Bahreïn : intervention de l'armée saoudienne
Publié le 15 mars 2011 par Rivagessyrtes
Bahreïn: intervention de l'armée saoudienne
La détérioration rapide de la situation intérieure à Bahreïn a conduit les autorités de Manama à solliciter l’aide militaire des autres Etats membres du Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe (CCEAG). Dans la nuit du 13 au 14 mars, un contingent saoudien d’un millier d’hommes a ainsi franchi la « chaussée du Roi Fahd », le pont qui relie la province orientale du Royaume à Bahreïn ; un contingent de soldats originaires des Emirats arabes unis devrait également se déployer prochainement à Bahreïn.
C’est la deuxième fois en temps de paix depuis la création du CCEAG en 1981 qu’une telle intervention étrangère sur le territoire d’un de ses Etats-membres est rendue nécessaire par la situation sécuritaire ; le précédent date de 1994 ; l’armée saoudienne s’était déjà déployée à Bahreïn pour contenir une insurrection chiite.
Les contestataires bahreïnis, essentiellement chiites, ont d’ores et déjà dénoncé cette ingérence militaire d’Etats, à majorité sunnite, dans les affaires internes du Royaume, assimilée à une occupation saoudienne.
L’entrée de troupes étrangères sur le territoire bahreïni intervient dans un contexte politique et sécuritaire dégradé :
- la contestation, née le 14 février, s’intensifie (voir Bahreïn : les sources historiques de la révolte) malgré les appels au calme lancés par les autorités : le 11 mars, une marche de protestation a été interrompue, et des heurts se sont produits entre pro et anti-Régime, alors que les manifestants se dirigeaient vers le Palais Royal à Riffa, bastion de la dynastie et siège de nombreux palais des princes ; le 13 mars, le district financier de Manama était occupé ; des heurts éclataient à l’Université entre partisans du Roi et opposants; l’accès à la chaussée du Roi Fahd était bloqué.
- des dissensions divisent désormais les différentes composantes de la représentation chiite (voir Bahreïn : premier tour des élections législatives):
- l’association politique al-Wifaq (Association de l’Accord national), plateforme d’entente entre plusieurs factions chiites réputées modérées, parti majoritaire de l’opposition (18 sièges au Parlement sur 40), se montre favorable à l’instauration d’un dialogue avec le Régime, en la personne du prince héritier cheikh Salman bin Hamad Al-Khalifa, mandaté par son père le roi Hamad,
- tandis que trois autres formations plus radicales : al-Haq (Mouvement pour la Liberté et la démocratie), al-Wafa (Mouvement islamique national) et le Mouvement islamique de la Liberté refusent de transiger et marquent leur détermination à intensifier la contestation ; le 7 mars, ces trois formations ont ainsi annoncé la formation d’une Coalition pour la République, annonçant ainsi leur souhait de renverser la monarchie.
Les pressions extérieures exercées sur Bahreïn, pour le moins celles qui comptent, en provenance de Washington, deviennent plus insistantes. Le secrétaire d’Etat américain à la défense, Robert Gates, présent le 11 mars à Manama, a appelé le Régime à ne plus se contenter de réformes cosmétiques (« baby reforms ») au risque d’ouvrir grande la porte à l’influence iranienne ; Manama étant le quartier général de la Vème flotte américaine, cette dernière éventualité indisposerait Washington.
La famille royale et l’opposition peinent à trouver un terrain d’entente pour nouer un dialogue constructif :
- sous pression, la dynastie régnante a affirmé, le 13 mars, sa volonté d’engager un dialogue national dont le contenu porterait sur l’élargissement des prérogatives de la chambre basse ; la formation d’un gouvernement plus inclusif ; un redécoupage des circonscriptions électorales ; la révision de la politique de naturalisation ; la lutte contre la corruption et l’examen du statut des propriétés d’Etat (en l’occurrence la captation par la famille royale du domaine foncier national) ; sous la contrainte, réserve majeure, du respect de la sécurité et de la stabilité.
-les demandes de l’opposition coalisée (chiites modérés / libéraux/ formations de gauche / mouvement des Jeunes du 14 février) portent, quant à elles, au premier chef, sur l’abolition de la Constitution de 2002, l’élargissement des prisonniers politiques, l’instauration d’une véritable monarchie constitutionnelle, la démission de l’actuel gouvernement, en particulier de son chef, le cheikh Khalifa bin Salman, oncle du roi. Les associations chiites radicales exigent quant à elles la fin de la monarchie.
Les relations entre sunnites, qu’ils soient Bahreïnis de souche ou plus fraîchement naturalisés, et chiites bahreïnis (Baharnas) se sont sensiblement dégradées :
- les partisans du Régime, en majorité des sunnites, ont organisé, le 2 mars, un rassemblement massif de 450 000 personnes à l’extérieur de la mosquée sunnite d’Al Fateh appelant au démantèlement du centre névralgique de la contestation, le Rond Point de la Perle (Lulu Roundabout) tenu par des chiites ;
- le 3 mars des heurts violents ont opposé des étudiants chiites à des sunnites naturalisés, notamment des Syriens, dans la ville de Hamad, une ville nouvelle destinée à accueillir les classes moyennes chiites et sunnites naturalisés ; de tels incidents se sont reproduits au sein d’écoles et à l’Université ;
- le Bloc parlementaire des Indépendants a demandé, le 13 mars, au Régime d’imposer la loi martiale pendant trois mois ; en réalité le Parlement ne compte plus que des partisans du Roi depuis la démission des députés de l’opposition.
La situation actuelle porte en germes un risque majeur, celui d’une radicalisation des extrêmes : l’échec des parties modérées, tant au sein de l’opposition chiite (al-Wifaq), qu’au sein des partisans de la famille royale et même dans les cercles princiers (mouvance du prince héritier), à amorcer et à construire le dialogue ne pourra que favoriser les plus radicaux (chiites radicaux d’al-Haq/ sunnites naturalisés/ mouvance du Premier ministre), exacerber les tensions, au risque d’une déflagration impossible à contenir.
A l’inverse, devant l’imminence d’un tel risque, les modérés, chiites et sunnites, auront tout intérêt à nouer rapidement le dialogue et à s’entendre pour réformer le système. L’hypothèse qu’une faction de la famille royale et des représentants des grandes dynasties, soient favorables à une véritable réforme démocratique du Régime ne peut être écartée, s’ils conçoivent que c’est la seule solution pour le maintenir en place, mettre un terme au chaos et rétablir des conditions économiques saines.
Une telle issue ne sera pas forcément appréciée à sa juste valeur par les Etats voisins du Royaume. L’Arabie saoudite, hantée par la menace iranienne, réelle ou imaginaire, n’a aucun intérêt à voir s'implanter, à sa frontière, un laboratoire d’expérimentation démocratique associant les chiites au pouvoir. C’est le sens de la présence militaire saoudienne à Bahreïn ; plus qu'elle n'est destinée à prévenir une contagion de la contestation vers sa Province orientale, majoritairement peuplée de chiites ; puisqu’elle s’est déjà produite.
Il appartient maintenant aux factions bahreïnies modérées de gérer un nouveau risque : la présence trop durable de troupes saoudiennes sur leur territoire et la menace que les Saoudiens recourent à leurs expédients usuels en apportant un soutien aux sunnites radicaux, à seule fin de provoquer des troubles confessionnels pour entraver le processus politique.