D’après plusieurs sondages récents, Marine Le Pen, qui ne cesse de progresser dans les intentions de vote depuis son arrivée à la tête du Front National, serait aujourd’hui en mesure de recueillir entre 21% et 24% des suffrages au premier tour de l’élection présidentielle. Elle pourrait alors figurer au second tour, privant le candidat de la majorité actuelle ou celui du Parti Socialiste de la chance d’être élu.
Ces intentions de vote traduisent le rapport de forces actuel – 14 mois avant le scrutin – et nécessitent une analyse prudente :
- les principaux candidats qui vont faire face à Marine Le Pen ne sont pas encore connus, que ce soit à gauche, au centre ou même à droite, où la perspective d’une nouvelle candidature de Nicolas Sarkozy ne fait plus l’unanimité ;
- la campagne électorale n’est guère véritablement entamée, même si les interventions de Dominique Strauss-Kahn dans le Parisien ou au journal télévisé de France 2 lors de sa visite à Paris, ou le discours de Nicolas Sarkozy au Puy-en-Velay ont pu esquisser des prémices de thèmes de campagne ;
- enfin, ces différentes enquêtes ont été réalisées à une période particulièrement troublée, notamment en raison des événements au Maghreb et au Moyen-Orient qui ont eu des répercussions sur la vie politique française.
Toutefois, elles sont le reflet d’un incontestable mouvement d’opinion, déjà perceptible dans les enquêtes depuis plusieurs semaines voire plusieurs mois (ce que Délits d’Opinion avait déjà mis en lumière ici) et amènent à s’interroger plus en détail sur ce qui aujourd’hui pousse plus d’un exprimé sur cinq à envisager donner sa voix à la représentante du Front National.
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Un vote avant tout protestataire ?
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Devant la montée de Marine Le Pen dans les intentions de vote, on peut en effet légitimement s’interroger : s’agit-il d’un phénomène passager ou d’une transformation durable de la place du Front National dans la vie politique française ? D’une véritable adhésion aux idées du FN ou plutôt de l’expression d’une protestation envers le reste de la classe politique et qui viserait à provoquer au sein de cette dernière un électrochoc ? Ce phénomène se révèle être concomitant avec une baisse de la confiance à l’égard de la classe politique en général et à l’égard de Nicolas Sarkozy en particulier. Le Président de la République a atteint ce mois-ci ses scores les plus bas depuis son entrée à l’Elysée, que ce soit dans le dernier baromètre de confiance dans l’exécutif de TNS Sofres ou encore dans le baromètre d’image de LH2 où il enregistre une chute de 6 points.
Marine Le Pen profite sans aucun doute de la relation détériorée entre les Français et les représentants actuels du pouvoir, sur fond de multiplication des affaires mettant en cause des personnalités politiques. Un sondage Harris Interactive réalisé auprès de personnes ayant l’intention de voter Marine Le Pen au premier tour en 2012 ou pouvant envisager de le faire montre que 61% d’entre elles le feraient avant tout pour « donner un avertissement aux autres personnalités politiques » plutôt que pour marque leur soutien aux idées de Marine Le Pen. Et invitées à s’exprimer librement sur les raisons de cette intention de vote, près de quatre sur dix déclarent vouloir ainsi signifier leur déception à l’égard du gouvernement ou de l’opposition de gauche, ou encore leur rejet d’une classe politique jugée dans sa quasi-totalité corrompue et éloignée des problèmes quotidiens des Français.
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Une capacité à traduire les inquiétudes des Français
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Et c’est justement sur ce terrain que Marine Le Pen gagne des points : elle apparaît non seulement comme une personne sincère, « au parler vrai », mais surtout proche du peuple et capable de saisir ses préoccupations. Ainsi, pour la quasi-totalité des sympathisants du Front National mais aussi pour une partie non négligeable de la population, Marine Le Pen « comprend bien les préoccupations des Français » (50%) ou est « proche des préoccupations des gens » (42%). La qualité qu’on lui attribue surtout est donc de cerner les véritables questions que se posent aujourd’hui les Français et de leur donner une place dans le débat public. Selon une enquête TNS Sofres, 32% des Français déclarent ainsi adhérer aux critiques de la société que le Front National exprime mais pas aux solutions qu’il propose, quand seuls 7% adhèrent à la fois aux critiques et aux solutions. Quant aux électeurs acquis ou potentiels de Marine Le Pen, ils estiment qu’un score important de cette candidate au premier tour de l’élection présidentielle aurait pour conséquence une meilleure prise en compte des questions d’immigration clandestine, de sécurité ou encore des problématiques socio-économiques.
