Régulièrement, le monde est traversé de catastrophes naturelles majeures, qui offrent via le déploiement des réseaux de communication très rapidement un flot d’images qu’il n’est pas toujours évident de contenir et d’apporter à chaque fois l’expertise ainsi que le regard distancié que ces événements devraient générer.
En effet, dans le cas de la catastrophe qui a eu lieu au Japon, le nombre de documents vidéos qui s’est trouvé être à disposition des antennes a très rapidement était considérable. Plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, le Japon est un pays considérablement développé économiquement, ce qui implique un équipement individuel en dispositifs vidéos et d’enregistrements très important des locaux (ainsi que des touristes naturellement). Toute cette matière a ensuite été mise à disposition sur Youtube. Par ailleurs, le Japon étant une place fort du monde, les plus grandes rédactions du monde (presse, télévision, radio) disposent de bureaux au Japon, ce qui a permis une réactivité très importante de ces dernières. Notons que le Japon possède également une chaîne d’information internationale en continu, NHK, qui dans le cas présent, a été un extraordinaire pourvoyeur de vidéos. Enfin, le Japon possède également une caractéristique non négligeable dans cet afflux massif de vidéos qui est son hyper-connexion au réseau virtuel et sa très forte utilisation des plateformes sociales ou de partage.
Ces éléments, par ailleurs, ne sont pas du tout exclusifs au cas du Japon et l’on se rend compte désormais que dès qu’un événement majeur se produit sur la planète, les mêmes éléments sont convoqués, selon la puissance de chacune de ces caractéristiques dans le pays concerné. L’exemple du Japon est tout de suite impressionnant de ce point de vue, car la convergence de tous ces éléments a produit très rapidement un contenu d’une très grande densité.
Dès lors, comment les rédactions françaises ont réagi face à ce robinet à vidéo ininterrompu ? Majoritairement en diffusant, re-diffusant et multi-diffusant les images les plus significatives de la catastrophes, celles générant la plus forte émotion pour le public. Images aériennes prisent depuis des hélicoptères de presse (NHK principalement) ou via des particuliers, les derniers jours ont vu régulièrement de nouvelles vidéos faire la une des éditions spéciales qui se sont succédées. Ne m’étant pas attaché à chronométrer exactement les durées entre chaque rediffusion des vidéos, mes observations oscillaient entre toutes les quatre à cinq minutes.
Dans les faits, cela correspond à intercaler des explications, des interviews ou des duplex avec des envoyés spéciaux entre deux clips émotionnellement forts. Dès lors, quelle place a la rationalité d’un discours, d’une explication, d’une expertise lorsque le flot vidéo submerge régulièrement les paroles ? Dans un contexte où les nouvelles informations se succèdent (ce qui en soi va dans le déroulé de la situation) tout comme les vidéos, comment parvenir à la démonstration ?
La démonstration doit s’appuyer sur des éléments tangibles qui ne sont pas en remous perpétuel. Démontrer, c’est synthétiser une situation par des éléments collectés puis assimilés dans un objectif d’information. Dans cette situation particulière, les seuls éléments de démonstration concrets apportés par les chaînes fûrent des cartes montrant les lieux touchés, l’épicentre du séisme, une cartographie des zones à risque, etc.
Mais dans le concert émotionnel et compassionnel qui s’est mis en marche, les cartes, schémas, animations appuyées et étayées par les spécialistes n’ont que peu de poids et d’importance face à la détresse et la misère des images en direct venues de l’autre bout du monde. L’événement est encore trop proche pour que le système médiatique puisse se passer de cette émotion de l’instant, mais à trop en faire, la surdose n’est pas loin et la compassion peut très prochainement se transformer en désertion délaissant ainsi la thématique de l’intérêt du grand public.