Louise Labrecque
Je voulais écrire un article sur la liberté. Une liberté toute simple, sans nostalgie, sans tartufferies, pleinement assumée en tant que telle, c’est-à-dire une force vive. Parfois, j’ai l’impression que c’en est trop (trop d’antécédents catholiques, trop de luttes pour les valeurs, trop de complaisances), et puis soudain, avec une exquise et somptueuse simplicité, tout s’éclaire : certaines sociétés ont tout simplement peur de la liberté, comme elles ont peur de la beauté, et de la vie. Ainsi, faut-il s’interroger et réfléchir sur ce que nous voulons, et pouvons réellement faire à présent, et ce que veut dire vraiment la liberté à l’intérieur d’une société , et comment y tendre, avec le meilleur de nous-mêmes, en dépit de la miasme épaisse de conneries, qui ne cesse, de toutes parts, de brosser un tableau illégitime de la société et du Québec dont nous aimerions pourtant être fiers, formé d’hommes et de femmes libres, bons, sans principe spirituel, mais capables de réelle grandeur. Un tel propos porté sur les Autres ne doit cependant pas être un jugement sur la singuliarité de ce que devrait être, par exemple, et je déteste l’expression , une « âme nationale ». Il faut se débarrasser de ce jargon, pour grandir et mûrir hors des cultes nationaux ou politiques, renforçant les idéologues et actions articulées à la puissance mille pour entretenir les cliques d’extrémistes et ses suiveurs. En effet, à mesure qu’une société enseigne la grandeur, elle touche à la liberté, non pas celle que l’on dévisage, dont on a peur, mais la liberté qui a grandit au fur et à mesure, et qui marche toujours aujourd’hui d’un si bon pas. Bref, poser cette recherche comme une évidence de nos combats individuels et collectifs, en ces temps de métamorphose; ainsi une pensée assumée et défendue simplement et qui se renouvelle aussi longtemps que nécessaire, aussi modeste et méprisée soit-elle, deviendra bientôt ce qui nourrira le monde . C’est qu’il en faut du temps afin de naître, renaître, et être réellement actifs dans la quête de ce qu’est notre singularité à l’intérieur et à l’extérieur des voies distinctes de nos possibles, et cela sans projet , ou même sans « identité nationale ». En effet, c’est toujours celle-ci qui nous amène sur des terrains amères, car ceux qui n’ont pas les mêmes racines sont nombreux et peuvent se sentir rejetés, « déracinés », et c’est toujours ainsi que débute un pouvoir totalitaire. En somme, j’aimerais m’attarder davantage à la problématique de notre mémoire, d’une part, pour ensuite entrer dans la réflexion plus profonde de nos mémoires comparées, vaste sujet s’il en est, et dont je sais, par avance, qu’il déborde largement le cadre de cet article, et qu’il ne suffira pas à approcher les grandes articulations en elles-mêmes (conscience historique) et philosophiques. Ainsi, je propose donc cet article, comme démarche de réflexion personnelle, avec l’idée d’y revenir plus tard, à l’intérieur d’un manuscrit plus touffu, et s’il est vrai que l’État s’est construit sur le territoire et la nation, je me laisserai tenter par les annales, ces déterminants ayant portés au cœur des hommes l’éclosion du fameux « sentiment national », et je tenterai, d’autre part, de percer le jour de cette « Terre d’excellence », dont parle souvent nos amis européens, et qui n’est, en somme, que la mesure de ce qu’ils aiment cultiver (je pense aux arts, à la musique, et à la peinture) et qu’ils appellent « singularité ». En effet, tout cela est presque charnel, et dépasse l’identité nationale, je le répète. Finalement, je terminerai avec la conclusion, permettant d’ouvrir sur un pourquoi (pour qui veut goûter la saveur de cette dette envers les morts que nous aimons trop souvent entretenir sans trop de perspective; ce qui donne un drôle de goût à la conscience patrimoniale).
