Une fois de plus, Arte a choisi de coller aux modes de la période en finançant et en diffusant le 15 mars prochain, après Le Monde selon Monsanto, le dernier film de propagande de Marie-Monique Robin : Notre poison quotidien [1]. Il s’agit cette fois-ci de dénoncer les conséquences de l’utilisation des pesticides dans l’agriculture et des additifs alimentaires dans l’industrie alimentaire.
Au cours des derniers mois, la liste des « documentaires » télévisés, films ou livres grossièrement manipulateurs sur le même thème [2] est impressionnante, la campagne de dénonciation de l’« agriculture productiviste », des méfaits du progrès [2], des catastrophes sanitaires que représenteraient d’infimes quantités de résidus présentes dans nos aliments.
Après avoir visionné la bande annonce du docu-fiction de Marie-Monique Robin, lu les « bonnes pages » de son livre publiés sur son blog et dans la presse, entendu ses interviews, on est fixé. Elle reprend à son compte l’intégralité des poncifs sur le thème, et les mêmes recettes qui ont fait le triste succès du Monde selon Monsanto : mensonges, ragots, interprétations fallacieuses, omissions, raccourcis, insinuations, images fortes, abus méprisable de l’émotionnel, inepties pseudo-scientifiques. L’originalité (mineure) de son œuvre par rapport à ses concurrents est qu’elle concentre son tir sur la manière dont sont évalués et règlementés les pesticides.
La poche à venin étant de loin l’organe le plus développé de la journaliste, c’est bien entendu pour cracher sur les toxicologues plutôt que d’essayer de comprendre leur méthodes et concepts. Mentionnant son très ancien BAC C qu’elle arbore plus fièrement que s’il s’agissait du Prix Nobel, Marie-Monique Robin affirme que tout cela ne serait que de la « pseudoscience » – ce qu’en adepte du paranormal, elle est particulièrement bien placée pour juger ! – et que l’activité des scientifiques se bornerait à fournir des alibis aux empoisonneurs : « les toxicologues du 20e siècle ont abusé de son nom [Paracelse, auteur de la formule selon laquelle « c’est la dose qui fait le poison »] pour justifier la vente massive de poisons. » Du haut du même « bon sens élémentaire » qui émaille les discussions éthylisées du comptoir du Café du Commerce, Marie-Monique Robin enfonce le clou : « Je dis bien ‘poisons’ et ‘contaminent’, car si ces substances ne présentaient pas de ‘risques’ pour la santé humaine, nous n’aurions pas besoin de réglementer leur usage. » explique la gourde, certaine d’avoir touché une vérité profonde.
Nous nous chargeons donc de distribuer gratuitement sous la forme de ce feuilleton quelques dose de contrepoison pour résister au Poison quotidien de Marie-Monique Robin. Nous réfuterons ses mensonges, puis nous consacrerons un dernier billet à examiner les ficelles qu’elle utilise, avec la complicité d’Arte et d’une bonne partie de sa corporation, pour manipuler le monde .
Robin et l’espérance de vie
Loin de nier la réalité des problèmes posés par l’utilisation de certains pesticides, que ce soit en termes de santé ou d’environnement, l’individu raisonnable reconnaîtra que les agriculteurs n’en utilisent ni pour le plaisir de polluer ni dans le but de s’intoxiquer, d’autant plus que ceux-ci peuvent parfois entrer pour plus de 10% des charges d’exploitation agricole. S’ils sont utilisés, c’est bien qu’ils ont une utilité, qu’ils servent à lutter contre les ravageurs et les maladies des plantes qui outre les pertes qu’elle génèrent, peuvent avoir des conséquences sur la qualité des aliments qui en sont issus. Pensons notamment aux aflatoxines ou aux fumonisines, sources de maladies graves.
L’idée de mettre en balance des avantages et inconvénients étant incompatible avant la pensée primaire, Marie-Monique Robin écarte donc tout avantage pour ne retenir que le poison que représenteraient les pesticides, et ce à n’importe quelle dose, dénonçant la « folie chimique » [3] qui sévirait depuis 60 ans.
Une folie qui amène bien sûr certains intervenants à formuler une remarque judicieuse : « Quand est-ce qu’un vrai documentaire essayera d’éclaircir le très angoissant mystère de l’allongement de notre espérance de vie malgré l’abondance croissante des poisons dans notre alimentation et notre environnement, croissance programmée par les responsables politiques et les industriels de l’agro-alimentaire et de la chimie en vue de rétablir les comptes de l’assurance vieillesse, objectif mis à mal par ce mal mystérieux qu’aucun journaliste n’a essayé d’élucider. Que fait la presse ? Que fait MMR ? » (Laurent Berthod).
