Passée l'émotion et lorsque les médias seront passés à autre chose : que restera-t-il ? Inutile de revenir ici sur la présentation des faits : depuis vendredi dernier, le Japon est victime d'une catastrophe naturelle meurtrière qui se double d'une angoisse profonde : celle d'une catastrophe nucléaire sans précédent. Il est possible d'analyser ce drame du point de vue technique, écologique ou politique. C'est une analyse juridique que je vous propose ici, laquelle est indispensable pour répondre à cette question : que faire maintenant ?
Avant de lire les lignes suivantes, je vous conseille la lecture de cet article paru sur "SLATE" et intitulé "Les atomes crochus des politiques avec le nucléaire" lequel a pour conclusion : "C'est pour cela que Fukushima ne remettra pas en cause la politique française de promotion du nucléaire" Je ne suis pas loin de penser que si la catastrophe de Fukushima représente une épreuve pour le nucléaire elle n'en signera pas tout de suite l'arrêt de mort.
L'analyse juridique qui suit me paraît donc nécessaire pour analyser la crise actuelle et savoir comment débattre de l'avenir de l'énergie nucléaire. La question du "comment" débattre n'a jamais été réellement posée s'agissant du nucléaire, elle est pourtant un préalable à celle de savoir quoi décider.
Soyons clairs : le drame en cours concerne d'abord la population japonaise vers laquelle nos pensées doivent aller. Reste que l'on ne peut ignorer que cette catastrophe interroge aussi l'option énergétique d'un Etat aussi nucléarisé que le nôtre.
Quel droit pour les générations futures ?
Les accidents nucléaires qui se déroulent en ce moment représentent un drame pour les générations présentes, pour toutes les personnes qui vivent à proximité - et peut être même loin - des centrales nucléaires dont les explosions à répétition nourissent un long cauchemar. Ces accidents représentent également un drame, ne l'oublions pas, pour les générations futures.
Le droit de l'environnement moderne a modifié la conception traditionnelle que nos sociétés ont de "l'intérêt général". Celui-ci doit désormais inclurele souci de l'intérêt des générations futures. La notion d'intérêt général qui est au coeur de la fondaton de notre Etat de droit et de bien d'autres concepts clés comme celui de "Service public" n'est plus donc uniquement centrée sur le présent mais intègre l'avenir. La prise en compte du droit des générations futures est indispensable pour que la conception des politiques publiques environnementales comprennent le long terme et échappe à la pression du court terme.
N'oublions pas que la Charte de l'Environnement qui a été promulgée en France par une loi du 1er mars 2005 précise :
"Qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins"
Ces mots ont une très grande importance. Ils orientent la manière dont nos choix publics doivent être élaborés. Si un débat a prochainement lieu sur la politique énergétique de notre pays, celui-ci ne pourra pas porter sur la seule satisfaction des besoins des générations présentes mais, plus globalement, sur les droits et intérêts - qui ne se limitent pas aux besoins - des générations futures.
A titre d'exemple, les opérations d'économies d'énergie ou de production d'énergie renouvelable n'obèrent pas le droit des générations futures de choisir son modèle énergétique. Nos enfants pourront se débarrasser de nos éoliennes, pas de nos centrales nucléaires et de leurs déchets radioactifs.
Les fuites radioactives en provenance des centrales impactées par le séisme et le tsunami qui s'en est ensuivi représentent donc une menace, non seulement pour l'existence même des hommes et des femmes qui sont aujourd'hui exposées aux conséquences de ces accidents mais aussi pour leurs enfants. La réponse à cette problématique ne peut être une fuite en avant dans le "toujours plus" de sécurité.
Le politique réduit au rôle de commentateur des commentaires des Experts
Ce qui frappe, à la lecture des réactions des responsables politiques tient à ce que ceux-ci, du Japon à la France, tient à ce que ceux-ci sont trés largement réduits à commenter des informations et décisions émanant de responsables non élus de la filière nucléaire : exploitants ou membres des autorités de sûreté nucléaire.
En France, le débat sur l'avenir du nucléaire suppose une réflexion sur notre démocratie. Je pense que la production d'énergie nucléaire est trés difficilement compatible avec les règle d'un système démocratique.
Il convient de rappeler que par une loi n°2006-686 du 13 juin 2006 "relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire", le politique a transféré à une "autorité administrative indépendante", soit "l'Autorité de sûreté nucléaire" le pouvoir d'information et de contrôle de l'activité du parc nucléaire français. Je m'étais engagé lors de son élaboration contre cette stupéfiante régression démocratique.
