A Bruxelles, le Monarque se pavane...
Vers 1h25 du matin, dans la nuit de vendredi à samedi, Nicolas Sarkozy s'est adressé 21 minutes aux journalistes français encore présents dans la salle de presse, pour le second objet de sa réunion européenne à Bruxelles, un sommet de la zone euro. Quelques heures auparavant, il s'était déjà montré pendant 40 minutes pour déclamer ses menaces, sans action, contre la Libye. Le colonel Kadhafi s'en fichait quelque peu. Ses troupes, mêlant mercenaires et soldats réguliers, avaient continué de repousser l'opposition désormais recluse à Bengahzi et dans l'extrême est du pays. Encore quelques jours, et le tour sera joué. On aura vite oublié les rodomontades du président français.
Le monarque Nicolas était vraiment content, mais surtout épuisé. Il n'avait pas le choix. Il fallait un accord avant lundi, date où la Finlande gelait toute prise de décision pour des mois, période électorale oblige. Il s'accrochait à son texte, pour énoncer les 3 décisions de cette réunion : le pacte pour l'euro et la prolongation des facilités financières pour les pays menacés par la spéculation étaient ses deux motifs de satisfaction. Et, malgré la fatigue, il l'a fait savoir.
« Vous l'avez compris, ce conseil était très important. (...) Nous avons mis en place le gouvernement économique de l'Europe. Comme la France l'a toujours demandé, ce gouvernement, c'est la réunion des chefs d'Etats et de gouvernements, c'est-à-dire les 17. » En fait, Sarkozy visait le fameux pacte de compétitivité qu'Angela Merkel avait tenté d'imposer avec son soutien il y a quelques mois. « Nous avons adopté le pacte pour l'euro. C'est une étape décisive. Ce pacte renforcera la convergence de nos politiques économiques et la compétitivité de nos économies. Nous avons obtenu que les partenaires sociaux soient associés à la mise en oeuvre du pacte. Ils seront d'ailleurs consultés ... annuellement. Et par ailleurs, la France est très satisfaite que dans le pacte il est prévu explicitement un impératif de coordination fiscale. »
Sarkozy annonce comme une victoire française l'association des partenaires sociaux. En fait, le pacte pour l'euro est suffisamment explicite pour qu'on s'interroge sur la place réservée à ces derniers. Ciblé sur la compétitivité, la « viabilité des finances publiques », et le renforcement de la « stabilité financière », il prévoit de définir des engagements par pays qui seront chaque année évalués par le Commission européenne. Si le choix des actions politiques nécessaires « demeure de la responsabilité de chaque pays,» une « attention particulière » sera accordée à « l'évolution des salaires et de la productivité ainsi que des besoins d'ajustement en matière de compétitivité.» Le texte européen propose ensuite deux ajustements à considérer, tout en précisant qu'il faudra, évidemment, respecter les traditions nationales de dialogue social :
• le réexamen des «dispositifs de fixation des salaires» (c'est-à-dire notamment l'indexation du SMIC sur l'inflation) et, pire, « le degré de centralisation du processus de négociation, ainsi que les mécanismes d'indexation. »
• la modération salariale pour le secteur public, car « l'évolution des salaires dans le secteur public constitue un signal important »
Ce pacte pour l'euro assume également l'ouverture d'encore davantage de secteurs protégés. En d'autres termes, l'ouverture à la concurrence de nouveaux secteurs. En matière d'emploi, il promeut « les réformes du marché du travail destinées à favoriser la flexisécurité, à réduire le travail non déclaré et à accroître la participation au marché du travail » et « la réduction des charges fiscales pesant sur le travail.» Ce pacte est si social qu'il enferme l'avenir des retraites et de l'assurance sociale dans le chapitre des finances publiques. Il prévoit ainsi le report de l'âge légal de la retraite chez les pays adhérents et la suppression des pré-retraites.
Le second « acquis » de cette réunion de l'eurogroup concernait le soutien financier aux Etats défaillants. Avant 2013, le Fonds européen de stabilité financière (FESF) sera porté de 250 à 440 milliards d'euros. Après 2013, il est pérennisé en un Mécanisme européen de stabilité (MES) qui disposera de 500 milliards d'euros. Ces sommes pourront être des prêts bilatéraux entre Etats membres, des garanties, ou, grande innovation, la souscriptions d'obligations d'Etats-membres par le MES ou le FESF. Jean Quatremer, l'envoyé spécial de Libération et par ailleurs blogueur émérite, était enthousiaste : « l’Allemagne a finalement accepté de renforcer spectaculairement la solidarité financière entre les États de la zone euro, ce à quoi elle se refusait jusqu’à présent. »
... sans raison
Comme souvent, l'enthousiasme sarkozyen était surjoué. Premièrement, le texte du pacte de compétitivité avait été allégé voici plusieurs semaines. Le résultat est un engagement plus light qu'espéré par Angela Merkel. Nicolas Sarkozy utilise toujours le même vocabulaire (« oui au gouvernement économique de l'Union ») mais on finit par oublier qu'il recoupe des réalités bien évolutives au fil des évènements. En juin dernier, il s'agissait de se rencontrer plus régulièrement, d'institutionnaliser davantage ces concertations, et, au mieux, de faire converger nos fiscalités. Pour Angela Merkel, il fallait au contraire imposer des réformes de rigueur partout en Europe et sanctionner les Etats défaillants. Sarkozy abandonna son idée, et, au final, on s'achemine vers la solution allemande.