(Illustration René Le Honzec)
Confrontés à ce défi à la logique, les prédicateurs de l’apocalypse ont toujours nié la contradiction où l’ont contourné en allant pêcher à la foire aux hypothèses. Le ridicule ne tuant pas, Marie-Monique Robin affirme : « j’ai bien sûr traité [le sujet] de fond en comble avant de me lancer dans mon enquête sur les produits chimiques ». Un sujet qu’elle a tellement fouillé qu’elle s’est abstenu de consulter les données statistiques disponibles…
« Àchaque fois, des participants m’ont posé une question clé à propos de l’espérance de vie qui n’a cessé d’augmenter au cours des dernières décennies dans les pays dits ‘développés’. Cet argument est régulièrement utilisé par les industriels ou les représentants des agences de réglementation pour dire que finalement tout va bien et que les effets de la pollution chimique ne sont pas si graves puisque nous vivons de plus en plus vieux.
Malheureusement, comme on pouvait s’y attendre, cet argument a fait long feu : ainsi que le révélait Le Monde, le 27 janvier 2011, l’espérance de vie des Américains a baissé pour la première fois de leur histoire (elle a baissé de 1,2 mois par rapport à 2007) [...] »
« Cet argument est régulièrement utilisé par les industriels ou les représentants des agences de réglementation… » Marie-Monique Robin ne va pas tarder à nous expliquer que les statisticiens de l’INED sont aussi des vendus !
Mais revenons sur les chiffres américains que Marie-Monique Robin n’a pas daigné consulter. Le Monde n’a bien sûr rien révélé, c’est le Département de santé américain qui a mis en évidence une baisse de 0,1 année de l’espérance de vie en 2008. Un fait que les scientifiques américains se gardent bien d’interpréter à la va-vite, à la façon dilettante de Robin, et qui n’annonce aucune tendance particulière. Contrairement aux affirmations de celles-ci, ça n’est pas la première fois que l’espérance de vie diminue aux USA : dans un passé récent, elle a diminué en 1981 et en 1993. Mais en-dehors de ces accidents, elle a augmenté de manière continue et les américains ont gagné plus de 4 d’espérance de vie depuis 1980. Personne ne peut préjuger de l’évolution des prochaines années, à part une journaliste qui a besoin de cette hypothèse pour justifier son commerce de la peur. On notera seulement que cette légère baisse est due à une augmentation de la mortalité dans la seule catégorie des 85 ans et plus, celle-ci étant en baisse dans toutes les autres tranches d’âge. Le taux global de mortalité standardisé selon l’âge a même diminué, passant de 760,2 pour 100.000 à 758,7 pour 100.000. Et rien dans l’évolution des causes de décès ne permet d’orienter vers les obsessions anti-pesticides de Marie-Monique Robin.
Il n’est bien sûr pas question de nier les graves problèmes de santé aux USA , notamment liés à l’obésité, ni les inégalités criantes, notamment entre les blancs et les noirs. Mais qui prend la peine d’étudier un minimum les chiffres observe un tout autre tableau que celui dépeint par Marie-Monique Robin qui ne craint pas de se lancer dans un pari morbide : « Il y a donc fort à parier que l’espérance de vie européenne va aussi chuter dans les années qui vont venir, car nous suivons toujours les États-Unis quelques années plus tard ». N’allez surtout pas lui dire qu’en matière d’espérance de vie, ce sont les États-Unis qui sont nettement en retard. L’espérance de vie est en effet plus élevée dans la plupart des pays européens (du moins de l’Europe des 15) et celle de la France dépasse de 3 ans celle des États-Unis. 35 ans d’espérance de vie ont été gagnés depuis 1900, et rien n’indique que le phénomène ne s’inverse ni même que l’espérance de vie se stabiliserait.
Sur quoi Marie-Monique Robin fonde-t-elle alors son « pari » ?
