement où elle vit seule, le chum ayant déserté, ce qu’elle cache à la Protection de la Jeunesse.
Ma préférée reste Roxane. Dès le départ, je me suis accrochée à sa petite flamme qui ne se laisse pas éteindre par des parents qui arrivent à vivre seulement s’ils sont ivres, ou gelés. Les coups pleuvent dans cette maison où pourtant vit une mère qui aime sa fille.
Trois parcours à suivre sur la pellicule des mots. Pas vraiment d’émotion de la part de l’auteure, comme l’annonceur de nouvelles qui relate horreurs ou catastrophes sur le ton de celui qui « rend compte de ». À nous de doser la matière émotive.
Je voudrais qu’on m’efface, Anaïs Barbeau-Lavalette, Hurtubise, 2010, 184 p.