La diffusion récente dans le sultanat d’Oman d’un mouvement de contestation constitue un événement radicalement nouveau au sein d’une monarchie réputée paisible, depuis une quarantaine d’années, et animée d’une vie politique sédative :
- les 26, 27, 28 février des manifestations se sont produites à Sohar, deuxième port du pays et cité industrielle à 230 kms au Nord-Ouest de Mascate; l’intervention de la police s’est soldée par le décès de un à six manifestants, variable en fonction de l’auteur du bilan (pouvoirs publics ou presse) ;
- la contestation s’est étendue, le 28, à Salalah, capitale du Dhofar et ancienne capitale du sultanat, située à 900 kms au Sud-Ouest de Mascate, puis à Mascate, devant le siège du Majlis ash-shoura (Conseil consultatif).
Dès le 18 février, quelques centaines de manifestants s’étaient déjà rassemblées à Mascate pour protester contre la hausse des prix, dénoncer la corruption de certains ministres et exiger plus de transparence sur l’utilisation des revenus pétroliers.
Les manifestants de Sohar sont en majorité des jeunes sans emploi ; les activités portuaires et les industries de la ville (aluminium) n’offrant plus assez de débouchés pour les jeunes diplômés. Le modèle de Doubaï, proche géographiquement, attise évidemment leur mécontentement.
Les revendications des manifestants : plus de démocratie et de meilleures conditions de vie constituent un écho aux révoltes en cours dans le monde arabe, à la différence que le renversement du régime ne fait pas partie de leurs réclamations.
Le Sultan Qabous bin Saïd Al Bou Saïd, dispose, en effet, toujours d’une image de marque favorable; les protestataires l’ont d’ailleurs préservée. Le 3 mars, une manifestation de soutien au chef de l’Etat était ainsi organisée dans les rues de Mascate.
Depuis sa prise de pouvoir, en 1970, suite au renversement de son père le despote Saïd bin Taïmur, le sultan Qabous a transformé le sultanat, de royaume arriéré en pays en développement grâce aux revenus pétroliers, dont les premiers datent des années 1970, investis dans le système éducatif, la santé publique, et des programmes d’infrastructure. Les trois millions de résidents étaient jusqu’ici satisfaits des progrès obtenus sous le règne de Qabous : le développement économique, l’amélioration des conditions de vie et du niveau d’éducation, le développement du tourisme, l’allongement de l’espérance de vie, la garantie de libertés individuelles et l’abolition de l’esclavage, l’égalité hommes-femmes, l’absence de risque terroriste…
Oman n’a pas toujours été le rivage paisible qu’il paraît aujourd’hui. Le sultanat a été la proie d’une insurrection massive dans les années 60 et 70 dans le Dhofar (région désertique du Sud-Ouest) conduisant à une scission du pays entre la côte et le désert. Une guérilla tribale, récupérée par les marxistes du Front Populaire de Libération d’Oman, des révolutionnaires, soutenus par l’URSS et la République Démocratique et Populaire du Yémen (Sud-Yémen), parmi les plus virulents du monde arabe dans les années 70. Ils seront actifs jusqu’en 1975 ; le soutien militaire du Royaume-Uni, de la Jordanie et de l’Iran impérial permettront au sultan Qabous d’en venir à bout avant de coopter une partie des insurgés.
Les Omanais sont des musulmans ibadites, ni sunnites, ni chiites, mais héritiers de la première secte de l’islam, le mouvement kharijj. Les Ibadites sont aujourd’hui répartis entre Oman, le Sahara algérien (région de Ghardaia où ils sont appelés mozabites), l’île de Djerba, et le Djebel Nafussa à l’Ouest de la Libye. Epargné par les actions terroristes qui ont frappé la quasi-totalité des pays de la Péninsule arabique au début des années 2000, Oman n’est pas pour autant exempt de tout risque islamiste. En 1994, 200 activistes ibadites ont été jugés pour complot contre l’Etat ; en 2005, une trentaine de membres d’une organisation secrète ibadite accusés de vouloir établir une république islamique a également été emprisonnée.