Un exemple ? Il suffit de lire le dernier article de la loi du 13 juin 2006 :
"Les fonctionnaires et agents affectés à la direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection ou dans les divisions de la sûreté nucléaire et de la radioprotection des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement ou mis à leur disposition à la date mentionnée à l'article 63 sont, à compter de cette date, affectés à l'Autorité de sûreté nucléaire ou mis à sa disposition dans les mêmes conditions. Ces derniers pourront, dans les conditions habituelles de gestion, retourner dans leur administration ou établissement d'origine à partir de la date visée à l'article 63."
Vous avez bien lu : tous les personnels compétents en matière d'énergie nucléaire sont désormais "affectés", non plus à un ou plusieurs ministres mais aux membres de l'Autorité de Sûreté nucléaire, lesquels ne sont pas élus ni responsables juridiquement. Les ministres en charge de l'énergie dépendent désormais de l'expertise délivrée par l'ASN.
Comment débattre du nucléaire ? Un référendum ?
Passée l'émotion que restera-t-il ? Un débat faut-il espérer. Ce débat a longtemps été refusé par la filière nucléaire : souvenez vous de ce qui s'était produit lors de l'ouverture du Grenelle de l'environnement. De même les débats organisés par la Commission nationale du débat public, pour l'EPR de Flamanville ou de Penly ont malheureusement été organisés à un moment où la décision de réaliser ces projets avait été définitivement prise.
L'idée d'un référendum est aujourd'hui défendue par des écologistes comme Daniel Cohn-Bendit.
Ce référendum aurait pour fondement juridique l'article 11 de la Constitution de la Vème République. Aux termes de cet article, c'est bien le Président de la République qui a l'initiative du référendum : il est peu probable que l'actuel président de la République - ni même le prochain - n'organise un tel référendum.
A supposer que le Chef de l'Etat accepte l'idée d'un référendum sur l'avenir de la politique énergétique du pays, il faut souligner que cette opération ne permet qu'un vote "oui" ou "non". Le débat est donc particulièrement simplifié alors qu'il est éminement complexe. Si la question était posée sur la base d'un texte, c'est la rédaction de ce dernier qui serait alors l'occasion d'un débat trés sensible. Outre le risque de la simplification, existe également celui de la personnalisation. C'est le caractère "plébiscitaire" du référendum qui peut poser problème : certains électeurs, par manque d'intérêt ou de temps, peuvent choisir de s'en remettre à l'appréciation d'un homme ou d'une femme politique en qui ils placeraient leur confiance. Or, notre personnel politique n'est, sans doute pas, majoritairement anti nucléaire.
En d'autres termes, le référendum ne peut avoir lieu dans de bonnes conditions, sans débat préalable sur un plan de sortie du nucléaire. Les conditions de rédaction de ce plan seront particulièrement délicates. Il existe depuis les années 60 un consensus qui va de la droite à la gauche sur notre modèle énergétique. Les débats parlementaires préalables au vote de la loi NOME (nouvelle organisation du marché de l'électricité) en offrent un exemple récent.
Certes des voix s'élèvent aujourd'hui à droite comme à gauche pour remettre en cause le dogme d'un service public fondé sur un monopole (EDF) et une énergie (le nucléaire).
Le salut viendra-t-il de l'Europe ? La notion de mix energétique versus "low carbon technologies"
La France sera tôt ou tard contrainte d'avancer et de réduire la part du nucléaire dans son mix énergétique. Paradoxalement, la France a contribué à cette situation.
C'est en effet alors qu'elle assurait la présidence de l'Union européenne qu'a été définitivement approuvé le paquet européen énergie climat composé d'un ensemble de textes, notamment relatifs aux énergies renouvelables, regroupés autour d'un même ambition : le "3x20". Cet objectif consiste notamment à porter à 20% la part d'énergies renouvelables dans notre consommation finale d'énergie.
En droit de l'Union européenne, le nucléaire n'est pas au nombre des sources d'énergies renouvelables. En conséquence, ses partisans se battent actuellement pour créer une nouvelle catégorie juridique à savoir celle de "Low carbon technologies" parfois traduite par "énergies décarbonées".
Reste que la part écrasante du nucléaire dans notre mix énergétique, comme spécificité française, devrait être fortement remise en cause. Et déjà, les coups de frein imposés aux filières éolienne et solaire apparaissent incongrus.