Le sport par les gestes. C'est le
titre d'un petit livre passionnant, paru récemment chez Calmann-Lévy. Ses auteurs empruntent les chemins de traverse de la littérature pour évoquer, avec humour et
tendresse, ces gestes qui sont le sel du sport. Dans un dernier chapitre attachant, les différents contributeurs de l'ouvrage s'amusent à raconter "le" geste qui, à l'heure de leurs premiers
émois sportifs, les a marqués à tout jamais. Un exercice auquel devrait se livrer tout amateur et qui, pour ma part, nous ramène seize ans en arrière…
Parc des Princes, mardi 28 septembre 1982, 20h. Le Paris S.G, vainqueur de la coupe de France face à Saint-Étienne quelques
semaines plus tôt, participe à sa première campagne européenne. À l'aller, "mon" équipe s'est inclinée 1-0 à Sofia. Le retour s'annonce passionnant et lorsque je m'assoie vers 19h en Boulogne
rouge, je vis déjà au rythme du match depuis plusieurs heures. J'aime cette tribune basse, car quand le vent est favorable, l'odeur de la pelouse vient vous chatouiller les narines. On se sent
alors un peu plus proche des joueurs. Converti un an plus tôt au maillot bleu et rouge, moi, le Parisien de naissance, je suis habillé de la tête aux pieds aux couleurs de l'équipe. J'ai pris
très au sérieux les exhortations de RTL, alors radio partenaire du football et du PSG, à mettre le Parc à l'envers pour ce premier grand rendez-vous continental.
Une pluie de confettis, des fumigènes, quelques regards admiratifs mais un peu inquiets vers le kop au-dessus de nous. J'avoue que
jusqu'à la 81e minute de jeu, le match lui même ne m'a pas laissé un souvenir impérissable. Mais à neuf minutes de la fin, alors que Paris, bien que menant 2-1, voit filer la qualification, la
grâce des capricieux dieux du ballon touche Nabatingue Toko. La pression parisienne est terrible sur le but bulgare, juste devant nous. Un tir mal cadré atterri dans la tribune, tout près de moi.
Le grand attaquant Tchadien s'élance vers le public pour le récupérer, aspirant vers lui la plupart des supporters, dont mézigue, hurlant à se briser les cordes vocales pour réclamer le but de la
délivrance. Je reste appuyé à la rambarde en béton, au plus près du terrain, pour provoquer le miracle.
Le jeu reprend. Un nouveau centre sur le but de Sofia et là, les cieux s'ouvrent. Toko se couche dans un geste d'une fluidité et
d'une fulgurance incroyables pour son grand gabarit. La mère de toutes les demi-volées. Aujourd'hui encore, j'ai l'impression de voir, mieux, de sentir les filets trembler. À moins que ce ne soit
le rugissement de la foule derrière moi. Nabatingue Tokomon Dieudonné hurle sa joie et vient vers nous. Je pourrais presque le toucher, malgré la fosse et les grilles qui nous séparent. Deux
autres buts figent le score et scellent la victoire (5-1), mais Toko est le héros du Parc. À la fin du match, mi-ingénu, mi-chambreur, il confie au reporter Denis Ferdet, qui l'interroge sur ce
geste parfait et ce but historique : "Mais vous me connaissez, j'en ai marqué des plus beaux que ça moi !". Le fantasque buteur regagne les vestaires sur ce commentaire définitif. Du
culot, balle au pied comme devant les micros…
À lire : Le sport par les gestes. Sous la direction de François Bégaudeau et Xavier de la Porte. Calmann-Lévy. 2007. 189 pages. 14,90 €.