Fléau semblant se répandre plus que de raison, aux symptômes les plus angoissants qui soient, la maladie d'Alzheimer est un sujet éminemment cinématographique. Côté drame, Zabou Breitman (Se souvenir des belles choses) et Sarah Polley (Loin d'elle) s'y sont essayées, avec un net avantage à la Canadienne. Nicolas Boukhrief n'est pas tout à fait le premier à utiliser Alzheimer comme moteur d'un polar : il y eut notamment, La mémoire du tueur, film imparfait mais fascinant du belge Erik van Looy, et Memento, puzzle s'appuyant également sur un montage allant à rebours de l'ordre chronologique. Comme le personnage incarné par Guy Pearce, dans une version légèrement plus pantouflarde, André Dussollier incarne un ancien flic qui va tenter d'être temporairement plus fort que sa maladie pour parvenir à démonter les rouages d'un crime. Né de la volonté de Boukhrief de travailler en huis-clos et avec ceux que l'on appelle dorénavant des seniors, Cortex est conçu comme un polar délicat (c'est l'auteur qui le dit), jouant avec le suspense du whodunit mais ne gaspillant pas ses forces à coups de scènes d'action inutiles et malvenues.
Première constatation : le réalisateur a visiblement choisi de faire profil bas sur la forme, filmant simplement et calmement les errances et les interrogations de son héros. Elle est loin, la frénésie inquiète de l'impeccable Convoyeur : malgré un sujet pas marrant pour tout le monde, Cortex ne brusque personne. Si l'on peut saluer l'effort du metteur en scène pour s'adapter à son sujet, on peut également railler le manque total d'ambition filmique et de personnalité d'un long-métrage filmé de façon plus qu'ordinaire. Mais après tout, si l'essentiel du film réside dans ce Cluedo en clinique, pourquoi pas. Rien de tel que ce confort routinier pour mettre les neurones à disposition.
Si le rythme n'est pas trépidant, Cortex procure tout de même un certain plaisir immédiat. Il est toujours excitant de se laisser embarquer par un auteur qui semble être le seul à savoir où il va. L'enquête policière au centre du film ne monte pas vraiment en puissance, mais cet encéphalogramme presque plat parvient à vriller les nerfs de façon assez efficace. Seulement voilà : le scénario de Boukhrief et Frédérique Moreau est de ceux où le personnage principal en sait plus que le spectateur. Mais quand celui-ci est atteint de la maladie d'Alzheimer et qu'il est capable de rayer de sa mémoire des indices-clés ou même le nom du coupable, cela devient embêtant. Comment en effet se désoler de voir cet homme oublier des choses si l'on ignore leur importance et leur teneur? Comment se réjouir au final de cette résolution finale arrivant comme un cheveu sur la soupe et qui fait reconsidérer l'ensemble à la baisse?
L'impression finale laissée par Cortex est des plus négatives, tant les intentions de Boukhrief paraissent floues. La conclusion, bâclée et simpliste, laisse entendre qu'il se moque du côté polar ; quant à la pathologie décrite, elle n'est ni traitée de façon frontale, ni exploitée à d'autres fins. De ce monument de frustration émerge une réelle satisfaction, celle de voir André Dussollier jouer enfin autre chose que les gendres idéaux. Dans la peau de ce Charles Boyer (non, pas l'acteur), avec une vingtaine de kilos de moins que ces dernières années, il livre une prestation habitée et tétanisante qui confirme son grand talent de comédien ainsi que celui de Boukhrief en tant que directeur d'acteurs. Pour le reste, ce monument de frustration ne risque certainement pas de convaincre ceux qui attendaient la confirmation d'un Convoyeur qui en avait fait le petit prince du polar français.
5/10