Petite déprime hivernale chronique. "Où courge, où vais-je, dans quelle étagère, à quoi Serge et pourquoige?"
Je lui parle de ma tête qui va imploser, de l'impression de courir après le temps, de le perdre aussi, de n'être à ma place nulle part, de m'éparpiller dans de vastes projets dont je ne jette parfois même pas les plans sur papier.
J'évoque les convictions difficiles à mettre en pratique, les doutes, les trop nombreux paradoxes qui font ma personnalité et j'explique ma volonté de me transformer en gros bloc de granit aux contours bien nets. Marre d'être cette mosaïque de sentiments, de réflexions, d'avancées et de retours en arrière. Marre d'avoir l'impression de m'épuiser pour des tas de choses qui ne m'apportent pas autant qu'elles me pompent.
"Vous comblez les vides en fait, me répond-elle
- ...?
- Vous êtes comme un ordinateur qui ne supporte pas l'espace inutilisé et qui défragmente pour réparer les trous. Vous multipliez les activités, comme ça il n'y a plus de vide"
...
C'est ça. Moi qui vient de pondre un article sur mon allergie aux objets et mon besoin de "faire le vide", je m'épuise à combler les trous de mon emploi du temps et à remplir ma vie de projets plus ou moins ambitieux. Remplir... l'agenda, le carnet d'adresses, la boite aux lettres, le temps "libre". Remplir. Fuir.
La Simplicité Volontaire me pousse à me regarder en face. Encartonner des objets, vider les lieux, ce n'est que la métaphore de mon propre besoin de faire le vide en moi.
Accepter enfin que j'accumule dans ma tête autant que je me débarrasse dans ma maison; Regarder en face le fait que vouloir vivre dans une yourte n'a pas autant d'importance que de vivre en toute liberté en moi.
Ce qu'il faut vider, c'est l'intérieur de soi, pas l'intérieur de son "chez-soi". Je suppose que cela passe par une (re)définition des priorités, des gens qui comptent, des moments essentiels à ma vie. Comme pour les objets, il va falloir que je traque l'inutile, le moche, le débris, les trucs inadaptés, les envies jetables.
Il est temps de s'intéresser de plus près aux copains choisis à la hâte comme un vêtement un jour de soldes, aux relations familiales ou amicales usées et décidément perdues comme ce vieux jouet de notre enfance dont on s'est enfin détaché, aux activités culturelles et associatives épuisantes comme cette armoire trop grande qui cache la vue du jardin, aux dîners mondains et ces sorties "en bande" consommés en masse comme ces boites en plastique achetées par lot de 10. On peut facilement comparer ces petits riens qui envahissent notre quotidien à ces objets qui colonisent notre habitat.
Je remplis par peur de mourir. Exister est pour moi terriblement étrange. je ne comprends tout simplement pas à quoi sert l'existence. Il n'y a rien de pessimiste là-dedans, juste une incompréhension totale, métaphysique face à ce processus de naissance, de vie puis de mort qui se répète depuis des millénaires. Au Moyen-Age, le clergé faisait croire au peuple que le passage sur Terre n'était qu'un bout de chemin, une sorte d'anti-chambre avant la vie éternelle. Aujourd'hui que notre monde vit moins étroitement lié avec l'infini, à l'heure où le matérialisme remplit davantage les rayons des hypermarchés que la spiritualité les églises (ou synagogues, temples, mosquées...), la question du passage sur Terre ne se pose plus. De fait, puisqu'être sur Terre est une fin en soi et qu'il ne semble pas y avoir de rédemption au delà du rideau, il faut bien trouver un sens quelconque à son existence, avant de mourir.
La société de consommation nous aura fait croire que ce sens passe par la carrière, l'accumulation de biens, une vie tumultueuse remplie d'enfants, d'amis et de travail. Se faire un nom, "réussir sa vie", "devenir quelqu'un" sont à peu près les seules chances qui nous restent de justifier notre présence sur Terre. Sans cette course à la réussite, l'homme se retrouve face à cette insupportable évidence "je ne sers à rien" et la vie n'a aucun sens sur 80 ans quand on la rapporte à l'échelle géologique.
Je suppose que c'est pour ces raisons que, depuis 32 ans, j'occupe mon temps en accumulant les passions, les activités, le travail, la vie de famille, l'amitié et les projets que je ne réaliserai jamais mais qui m'occupent tout de même beaucoup.
Alors qu'il serait tellement bon d'accepter que ma vie ne sert qu'à alimenter un système naturel de renouvèlement d'une espèce. Accepter que je suis foncièrement un outil de la Nature au même titre qu'une plante ou un micro-élément me libèrerait de cette obligation de "trouver un sens à ma vie".
En attendant, il est temps de ne plus défragmenter et de laisser les vides sans chercher à les combler.