De l’autre côté de la rue, là-bas, il y avait cette porte en verre qu’elle n’osait franchir. Elle avait rendez-vous, et elle était en retard. Tout à l’heure, juste à la descente du bus, ses jambes s’étaient dérobées sous elle, elles ne la portaient plus. Alors, elle s’était assise sur ce banc, pour se reposer, et pour réfléchir un peu, tenter de reculer cet instant où le carillon de l’entrée de l’agence immobilière scellerait son destin, pour toujours.
Lui revenaient des images d’elle et de lui dévalant les marches de Montmartre, son rire en cascade, leurs doigts enlacés… Lui revenaient des images de bonheur et de déceptions mélangées…
Il ne savait rien de tout cela, ne connaissait pas cet endroit, ni son départ, ni cette petite maison qu’elle s’apprêtait à louer. Il ne savait rien d’elle. C’est pour cela qu’elle le quittait, pour retrouver la liberté de sa solitude, pour éviter de continuer de la partager, avec lui.
Dans un mouvement brusque, elle se décida enfin et se leva. La porte vitrée fit un bruit de carillon lorsqu’elle la poussa, familier, elle était déjà venue. « Bonjour, je suis madame M., je viens chercher mes clés et faire l’état des lieux. Je suis désolée, je suis un peu en retard. »
Le jeune homme qui l’accueilli était celui qui lui avait fait visiter l’endroit il y a quelques jours. A la vue de sa cliente, son visage s’éclaira d’un large sourire, un brin commercial. Elle se demanda si il l’avait aperçu sur son banc tout à l’heure, si il la prenait pour une vieille folle. Son regard ne trahissait rien, ses mains cherchaient fébrilement son dossier. Enfin, avec le même sourire accroché au visage, et un air de victoire adolescent, il lui donna solennellement les clés de la maison.