Deuxièmement, ce pacte pour l'euro présente une bien sombre perspective pour l'union européenne. Une fois de plus, on pense à la monnaie plus qu'aux peuples, à l'économie contre la politique. Une fois de plus, le social est la dimension d'ajustement. Ce pacte, , certes inabouti, promet en effet une mise sous tutelle des gouvernements européens. Chez Sarkozy, la démarche est habituelle. En 2008 déjà, pendant la présidence française de l'UE, son ministre de l'Identité Nationale s'était évertué à convaincre ses partenaires européens de signer un pacte pour l'immigration pour mieux justifier rafles et politique du chiffre en France. Cette fois-ci, Sarkozy s'affiche ravi, mais il n'a pas vraiment le choix. Les finances françaises sont très mauvaises, d'autant que ni la croissance ni l'emploi ne sont au rendez-vous.
«Je vous invite à mesurer l’ampleur des décisions prises depuis le mois de mai de l’année dernière : nous avons soutenu la Grèce et l'Irlande. Nous avons créé une facilité de 440 milliards d'euros, nous avons décidé d'un changement de traité, nous avons décidé de la création d'une facilité permanente ; nous avons adopté un pacte pour l'euro; et nous nous sommes dotés d'un gouvernement économique de la zone euro... Et bien... il y a un an et demi, il n'était pas dit qu'on arriverait à tout ceci. »Pourtant, le FESF craque. Samedi dernier, les 17 Etats de la zone euro rappelaient à nouveau, dans leur relevé de conclusion que « L'assistance financière sera subordonnée à une stricte conditionnalité dans le cadre d'un programme d'ajustement macroéconomique ». Mais dans la même nuit de débat, ils ont du reconnaître l'échec de l'austérité grecque. Le traitement de choc imposé à la Grèce est loin d'avoir sauvé le pays. Il se murmure, depuis des semaines, que jamais elle n'arrivera à rembourser les avances européennes consenties l'an dernier : son déficit public a été réduit de 15,5% du PIB en 2009 à 7,9% en 2010, mais il est pour l'essentiel constitué du service de la dette. Et cette dernière a progressé de 127,8% du PIB en 2009 à 152,6% (350 milliards d’euros) en 2010.
Etranglé, le pays a finalement obtenu un allègement des conditions iniques d'emprunt du printemps 2010. La Grèce va pouvoir restructurer partiellement sa dette européenne souscrite l'an dernier : elle empruntera moins cher (100 points de base de baisse), et sur plus longtemps (7 ans au lieu de 4).
Dernière ombre au table, l'Irlande résiste. Elle a bien signé le fameux pacte pour l'euro. Et l'Europe voulait faire pression pour que l'Irlande réhausse son imposition des sociétés, en contre-partie du sauvetage financier dont elle a bénéficié en 2010. Elle vient de changer de gouvernement, et ce dernier refuse. Sarkozy, répondant à une question quelques minutes plus tard, a mal masqué son agacement : « il y a une discussion qui progresse... (...) Tous, nous avons été amenés à faire des efforts. Et l'Irlande, d'une manière ou d'une autre est convaincue qu'elle devra les faire.(...) Il n'y a pas de certitude, mais il y a un pacte qui prévoit la convergence... explicitement.» A peine conclu, le pacte pour l'euro montre déjà ses limites...
En France, le candidat s'effondre
En France, les récents sondages ressemblent aux précédents. La popularité du Monarque élyséen s'effondre. Celle de Marine Le Pen s'envole. Le socle sarkozyen s'est rétrécit. « Avec 71% de Français mécontents, le chef de l'Etat dépasse Jacques Chirac.A quatorze mois de la présidentielle, il est minoritaire dans toutes les catégories sociodémographiques. Loin devant, François Fillon se maintient à 48%. » commentait le JDD le 12 mars. A quand un appel d'élus UMP contre la candidature de Nicolas Sarkozy ? Les alternatives ne manquent pas. François Fillon est largement plus populaire. Et il semble avoir le blues tant la machine sarkozyenne lui semble grippée.
Mardi, le candidat Sarkozy s'est invité dans la ferme de Sophie Poux, cette agricultrice près de Bourg-de-Visa qui l'avait alpagué lors du show télévisé de TF1 en janvier 2010, sur la crise des producteurs de lait. Un an plus tard, le Monarque Nicolas ne s'était toujours pas rendu chez elle comme il l'avait imprudemment promis. Quel est l'enjeu ? Symbolique uniquement. Mardi 15 mars, le candidat Sarkozy s'y montrera. Sarkozy n'a rien à dire, rien à promettre à cette productrice de lait qui ne comprend pas pourquoi le gouvernement n'a pas interdit la vente à perte dans le cadre de ses fameux accords de contractualisation mise en place en 2010....
A Paris, dimanche, le conseiller Henri Guaino s'est permis l'une de ses sorties dont il a le secret. Alors que le Japon fouille ses décombres après le gigantesque tsunami de vendredi dernier, et que deux réacteurs nucléaires ont été sérieusement endommagés, l'irresponsable du palais de l'Elysée a déclaré que ces accidents pouvaient favoriser la cause d'AREVA. Le cynisme commercial de cet homme ne lasse pas de surprendre...
Pour redresser son image, rien de tel qu'une belle vente d'armes, à défaut de nucléaire. Dans une interview à un quotidien brésilien, le candidat promit un « transfert sans limite de la technologie garantie par l'Etat français » pour convaincre la nouvelle présidente Dina Roussef d'acheter 36 Rafales de l'avionneur Dassault. Il met le paquet. On parle de 4 à 6 milliards d'euros de commandes. Sarkozy a fait de même avec la Russie, à qui il a promis, pour la convaincre d'acheter deux navires de guerre français, tous les transferts de technologie nécessaires. C'est la grande braderie.
Au service de qui ? De la France, ou du candidat Sarkozy ?