Fannie, Freddie et les bonnes intentions

Publié le 15 mars 2011 par Copeau @Contrepoints

Comment Oncle Sam a créé le marché des crédit subprimes.

Quand le gouvernement américain nationalise de fait Freddie Mac et Fannie Mae le 6 septembre 2008, les deux government sponsored enterprises (GSE [1] détiennent ou garantissent au travers de mortgage backed securities (MBS [2]) l’équivalent de $5,2 trillions de mortgages [3], soit environ 40% du marché des crédits immobiliers américains. La situation de Freddie et Fannie est si catastrophique et leur taille tellement gigantesque que le Trésor des États-Unis et la Federal Reserve doivent s’engager à rembourser jusqu’à $200 milliards à leurs créanciers, leur racheter plus de $1,3 trillions de MBS et acquérir en urgence pour $132 milliards de leurs dettes. Toute cette histoire avait pourtant commencé avec de bonnes intentions… mais vous savez ce qu’on dit de l’enfer et des bonnes intentions.

Au lendemain de la Grande Dépression de 1929, Herbert Clark Hoover puis Franklin Delano Roosevelt décident de faire en sorte que le plus grand nombre possible d’américains puissent devenir propriétaires de leur résidence principale. C’est le Federal Home Loan Bank Act de 1932 et la naissance, en 1938, de la Federal National Mortgage Association plus connue sous le nom de Fannie Mae. Fannie est une agence fédérale chargée de racheter les mortgages des banques afin qu’elles puissent en accorder le plus possible et permettre ainsi au plus grand nombre de devenir propriétaire. En 1968, sous d’administration Johnson, Fannie Mae est privatisée mais garde sa mission de service public et devient officiellement une government sponsored enterprises. Deux ans plus tard, le Congrès des États-Unis donne à Fannie un petit frère – Freddie Mac – qui recevra les mêmes missions et le même statut que sa grande sœur.

Les GSEs sont donc nées d’un deal entre Oncle Sam et des actionnaires privés. La charte de Fannie et Freddie leur impose d’acheter ou de garantir le plus grand nombre possible de mortgages – et notamment des crédits accordés à des familles à faible revenus – en contrepartie de quoi, le gouvernement fédéral accorde à ses deux poulains une série d’avantages tout ce qu’il y a de plus juteux. Jugez plutôt : les GSEs disposent d’une ligne de financement directe auprès du Trésor, leurs obligations ont le même statut que celles des agences fédérales, elles ont des avantages fiscaux, une réglementation prudentielle des plus accommodantes et le gouvernement fédéral les protège de toute forme de concurrence. Ajoutez à cela leurs origines publiques, leur mission de service public, leur statut et le sauvetage de deux autres GSEs [4] entre 1985 et 1996 et il va de soit que prêter de l’argent à Freddie et Fannie, c’est prêter de l’argent à Oncle Sam lui-même et c’est précisément ce que tout le monde va considérer comme évident dans le monde entier (et la suite prouvera que tout le monde avait raison). Cette garantie implicite donne un immense avantage aux deux entreprises : elle leur permet de s’endetter dans des proportions absolument gigantesques à un coût qui défie toute concurrence – à peine plus cher que le gouvernement fédéral lui-même. Oncle Sam y gagne puisqu’il peut désormais canaliser l’épargne américaine vers le marché immobilier sans intervenir officiellement (puisque les GSEs sont officiellement des entreprises privées) et les actionnaires y gagnent… beaucoup d’argent. Wayne Passmore – un des directeurs associés de la recherche de la Fed– évalue dans un article publié en janvier 2005 la valeur des relations ambiguë entre les GSEs et l’Etat fédéral à $147 millions dont $72 millions tombent directement dans les poches des actionnaires. Oncle Sam sait se montrer généreux avec ceux qui le servent bien…

Dès 1968, Freddie et Fannie passent sous l’autorité du Department of Housing and Urban Development (HUD) qui leur fixe des objectifs chiffrés de prêts à accorder aux familles modestes. En 1992, le HUD précise et augmente ces objectifs : les GSEs devront affecter au moins 30% de leurs achats à des mortgages accordés à des familles pauvre ou modestes (définies comme des familles dont les revenus sont inférieurs au revenu médian de la région dans laquelle elles vivent). Avec la réélection de Bill Clinton en 1996, cet objectif passe à 40% et le HUD impose aux GSEs d’acheter au moins 12% de crédits accordés à des familles vivants avec moins de 60% du revenu médian de leur région (c’est-à-dire sous le seuil de pauvreté). En 1997, ces objectifs passent à 42% et 14% respectivement et dans les années qui suivent ils seront régulièrement revus à la hausse pour atteindre 55% et 25% en 2007.