Premier Etat indépendant au sein du monde arabe, puisque la dernière occupation étrangère date du milieu du 18ème siècle, Oman est une monarchie absolue dirigée depuis 40 ans par un même souverain qui a toujours refusé le partage du pouvoir politique. En 1991, un conseil consultatif (Majlis ash-Shoura) a certes été créé, mais ses 83 membres sont privés d’autorité décisionnelle et de toute compétence législative. Le conseil en exercice a été élu en 2003, au suffrage « universel » direct, par une fraction de la population, beaucoup d’Omanais étant privés du droit de vote, les partis politiques sont interdits et l’activisme politique très encadré. Depuis 1996, le sultanat est doté d’une Loi fondamentale, Le Livre Blanc, qui garantit surtout des droits individuels.
L’inquiétude des protestataires peut être également nourrie par les incertitudes qui pèsent sur la succession du Sultan, célibataire, sans enfants, âgé de 71 ans et souffrant de diabète. La succession n’est certes pas imminente mais la question se pose et elle est d’intérêt pour les protestataires conscients qu’aucun prince de la famille ne sera capable de régner en monarque absolu avec l’habileté et le sens du consensus de Qabous ; il leur faut donc pendant cet intermède réussir à arracher des concessions en faveur d’une démocratisation du régime.
Si le sultan Qabous est jusqu’ici épargné par les critiques, une partie de ses ministres est accusée de corruption et d’impéritie, en particulier Ahmed Macki, ministre de l’économie et Maqbool Ali Sultan, ministre du commerce récemment démis de ses fonctions.
Les ressources pétrolières d’Oman sont faibles (production de 900 000 barils/jour); le développement des secteurs des services et de l’industrie a certes permis d’atténuer les effets de la crise de 2008 mais il n’est pas créateur de suffisamment d’emplois. La situation économique du sultanat n’a pourtant rien de singulièrement défavorable au sein de la zone MENA : croissance de 4.7% en 2010 ; PIB de 54 milliards de dollars en 2010 soit un revenu moyen de 15 000 dollars/habitant/an ; à comparer au Yémen : 30 milliards de PIB et 1000 dollars/habitant/an. Néanmoins, la distribution des richesses est inégale : en janvier 2011, le revenu mensuel minimal pour les Omanais dans le secteur privé a été hâtivement porté de 364 à 520 dollars ; le taux de chômage de la population jeune (75% de la population est âgée de moins de 24 ans) est en augmentation constante.
Face à la contestation grandissante, le Sultan a réagi en monarque du Golfe : distribution de subsides, promesses de réformes et création d’emplois publics :
- un remaniement ministériel, le 26 février, s’est traduit par l’éviction de six ministres mais le maintien en fonctions de la vieille garde inamovible ;
- l’annonce de la création de 50 000 emplois dans l’administration publique ;
- l’octroi d’une subvention de près de 400 dollars par mois pour les chômeurs ;
- l’étude de mesures pour accroître les compétences du Conseil consultatif ;
- la promesse de garantir plus de pouvoirs aux organes de supervision des dépenses publiques.
La boîte de Pandore étant désormais ouverte par le sultan lui-même, les protestataires exigent plus que ces mesures cosmétiques : un Parlement élu ; un chef de gouvernement élu ; la lutte contre la corruption ; des réformes économiques créatrices d’emploi ; des mesures pour limiter la hausse des prix.
Oman est une place stratégique : le sultanat contrôle le détroit d’Ormuz et notamment sa partie la plus profonde par laquelle transitent les plus gros pétroliers. Oman est un acteur politique stratégique dans le Golfe : proche des Etats-Unis, longtemps allié des Britanniques, et canal de communications vers l’Iran.
Contrairement à Bahreïn, le risque d’une chute du régime est moindre. Oman ne connaît pas de divisions sectaires ou confessionnelles ; aucun mouvement d’opposition n’est pour l’heure constitué et organisé ; la société civile n’est pas structurée et la légitimité du chef de l’Etat épargnée.
