Alain de Chalvron témoigne depuis Tokyo | Vidéo

Publié le 14 mars 2011 par Lyriciste

« A Tokyo, l’ambiance est lourde » et les habitants « à bout de nerfs », témoigne l’envoyé spécial de France 2

Que redoutent le plus aujourd’hui les Tokyoïtes et les Japonais ? Un nuage radioactif ou une nouvelle forte secousse ?

« Le nuage radioactif », nous répond Alain de Chalvron. « Cette ville est bien préparée aux séismes. Les Japonais vivent avec. C’est le risque de leur pays et ils sont entraînés dès tout petits à y faire face. »

« En revanche, ils ne sont pas entraînés au risque nucléaire, pas plus que nous. Historiquement, avec Hiroshima et Nagasaki, le nucléaire a au Japon une charge émotionnelle plus forte qu’ailleurs. Les Japonais savent mieux que d’autres ce que causent les radiations. Ils savent aussi que ce n’est pas parce qu’ils sont à une distance de 300 km d’une centrale accidentée qu’ils seront épargnés. »


A quoi ressemble Tokyo aujourd’hui, comment les gens vivent-ils au quotidien ?
Je suis arrivé samedi matin à Tokyo. J’ai constaté aussitôt que la ville était moins animée que d’habitude. Mais c’était le week-end. Il n’y avait pas grand monde dans les rues, c’était un peu mort, même si les magasins étaient encore ouverts. Le violent séisme de vendredi a fait peu de dégâts, les immeubles ont beaucoup bougé mais ils ont tenu le choc. En revanche, les coupures d’électricité ont modifié la physionomie de la ville. La plupart des enseignes lumineuses sont éteintes, Tokyo n’est plus une ville lumière. C’est un peu glauque.

Aujourd’hui lundi, les gens ont repris le travail. Et là, ils sont tombés sur un problème. Ils ont  emprunté le train et le métro mais en raison du rationnement de l’électricité il y a eu de forts allègements dans les transports. Les travailleurs ont fait face à des attentes interminables et à d’importants retards. Certains de nos collaborateurs japonais sont arrivés au bureau à bout de nerfs. Mais la vie continue et les restaurants sont ouverts.

Les Japonais ont-ils confiance dans leurs autorités ou sont-ils de plus en plus critiques ?
Par tradition, ils sont confiants. Mais dans le contexte particulier du nucléaire, ils sont plus méfiants. Car il y a dans le pays une longue tradition de mensonge à ce sujet. Dans le passé, beaucoup d’incidents nucléaires, plus mineurs, ont été minimisés ou passés sous silence. Le lobby de l’électricité, Tepco en particulier, était très associé au gouvernement de droite précédent, qui est resté au pouvoir 50 ans. Aujourd’hui, c’est un nouveau gouvernement de centre-gauche donc ils ont tendance a lui faire plus confiance.

Avez-vous assisté à des scènes d’exode ?
Non. Car il faut encore pouvoir partir. Cela implique de quitter son travail, d’obtenir un congé, de trouver une place de train ou d’avoir du carburant pour la voiture. Certes, tous les industriels du nucléaire vivant à Tokyo semblent avoir eu un besoin urgent de prendre des vacances, mais tout le monde ne peut pas.

Et vous, comment vivez-vous cette attente ?
On s’accroche à quelques éléments positifs. Je pense que la catastrophe nucléaire n’est pas inévitable. Et que plus le temps passe, mieux c’est. En décidant de refroidir la centrale de Fukushima N°1 à l’eau de mer, les autorités ont pris une décision lourde, qui condamne la centrale. Mais cette stratégie commence à porter ses fruits. Et puis on peut espérer qu’en cas de nuage radioactif, le vent le poussera vers le Pacifique plutôt que vers Tokyo.

Dans ces conditions, arrivez-vous à dormir ?
Il faut savoir qu’il y a ici 8h de décalage par rapport à Paris (8h de plus). Donc, l’essentiel du travail des envoyés spéciaux et des correspondants se fait la nuit. Au moment du journal de 13h il est 21h à Tokyo et lors du 20h, il est 4 heures du matin. Donc, je ne dors pas. C’est ca le pire, la fatigue.

On est frappés par le calme, la dignité et le sang froid dont font preuve les Japonais sur les images qui nous parviennent. N’avez-vous assisté à aucune scène de panique ?
C’est extraordinaire mais c’est dans la culture du pays. Même angoissés, les Japonais restent placides. Pas le genre à crier ni à sortir de chez eux en s’arrachant les cheveux. La politesse ici est essentielle. On n’exprime pas ses sentiments, on est dans la maîtrise, même dans des conditions aussi extrêmes. Ce qui n’empêche pas l’ambiance à Tokyo d’être lourde.

Intervention du même reporter dans le 20h de Laurent Delahousse (France 2) dans laquelle il ne cache pas sa crainte pour sa sécurité et sur sa santé suite a la supposée catastrophe nucléaire :

Disons que ce n’est pas la situation la plus agréable qu’il m’ait été donné de vivre. C’était plus sympa, vous en conviendrez, de célébrer la victoire de Barack Obama ensemble à Washington (…) C’est surtout angoissant. Angoissant parce que le nucléaire est un mal insidieux, c’est sans odeur, sans couleur et on ne peut rien faire. On est angoissés parce qu’on est un fétu de paille. Quand on est dans une situation de guerre, en Irak par exemple, on sait plus ou moins comment se protéger, on sait prendre des risques calculés. Là, il n’y a rien à faire. Si cette centrale explose à 300 kilomètres d’ici, qu’est-ce qu’on va faire ? On va se calfeutrer, avaler des pastilles d’iode et on va espérer que ça passera de l’autre côté. Quant au risque d’un tremblement de terre, on espère que l’architecte qui a construit l’hôtel ne s’est pas emmêlé les pinceaux dans ses calculs, c’est tout ce qu’on peut faire«