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A l’exception d’Egoyan et de Cronenberg, on ne connaît que très peu le cinéma canadien. Pourtant, il cache de sacrés bons films. La preuve avec ce Six Figures méconnu, drame psychologique intense qui ambitionne de ramper jusqu’aux sources du mal. Soit Warner (JR Bourne), sa femme, et ses deux enfants. Son job. Sa future maison. Sa voiture. Les cris du gamin. Les mesquineries des collègues. L’ennui du couple. On la sent, tapie on ne sait où, l’immense colère du personnage- prête à exploser et à surgir à l’écran, aussi brusquement que chez Haneke (à qui l’on pense souvent ici). Lorsque Claire (Caroline Cave) est agressée d’un coup de marteau à la tête par un mystérieux cinglé, tous les soupçons se portent sur Warner. A-t-il pu, sous l’emprise monstrueuse du ressentiment, commettre un tel acte ? Autant prévenir de suite : personne n’a de réponse. Ni le cinéaste, ni l’entourage de Warner, ni nous. Voilà le tour de force du film : dire beaucoup, en en taisant autant. Dès lors, outre l’inévitable opinion que chacun porte sur l’affaire, l’essentiel est ailleurs : sur ces vérités qui finissent par jaillir des suspicions, sur ces non-dits qui explosent furieusement aux visages, sur l’absurdité des rapports humains, la sournoiserie des désirs matérialistes, l’affreux conditionnement familial. Christensen guette ses cinq protagonistes principaux, les filme souvent de face, d’une caméra impudique qui comprend tout des regards, et qui puise- dans les silences- une violence sourde et frontale. La sixième figure du titre est invisible, mais tire les ficelles du drame qui se joue, elle est personnage à part entière, ombre terrifiante des pulsions inavouées, inassouvies, réprimées. "Personne ne connaît personne" lâche-t-on dans le film, un axiome saisissant qui résume l’ambigüité d’une œuvre courageuse, sans concession, toujours sur un fil tendu, en équilibre entre tragédie et film d’horreur.