Le fiasco du 787, succčs commercial remarquable en męme temps que lancement industriel raté, est assuré de devenir un cas d’école. Aucun spécialiste n’a compris comment le grand avionneur américain, fort d’une expérience unique au monde, avait pu sous-estimer ŕ ce point les problčmes ŕ résoudre pour lancer dans de bonnes conditions ce long-courrier de nouvelle génération. A force de courir derričre le retour sur investissement optimal et de confier des responsabilités sans précédent ŕ des partenaires lointains, Boeing a failli perdre le contrôle du déroulement de son programme. Dans le męme temps, il est vrai, quelques-uns de ses principaux partenaires avaient tout ŕ la fois sous-estimé eux aussi les problčmes ŕ prendre en compte et surestimé leurs capacités ŕ les résoudre. D’oů les retards accumulés du 787 et des dépassements de coűts qui, dit-on, dépasseraient les 10 milliards de dollars.
Curieusement, l’analyse de ce chaos n’est pas terminée et, de toute maničre, elle n’est pas sur la place publique. L’équipe dirigeante de Boeing a fait, ŕ sa maničre, acte de contrition mais ne s’est pas vraiment expliquée. Peut-ętre certaines raisons sont-elles trop simples, voire simplistes, pour ętre évoquées ouvertement. Ainsi, l’une des justifications du choix de confier d’importants sous-ensembles ŕ des partenaires étrangers insuffisamment aguerris (Alenia, par exemple) serait la charge de travail démesurée du bureau d’études de Seattle et la nécessité d’en externaliser une grande une part, méthode permettant par la męme occasion de réduire l’investissement initial.
Boeing a sans doute ręvé d’une autre maničre de produire des avions, en se réservant la conception, l’assemblage final et les essais mais en confiant une grande partie des tâches moins nobles ŕ des entreprises en quęte de plan de charge, sans plus. Cette approche est complexe et exige un grand savoir-faire et elle a rarement été appliquée, l’exemple de référence étant celui de Dassault Aviation. D’oů la Ťsurfaceť relativement modeste de l’entreprise produisant le Rafale et la gamme trčs en pointe des avions d’affaires Falcon. Le cas Dassault est connu de longue date des Américains depuis l’époque lointaine oů les tętes pensantes de la Rand Corporation, tęte chercheuse de l’USAF, l’ont étudié dans ses moindres détails.
Quoi qu’il en soit, en choisissant ce cap, Boeing a commis une erreur. Depuis 2007, les responsables des avions commerciaux de la société (ŕ commencer par Mike Bair, qui fut le premier patron du programme 787), tirant les leçons d’événements coűteux, en dollars et en réputation, envisagent une étonnante volte-face. A savoir de se diriger vers une maničre de faire diamétralement opposée, une forme d’unité de lieu. Les grands partenaires seraient incités, voire obligés, de s’installer ŕ proximité de la chaîne d’assemblage final des programmes auxquels ils participeraient. Ce serait un Ťclusterť (le terme est aussi utilisé en franglais) industriel fait d’entreprises fortes de liens étroits, placées sous le contrôle vigilant du maître d’œuvre.
Ces jours-ci, ce concept est ŕ nouveau évoqué, toujours par Mike Bair et plusieurs de ses collčgues de haut rang. Le jargon aéronautique, du coup, s’est enrichi d’une nouvelle expression, Ťsuper siteť, super site industriel. Et il est d’ores et déjŕ question de la maničre de bientôt passer de la théorie ŕ la pratique, la premičre occasion ŕ se présenter étant le lancement du successeur du 737. Des noms de sites susceptibles d’accueillir de tels parcs industriels sont déjŕ cités, émoustillant quelques chambres de commerce et d’industrie et autres notables locaux.
Les errements de Boeing puis l’apparition de cette nouvelle théorie sont indubitablement observés avec la plus grande attention par EADS et Airbus. Certes, l’unité de lieu (toute relative) est de mise chez Airbus, męme si les sites de production sont répartis entre quatre pays, une particularité tout ŕ fait incontournable liée aux origines de la société, née sous forme d’un groupement d’intéręt économique . En revanche, la maničre de se décharger d’unités de production, filialisées et devenues Aerolia et Premium Aerotec, par exemple pourrait bientôt correspondre ŕ une stratégie éphémčre si les réflexions en cours outre-Atlantique se concrétisent. Il y a lŕ, en tout cas, matičre ŕ débat, sur base de la réflexion née ŕ Chicago et Seattle. C’est plutôt ennuyeux dans la mesure oů l’on aurait volontiers vu les Européens s’arroger ce rôle de refonte d’une industrie qui, décidément, n’en finit pas de courir aprčs la maturité.
Pierre Sparaco - AeroMorning