Singulier équivoque
Quand deux puissances se rencontrent dans l’histoire, cela est toujours un spectacle rare. Nous sommes nés de cette rencontre, et il va sans dire que le pays ne serait pas le même sans elle; maintenant, ces deux forces doivent concourir à la durée, en se fortifiant l’une de l’autre, afin d’établir la conquête de cette liberté, la conquête de l’homme et de tous les hommes. Ainsi, l’harmonie évite les antagonismes ruineux, et une nation peut enfin déployer ses ressources cachées, sa réelle intelligence, afin non pas de se soumettre, mais d’exercer sa force sur son époque, pour la « transfigurer », la renverser, et cela pour mieux tendre au perfectionnement exigeant de ce que la nouvelle idée économique -et ses nouveaux besoins- supposent, c’est-à-dire tourner la page sur le rôle des deux éléments de supériorité, pour partir enfin à la recherche d’une nouvelle forme d’union, sans sabotage, sans faux frères, et sans protestation d’amour envers la patrie; et en même temps loin des recherches de vérités fondamentales, car tout est à reconstruire : la maison paternelle, nos cœurs meurtris, et les hauteurs nouvelles à gravir afin de tendre à la réelle grandeur, à tout ce dont nous sommes capables, et plus encore. Pour cela, il ne faut plus se contenter d’écrire ou de dire, ni de rechercher quelques ivresses dans les préservations antérieures, car s’enivrer à saisir le passé, cela revient à dire que l’histoire est en dette avec ses morts. Or, l’allure du temps a changé; les faits d’aujourd’hui sont plus graves, -bien que moins remarqués-, et je me demande jusqu’où ira l’observation de masse, afin de se forger une véritable liberté de conscience individuelle, une conscience non pas nationale, historique ou ancestrale, mais une conscience où habite des milliers de morts, sans néanmoins être en deuil perpétuel. Il y a du sacré dans la terre et la profondeur des grands cimetières (véritables lieux d’art ). Mais qui a dit que pour être un être conscient, harmonieux, en paix avec lui-même et les autres, il fallait nécessairement passer par l’identité nationale, ou une vie soumise à la terre, aux morts, et/ou des idées-racines obscures ? En réalité, je m’inquiète de cette persistance à voir la nation qu’au-travers « un vaste amas raciné » (dixit Barrès), et je crains le pire de cette «religion » nationale dont il est facile de mémoriser l’enseignement primaire : le culte de la patrie, encore et toujours, quitte à enterrer vivante les plus grandes espérances de notre réalité actuelle, et à venir. Bref, j’aime le Canada, j’aime le Québec, j’aime les vivants et les morts, -et toutes les sociétés-, mais sans culte de la patrie, du pays, des cultures. La singularité de chacun doit être érigée sans traitements spécifiques, sans représentation culturelle, sans dimension corps-objets, et autres séries complexes d’entités religieuses et/ou surnaturelles-symboliques. En effet, nous sommes actuellement en transformation : transformation d’état, transformation de société, mais nous allons conserver notre essence, nous ne risquons rien à nous ouvrir et à muter vers autre chose. Nous avons au Québec ( et en chaque nation), quelque chose d’immuable. Ainsi, soyons détachés de tout ce passé, ce cachet distinctif, ce sens de la race, ce prestige sans égal de la papauté, et ne conservons que l’œuvre de l’heure, sans obscurantisme, sans aucun angle mort. Personne jusque là n’a songé à cette simple chose : notre historiographie nationale vit au-travers des symboles désuets, qui perdent ainsi de leur éclat à force de se ramener tout le temps au centre du foyer de l’identité, et ainsi nous perdons la chance d’apprendre à se composer une mémoire nouvelle, joyeuse, sans formule comparative, et motivée par autre chose que les patrimonialisations d’elle-même, sans fin, comme des poupées russes. En fait, il faudrait inventer dès maintenant un nouveau Québec, un nouveau discours, un nouveau genre. Je rêve bien sûr, mais nous serions ainsi enfin en rupture avec notre continuité, et -que nous le voulions ou pas-, cela porterait le flambeau de la réelle ambition universalisante. Ayons donc la bonne idée de nous actualiser dès maintenant afin de ne pas découvrir, sous la loi de la mémoire de plus en plus étriquée, un passage décisif bien pire encore ! Ainsi, avec la sempiternelle traversée des terres arides des morts, nous deviendrons ni plus ni moins folkloriques, mythologiques, sans triomphe face à cette société/information-spectacle, qui ne libère rien, sinon de nouvelles concurrences dans un marché économique déjà fragile. Il n’y a plus de courants politiques qui vaillent, plus de journaux réellement affranchis des dogmes; et il est vrai que notre pays vit actuellement des heures très difficiles. Petit à petit il faudra pourtant s’accorder avec cette modernité, ce nouveau libéralisme, afin de retrouver réellement chaussure à son pied, car la démocratie évolue, la société progresse (que nous le voulions ou pas,) nous assisterons plus tard, à une nouvelle époque glorieuse, si nous avons la sagesse et la conscience libre, et enfin tirée de la pourriture moribonde des hypocrisies, complices jusque dans les murs et les monuments, tout désireux de nous alléger en nous dépouillant, tout heureux de nous instruire des malheurs par ses tristes exemples, et sous la prétention de nous pousser dans le mouvement commun , nous devenons méconnaissables, dépourvus de morale, sans maturité digne de ce nom, et surtout incapables de nous fortifier par le mouvement économique et ses œuvres. La patrie que nous voulons n’est plus celle que tout petit on nous avait appris à aimer : les temps changent, de nouveaux fils de la liberté sont en train de naître, au moment même ou j’écris ces mots. Ce que nous voulons, c’est de bâtir un nouveau chez-soi, rempli de noblesse, de richesse, d’honneur, de joie, de liberté, pour enfin rentrer fièrement à la maison, et pour de bon.