« Les personnes âgées d’aujourd’hui, celles-là mêmes sur lesquelles nous nous basons pour chanter l’augmentation de l’espérance de vie, ont toutes entre 70 et 90 ans. Elles sont nées bien avant la guerre, c’est-à-dire avant que l’environnement ne soit massivement pollué par les quelque 100.000 molécules chimiques qui ont été mises sur le marché, au cours des cinquante dernières années. Les vieux d’aujourd’hui ont grandi dans un environnement sain. Or, on sait que les produits toxiques qui contaminent notre environnement et y compris notre alimentation ont un effet d’autant plus grand que le sujet exposé est jeune. »
À sa décharge, Marie-Monique Robin n’a pas inventé cette ânerie : selon Dominique Belpomme, « les centenaires d’aujourd’hui sont nés avant la guerre, ils n’ont pas connu la pollution. ». Selon Jean-Paul Jaud, autre fanatique de la cause anti-pesticides : « Mon papa a 87 ans ; quand il était gamin, il mangeait bio, il mangeait naturel. Aujourd’hui, ceux qui ont entre 80 et 100 ans ont mangé bio à la cantine scolaire. » [4]
C’est à se demander pourquoi, l’espérance de vie ne dépassait pas 45 ans en 1900 et pourquoi le nombre de centenaires a été multiplié par 13 depuis 1970 : coriaces, ces gens exposés depuis plus de 60 ans à la « folie chimique »…
Il faut croire que des maux bien plus graves que la « folie chimique » sévissaient à l’époque bénie où « on mangeait bio », où la mortalité infantile était équivalente à celle de l’Afghanistan aujourd’hui (150 pour mille). Elle est de 3,6 pour mille en 2010 [5], alors qu’elle était encore de 13,4 pour mille en 1975.
D’autre éléments ruinent définitivement les gourderies de Robin sur l’espérance de vie. En particulier le fait que la mortalité ait diminué depuis 35 ans à tous les âges : elle a été divisée par 2 pour les personnes de 60 à 80 ans, précisément celles qui sont nées ou ont grandi dans l’enfer chimique rêvé par Marie-Monique Robin.
(À suivre : Marie-Monique Robin et les cancers – Marie-Monique Robin réinvente la toxicologie)
Notes :
[1] Relayés par la campagne d’ affiches-choc et hyper-agressives du FNE À l’attention de l’occasion du salon de l’Agriculture.
[2] Qui se double bien entendu d’une nostalgie rance du « bon vieux temps », comme dans le cas d’Isabelle Saporta , auteur du Livre Noir de l’agriculture : « Loin de se contenter de brosser un tableau alarmiste, Isabelle Saporta avance des solutions simples. Pour les trouver, il suffit de savoir écouter ceux qui connaissaient le monde avant son délire productiviste. Ceux qui, aujourd’hui, travaillent d’arrache-pied à remettre les champs dans les sillons du bon sens paysan. »
[3] Bien entendu, conformément aux superstitions écologistes sur le naturel bon par essence , « chimique » ne désigne dans la bouche de Marie-Monique Robin and co que la chimie de synthèse.
[4] Cité par Alerte Environnement.
[5] Stable il est vrai depuis quelques années alors qu’elle continue à diminuer dans d’autres pays européens, et elle n’est que de 2 pour mille au Japon.
Toutes les citations de MMR sont extraites de son blog.
Ressources documentaires sur l’espérance de vie et la mortalité et ses causes (y compris des aspects non abordés ici) :
http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/04-disparites-p1.pdf
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATnon06228
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=nattef02221
http://www.ined.fr/fichier/t_telechargement/31664/telechargement_fichier_fr_copie.de.sd2008_t70_fm.xls
http://www.cepidc.vesinet.inserm.fr/inserm/html/excel/rmi2000.xls
http://www.ined.fr/fr/tout_savoir_population/fiches_pedagogiques/duree_de_vie_deces_mortalite/mortalite_infantile_france/
http://www.ined.fr/fr/tout_savoir_population/fiches_pedagogiques/duree_de_vie_deces_mortalite/mortalite_infantile_monde/
http://www.ors-idf.org/index.php/ortalite-infantile?start=1
http://www.cepidc.vesinet.inserm.fr/inserm/html/excel/rmi2008.xls
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ip1025.pdf
http://voices.washingtonpost.com/checkup/2010/12/life_expectancy_drops_in_us.html
http://www.cdc.gov/nchs/data/nvsr/nvsr59/nvsr59_02.pdf
http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/dossiers_web/dev_durable/esperance_de_vie.jpg
http://www.cepidc.inserm.fr/inserm/html/pages/ICD-9FR/430_438.htm
http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1319/ip1319.pdf