Mais peut-on pour autant réduire le vote Marine Le Pen à la simple expression d’une contestation ? Et la candidate du Front National à un aiguillon destiné à orienter le reste de la classe politique vers certains sujets sans qu’elle-même soit jamais amenée à y apporter de réponses ?
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Des idées qui progressent dans la société française
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Cela serait ignorer plusieurs éléments :
- Tout d’abord, que les thèmes ‘traditionnels’ du Front National – immigration et sécurité – ont déjà acquis une large place dans le débat en France, notamment sous l’impulsion du gouvernement de Nicolas Sarkozy, et qu’ils font désormais partie des thèmes que tous les candidats doivent aborder. En outre, ils structurent déjà pour partie les jugements portés à l’égard des différentes forces politiques sans pour autant apparaître comme les dossiers les plus prioritaires aux yeux des Français (49% désignent ainsi l’insécurité comme un dossier prioritaire pour 2011 contre 81% pour le chômage ou 68% le pouvoir d’achat). Malgré cela, la progression de Marine Le Pen ne semble pas avoir été enrayée ;
- Ensuite, que la stratégie de dédiabolisation du FN et le virage social initiés par la nouvelle dirigeante ont porté leurs fruits, notamment auprès des femmes et des jeunes, et contribuent à donner un autre statut au vote Marine Le Pen.
En effet, si Marine Le Pen apparaît aujourd’hui si haut dans les intentions de vote, c’est également parce que les idées qu’elle porte progressent dans la société française, comme dans une grande partie de l’Europe. Le sondage Harris Interactive sur les motivations des électeurs de Marine Le Pen démontre en effet que près de six sur dix fournissent spontanément un motif ayant trait à ses idées et qu’ils adhèrent très majoritairement à ses propositions, que ce soit concernant la lutte contre l’immigration clandestine (88%), la sécurité (87%) mais aussi les inégalités sociales (77%), le système social (75%).
D’autres enquêtes illustrent une progression des idées du Front National au sein de l’ensemble de la population. Ainsi, une enquête TNS-Sofres réalisée en janvier montre que plus d’un Français sur cinq (22%) se déclare aujourd’hui d’accord avec les idées défendues par ce parti, soit une hausse de quatre points en un an et même une hausse de 12 points parmi les sympathisants UMP. Certes, cela reste plus faible qu’au lendemain de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour en 2002, mais montre que la normalisation voulue par Marine Le Pen des opinions portées par le parti d’extrême-droite remporte aujourd’hui un certain succès. Les proportions de Français d’accord avec certaines idées défendues par le Front National progressent significativement : « il y a trop d’immigrés en France » (50%, +6 points en un an), « trop de droits sont accordés à l’islam et aux musulmans en France (49%, +6 points) ou encore « on ne se sent plus vraiment chez soi en France » (42%, +5 points). Selon une enquête CSA, 46% des Français se disent très ou assez souvent d’accord avec Marine Le Pen lorsqu’elle parle de sécurité, 31% lorsqu’elle évoque la laïcité ou encore 30% sur l’immigration et 25% sur le protectionnisme économique. Ces proportions montent respectivement à 58%, 44%, 42% et 31% parmi les sympathisants de droite.
On le voit, le vote en faveur de Marine Le Pen ne se structure donc pas seulement autour de la déception engendrée par les autres partis et personnalités politiques, mais aussi autour d’une adhésion aux idées qu’elle porte, principalement axées sur les questions d’immigration mais aussi désormais les problématiques sociales.
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S’il est évident qu’il existe une forme d’instrumentalisation du vote déclaré aujourd’hui en faveur de Marine Le Pen et que les Français adressent ainsi des messages aux autres candidats potentiels ou déclarés, il ne suffira sans doute pas à ces derniers d’afficher de bonnes intentions pour voir la candidate frontiste baisser dans les intentions de vote à venir. En effet, comme le disait il y a peu Frédéric Dabi sur notre site, Marine Le Pen n’apparaît pas comme une simple « bulle médiatique » et ses idées bénéficient d’un terreau favorable dans la société française d’aujourd’hui. 86% des personnes qui envisagent ou peuvent envisager de voter pour Marine Le Pen en 2012 souhaitent d’ailleurs la voir accéder au second tour et 55% devenir Présidente de la République. Il ne s’agit donc pas que d’un « vote de pression ». Pour éviter un nouveau 21 avril, les candidats de la gauche comme de la droite ne devront donc pas seulement intégrer les thématiques que Marine Le Pen impose dans l’agenda politique (ce qui pourrait apparaître comme de simples tentatives de récupération électoralistes, accusations déjà portées à l’encontre de l’UMP notamment concernant le débat sur la laïcité) – mais bien avancer des réponses crédibles et surtout dessiner un modèle de société pour demain dans lequel tous les Français pourront se projeter sans inquiétude et sans tentation de repli sur soi.