Reste au Sultan à trouver un remède à la désaffection des jeunes plus diplômés, mieux formés que leurs parents mais privés d’emplois et des facilités que l’Etat rentier offrait à leurs aînés, ainsi dissuadés d’exiger des réformes démocratiques. L’équilibre sera difficile à trouver sur le seul plan d’une amélioration des conditions de vie en ce que les jeunes Omanais sont plus ouverts sur l’extérieur, plus réceptifs aux évolutions politiques du monde arabe et donc plus revendicateurs.
BBC, Oman Country Profile, 08/02/2011
Foreign Policy, A sleepy little sultanate erupts in unexpected anger, 28/02/2011
Foreign Policy, Oman's Renaissance Man, 01/03/11
NYT, Protests in Oman Spread From Port City to Capital, 28/02/11
NYT, Rallies in Oman Steer Clear of Criticism of Its Leader, 01/03/11
Times of Oman, His Majesty Sultan Qaboos bin Said showers largesse, 28/02/11
Times of Oman, HM issues Royal Decrees, 01/03/11
Oman Observer, Marchers’ message receives HM’s favourable response, 01/03/11
CS Monitor, Oman protests intensify as Sultan struggles to appease demonstrators, 28/02/11
CS Monitor, Why Oman is different than other Middle East autocracies in turmoil, 01/03/11
Jadaliyya, A Letter to the Omani Sultan Qaboos, 01/03/11
Le Monde, Oman : "Le sultan peut encore retourner la situation en sa faveur", 01/03/11
Translation
Oman: Embracing the contest
In the Sultanate of Oman, the recent spreading of a protest movement is a radical new event in a peaceful monarchy, for the past forty years, politically sedative :
- on the 26, 27, February 28 demonstrations occurred in Sohar, the country's second largest port and industrial city 230 km north-west of Muscat ; the police action resulted in the death of one to six demonstrators, it may vary depending on the author's balance (government or press);
- the protest extended, on the 28th, in Salalah, the capital of Dhofar and former capital of the Sultanate, located 900 km southwest of Muscat, and then in Muscat, in front of the Majlis ash-Shura (Consultative Council).
From February 18, several hundred demonstrators had already gathered in Muscat to protest against rising prices, denounce the corruption of some ministers and require more transparency on the use of oil revenues.
Protesters in Sohar are mostly young unemployed, port activities and industries of the city (aluminum) offering not enough opportunities for young graduates. The model of Dubai, close geographically, of course stirs discontent.
The demonstrators' demands : more democracy and better living conditions are an echo of the revolts in the Arab world, except that the overthrow of the regime is not part of their claims.
Sultan Qaboos bin Said Al Bu Said, has, indeed, still a favorable brand image, the protesters have indeed preserved. On 3rd March, a show of support to the Head of State was well organized in the streets of Muscat.
Since taking power in 1970 following the overthrow of his father Said bin Taimur the despot, Sultan Qaboos has transformed the sultanate from a kingdom of backlog into a developing country thanks to oil revenues, the first dating from 1970, invested in education, public health, and infrastructure programs. The three million residents were satisfied with the progress so far achieved under the reign of Qaboos : economic development, improving living conditions and level of education, tourism development, longer expectancy life, guaranteed liberties and the abolition of slavery, equality of gender, lack of risk of terrorism ...
Oman has not always been the quiet shore it appears today. The sultanate was the victim of a massive uprising in the 60s and 70s in Dhofar (desert region of South-West) leading to a split of the
country between the coast and the desert. A tribal guerrilla, hijacked by the Marxist Popular Front for the Liberation of Oman, revolutionaries, supported by the USSR and the People's Democratic
Republic of Yemen (South Yemen), amongst the most virulent of the Arab world in the 70s. They will be active until 1975, the military support of the United Kingdom, Jordan and Iran will allow
Sultan Qaboos to overcome it prior to co-opt some of the insurgents.
