Chose incompréhensible, à peine croyable : alors que la création de valeur est la priorité n°1 de tout entrepreneur et de tout investisseur, je n'ai pas le souvenir d'avoir lu un seul article, aussi bien en français qu'en anglais, sur le sujet. Tachons donc de réparer cette grave lacune.
Avant d'entrer en matière, je préviens que je simplifierai en plus d'un endroit. Cela dit, je ne pense pas que cela altèrera la justesse de mon exposé.
Pour bien saisir cette notion de création de valeur pour une start-up, il faut remonter à la création de l'entreprise.
Des personnes physiques se réunissent et décident de créer une entreprise, qui est ce que l'on nomme en droit une personne morale. Elles lui donnent un nom : la raison sociale, une adresse : la domiciliation, une tête : le dirigeant, et de l'argent : le capital social.
En contrepartie de cet argent, ces personnes reçoivent des parts de l'entreprise, qui sont pour ainsi dire des titres de propriété. Elles ont une valeur fixe, par exemple 5€. Les personnes ayant ainsi investi leur argent sont propriétaires de l'entreprise à proportion du nombre de parts qu'elles détiennent. Ainsi, si le total des parts constituant l'entreprise est de 10 000 et que l'un des fondateurs à investi 1 000€, alors ses 200 parts le rendent propriétaire de 10% de l'entreprise.
Quel est le but de ces investisseurs ? (Et cette question vaut pour les premiers investisseurs comme pour les suivants.) De revendre ces parts pour une valeur bien supérieure à 5€ - 50€, 500€ ou plus -, réalisant ainsi une plus-value. Leur but est donc que la valeur de leurs parts augmente. Dès lors, deux questions viennent naturellement à l'esprit :
- comment revendre ces parts ?
- comment les revendre le plus cher possible ?
Il y a dans l'ensemble deux façons de revendre les parts d'une entreprise : sur le marché boursier, après l'introduction en bourse de l'entreprise, et à une autre entreprise, après que celle-ci eut racheté aux investisseurs historiques leurs parts.
S'agissant de l'introduction en bourse, une partie des actions de l'entreprise est mise sur le marché boursier et tout un chacun peut les acheter ou les revendre, dont les investisseurs. Le cas le plus célèbre de ces dernières années est Google. En 2004, les actionnaires pouvaient revendre leurs parts à 100$ ; aujourd'hui, ils le pourraient à près de 600$.
Le rachat par une autre entreprise est la seconde façon de revendre des parts. Nous sommes ici au chapitre des fusions-acquisitions. Une entreprise se propose d'acheter les parts des investisseurs existants pour une somme donnée. C'est le cas le plus courant aujourd'hui, et qui a rendu riches tant d'entrepreneurs comme les fondateurs de YouTube, acheté 1,65 milliards de dollars en 2006.
Abordons maintenant la seconde question : comment revendre des parts le plus cher possible ? Pour savoir cela, il faut se pencher sur les motifs de l'acheteur, qui sont dans l'ensemble de trois ordres.
Le premier relève du marché. La start-up a conquis un marché : YouTube celui de la video en ligne, Google celui de la recherche en ligne, Flickr (avant Facebook) celui de la publication de photos en ligne, Bebo celui de la communication sociale entre (pré-)adolescents, etc.
Si la conquête de ce marché se traduit en revenus significatifs, comme Google, alors les deux options de revente vues plus haut sont possibles. Autrement, seule l'option du rachat est envisageable, comme c'était le cas de YouTube.
Cela montre un point important : une entreprise qui n'a pas de revenus peut voir ses parts achetées très cher parce qu'elle a accès à un grand nombre d'utilisateurs. L'acquéreur y trouve son intérêt parce qu'il sait comment la monétiser, parce qu'il a accès à des données précieuses pour son activité, parce qu'il pense que ce marché est stratégique pour les prochaines années (Google avec YouTube ou Microsoft avec Facebook), etc.
Le deuxième motif est le produit. Cela comprend les brevets, la prouesse technologique, l'ergonomie, le design… Pour l'acquéreur, c'est la possibilité de compléter son offre, d'entrer sur un nouveau marché, etc. Yahoo! a racheté ainsi de nombreux moteurs de recherche dans les années 2 000 : Altavista, AllTheWeb, Inktomi, etc.
Le dernier motif est l'équipe. Une start-up, même sans avoir conquis de marché ni un produit très finalisé, pourra être rachetée parce qu'elles est constituée de personnes de grand talent que l'acquéreur souhaite compter dans ses rangs. Marc Zuckerberg a dit que c'était là la principale raison des acquisitions de Facebook.
Bien sûr, ces motifs de rachat ne sont pas exclusifs les uns des autres. Quand Facebook a racheté Friendfeed, ce service avait déjà perdu la bataille contre Twitter : il n'était donc plus question de domination de marché ; mais la technologie était de premier choix et l'équipe du tout premier ordre. En particulier, le co-fondateur Bret Taylor est un des développeurs les plus talentueux de sa génération et il est aujourd'hui le directeur technique de Facebook.
Considérant cela, on comprend pourquoi la création de valeur doit être une obsession de l'entrepreneur et que pas une heure de son temps ne doit être investie s'il n'est pas convaincu qu'elle va tant soit peu augmenter la valeur de son entreprise.
Mais il faut bien dire aussi que, malheureusement, cette notion est si peu comprise qu'il doit également passer du temps à l'expliquer à ses partenaires financiers, qui la confondent bien souvent le chiffre d'affaires : rien de plus faux et de plus dangereux pour une start-up !