Soucieuses de préserver leurs avantages, Fannies et Freddies doivent donc maintenant trouver des crédits immobiliers accordés à des ménages modestes et pauvres pour remplir leurs objectifs. Elles se tournent donc vers les banques pour trouver des mortgages satisfaisant aux critères du HUD et bien sûr, les banques fournissent – après tout, elles gagnent de l’argent et c’est Oncle Sam qui régale. Les banques se mettent donc à accorder des crédits sans trop se soucier des risques puisque Fannie et Freddie les rachètent dans la foulée et en revendent une partie aux marchés financiers avec la garantie (implicite) de tonton. Dès cette époque, plusieurs observateurs s’inquiètent de cette politique comme le journaliste Steven Holmes qui note en septembre 1999 que « Fannie Mae prend significativement plus de risques » et que « l’entreprise pourrait avoir des problèmes en cas de crise économique, provocant un sauvetage gouvernemental similaire à celui de l’industrie des saving and loans dans les années 1980 [5] » – c’est en septembre 1999 et c’est dans le New York Times.

Rien n’y fait, le HUD continue à augmenter les objectifs des GSEs pour le plus grand bonheur des banques qui poussent à la roue, trop contentes de ce regain d’acticité hautement patriotique. De 2004 à 2006, Freddie et Fannie achètent pour $434 milliards de mortgage-backed securities adossées à des crédits subprimes (c’est-à-dire plus risqués) et créent littéralement un marché pour ce que nous connaissons aujourd’hui sous le doux nom d’« actifs toxiques ». Au cours de la seule année 2007, les deux entreprises vont acheter pour $1,5 trillions de mortgages et de mortgage-backed securities dont environ $450 milliards servaient à financer les investissements immobiliers de familles modestes et environ $375 autres milliards pour des familles vivant carrément sous le seuil de pauvreté. On ne sait pas exactement quelle proportion des crédits immobiliers détenus ou garantis par les GSEs était subprime et ce, d’autant plus qu’il n’existe pas de définition universelle de ce qui est prime, Alt-A ou subprime. Ce que l’on sait, en revanche, c’est qu’en 2008, Freddie et Fannie détiennent ou garantissent 40% des crédits immobiliers américains à elles seules et que depuis 1992, elles ont régulièrement et considérablement dégradé leurs critères d’achats et inondé les marchés de MBS avec la bénédiction et la garantie implicite d’Oncle Sam. Ce que l’on sait aussi c’est que ce sont précisément ce genre de produits – des MBS adossés à des crédits subprimes, Alt-A ou à taux révisable – qui ce sont retrouvés dans les bilans des banques du monde entier (avec les encouragements sonnants et trébuchants de la réglementation bancaire – on en reparlera) et qui, un beau matin du 15 septembre 2008, ont déclenché rien de moins qu’une des plus violentes récessions que nous aillons connu depuis les années 30.

La commission d’enquête sur la crise financière mise en place par le Congrès des États-Unis devrait rendre son rapport ses jours-ci. On sait déjà que Fannie, Freddie et les administrations successives seront blanchies de toutes responsabilités quant aux causes de ce gigantesque fiasco [6]. Mais moi j’ai quand même une question à leur pauser : si il n’y avait pas de problème avec les GSEs, pourquoi avez-vous eu besoin de plus de mille cinq cent milliards de dollars.

Notes :

[1] Mot pour mot : « entreprises parrainées par le gouvernement ».
[2] Les MBS sont des paquets de crédit immobiliers revendus sur les marchés financiers sous forme d’obligations.
[3] Les « mortgages » sont des crédits hypothécaires (la forme classique d’un prêt immobilier aux États-Unis).
[4] Le Farm Credit System en 1985 et la Financing Corporation en 1996.
[5] Ah ? Vous pensiez que c’était la première fois ? On y reviendra une autre fois…
[6] Non, sérieusement vous les imaginez nous avouer officiellement qu’il sont à l’origine de cet énorme merdier planétaire ?