Omanis are Ibadi Muslims, nor Sunnis neither Shiites, but the heirs of the first sect of Islam, the movement kharijj. Ibadis are now divided between Oman, Algerian Sahara (region of Ghardaia, where they are called Mozabites), the island of Djerba, and the Jebel Nafussa west of Libya. Spared by the terrorist acts that hit almost all countries of the Arabian Peninsula in the early 2000s, Oman isn’t islamist risk free. In 1994, 200 activists were tried for Ibadi conspiracy against the state; in 2005, thirty members of a secret Ibadi organization accused of wanting to establish an Islamic republic was also imprisoned.
First independent state in the Arab world, since the last foreign occupation dates from the mid 18th century, Oman is an absolute monarchy led for 40 years by a single ruler who has always refused to share political power. In 1991, a consultative council (Majlis ash-Shura) has certainly been created but its 83 members are deprived of decision-making authority and any legislative authority. The council was elected in office in 2003, by direct and ‘universal" suffrage by a fraction of the population, many Omanis being denied the right to vote, political parties are banned and tightly controlled political activism. Since 1996, the sultanate has a Basic Law, White Paper, which guarantees individual rights above all.
The protesters ‘concern may also be fueled by uncertainty over the succession of Sultan Qaboos, unmarried, without children, aged 71 and suffering from diabetes. The succession is certainly not imminent but the question arises and it is of interest to the protesters when they realize that no prince of the family will be able to rule as an absolute monarch with the skill and sense of consensus like Qaboos. So they need during this interlude successfully extract concessions in favor of a democratic regime.
Sultan Qaboos is so far untouched by the criticism, some of his ministers accused of corruption and incompetence, especially Ahmed Macki, Minister of Economy and Maqbool Ali Sultan, Minister of Commerce recently dismissed.
Oman's oil resources are low (production of 900,000 barrels / day), development of service sectors and the industry has certainly helped to mitigate the effects of the crisis of 2008 but it is not creative enough jobs. The sultanate's economic situation has nothing singularly unfavorable in the MENA region: growth of 4.7% in 2010, GDP of 54 billion dollars in 2010, an average income of 15,000 dollars / capita / year compared Yemen: 30 billion GDP and $ 1,000 per person per year. However, the distribution of wealth is uneven: in January 2011, the minimum monthly income for Omanis in the private sector was hastily brought from 364 to 520 dollars, the rate of unemployment of the youth population (75% of the population is under 24 years) is constantly increasing.
To cope with the growing protest, Sultan responded as a Monarch Gulf: distribution of subsidies, promises of reform and public job creation:
- A reshuffle, February 26, resulted in the ouster of six ministers, but the continued operation of the old guard immovably;
- The announcement of the creation of 50,000 jobs in public administration;
- Providing a grant of nearly $ 400 per month for the unemployed;
- The study of measures to increase the skills of the Advisory Council;
- The promise to ensure more powers to supervising bodies of public spending.
Pandora's box is now opened by the Sultan himself, protesters demand more than cosmetic measures: an elected parliament, an elected head of government, the fight against corruption, economic reforms leading to job creation measures for limit price increases.
Oman is a strategic place: the sultanate control the Strait of Hormuz and in particular its deepest part in which the biggest oil tankers transit. Oman is a strategic political actor in the Gulf close to the United States, long an ally of the British, and communications channel to Iran.
Unlike Bahrain, the risk of a collapse of the regime is less. Oman has no sectarian divisions and no opposition is at present constituted and organized, civil society is not structured and legitimacy of the Head of State spared.
Sultan Qaboos need to find a cure for the alienation of young people better educated, better trained than their parents but deprived of jobs and facilities that the rentier state offered to their elders, and then were discouraged to demand democratic reforms. The balance will be difficult to find just by improving living conditions, because young Omanis are more outward looking, more responsive to political developments in the Arab world and therefore more claimants.