J’entame l’oeuvre phare de l’écrivain américain Edward Abbey Le gang de la clef à molette. Pour la petite histoire, il m’avait été signalé par le seul libraire itinérant spécialisé dans l’écologie.
D’une manière générale, la littérature écologiste est peu connue en France, et encore plus quand elle nous vient des Etats-Unis. On évoquera avec un sourire condescendant (à tort !) Walden de Henry David Thoreau, considérant qu’il s’agit d’un récit daté et anecdotique (que penser en effet d’un livre où l’on a la comptabilité des clous, des planches et des haricots ou encore des deux pages évoquant une bataille de fourmis rouges contre des fourmis noires…)
Voilà pour la littérature romanesque ou autobiographique qui a traversé l’Atlantique. Car, en vérité, seuls les essais passent l’Atlantique. La désobéissance civile de Thoreau, Printemps Silencieux de Rachel Carson (accessible via la récente maison d’édition Wild) et Effondrement de Jared Diamond.
Après la préface signée Robert Redford (sic !) et les premières pages, on sent déjà la force et la radicalité de l’auteur. Edward Abbey, surnommé le Thoreau de l’Ouest, est en fait un infatigable arpenteur de désert. Ceux de l’Utah, de l’Arizona, du Nouveau-Mexique… Un tempérament solitaire donc. Un amoureux de la nature sauvage. Et un adversaire des laides cicatrices techniciennes.
Le gang de la clef à molette réalise donc ce que tout écologiste rêve parfois secrètement, par désespoir, de faire. Sachant très bien la contradiction inhérente.
L’action directe.
Faire sauter les ponts, les barrages et pourquoi pas des centrales. Puisque les lois tardent à venir, ou simplement qu’elles ne sont pas respectées, puisque l’égoïsme n’a décidément plus de limites, puisqu’après tout il y a de la violence dans cette société technicienne, le gang de la clef à molette assouvit le fantasme de l’aventure hors-la-loi.Et répond à la violence légale par la violence légitime.
On rigole bien plus que dans le sinistre roman « écolo-terroriste» de l’ambassadeur Rufin épinglé sur ce blog (personne n’a jamais été tué par un écologiste).
On rigole d’un rire grinçant, un rire jaune. Le même rire crispé et nerveux à voir les images de la centrale nucléaire de Fukushima prendre feu. Oui, aussi choquant que cela puisse paraître, il y a une part d’humour dans la catastrophe japonaise. Un humour noir. Un humour glacé. Un humour de désespoir peut-être du au principe bien connu du comique de répétition. L’homme s’obstine donc à être si bête ?
C’est le gag du type à qui on répète cent fois que ce qu’il va faire n’est pas une bonne idée, qu’il va finir par glisser sur la peau de banane. Et zou, le type il y va quand même. Alors forcément on rigole.
Bergson écrivait dans son fameux essai que le rire, c’est du mécanique plaqué sur du vivant. En voyant en boucle les images de la centrale, impossible, avec un peu de recul, de ne pas déceler le côté mécanique de la chose. L’entêtement, l’obstination à répéter les mêmes grimaces industrielles.
Aussi, pour donner finalement du sérieux philosophique à cette grosse farce, je me suis dit qu’il y avait de l’ironie à considérer que le gang de la clef à molette était peut-être une allégorie du tsunami (ou un cyclone, ou une éruption volcanique etc).
Et j’ai aussi repensé à Zarathoustra, à son célèbre « Le désert croît : malheur à qui protège des déserts ! » Une prophétie contre Edward Abbey ?
Mais tout ceci est bien sérieux. Retournons au gai savoir !
Hiroshima, Nagasaki, Fukushima, Tchernobyl, Sellafield, Harrisburg…
On chante avec Kraftwerk (faudra penser à rajouter un couplet pour Metsamor, belle centrale arménienne qui cumule tout de même deux avantages: conception soviétique et faille sisimique)
On chante La Java des Bombes Atomiques avec Vian.
On rigole on rigole.
Et pendant ce temps là en France…
(…on s’agite comme des pantins tout aussi mécaniques)