Atelier d’écriture : analyse des productions et mesure des enjeux de la créativité

Publié le 13 mars 2011 par Christophebernard

Au terme de la conduite d’un atelier d’écriture avec une classe de BEPA « Services Aux Personnes »,  qui nous a fait cheminer sur une année scolaire il y a déjà quelques années, je vous propose mes constats et analyses de l'époque.

Vous trouverez d'autres articles présentant la naissance et le déroulement de ces ateliers en bas de page.


Une activité appréciée

Mines réjouies, ambiance détendue, travail personnel abondant : il y a des signes qui ne trompent pas... Une première conclusion « à chaud » s’impose : l’atelier d’écriture a été apprécié par les jeunes. Ceci a d’ailleurs été confirmé par les commentaires apportés lors des bilans de fin de session, ou de celui effectué en fin d’année. Mais comment cet attrait constant pour l’atelier s’explique-t-il ? Ce succès repose en partie sur le respect du travail de chacune, qui a caractérisé l’atelier. Celui-ci dépendait de moi en partie, par l’attention que j’apportais au rythme de chacune, ou les conseils, corrections et autres encouragements que je prodiguais. Mais le « dépaysement » entraîné par la nature même du projet a contribué également à rendre cet atelier agréable. En effet, ces ateliers semblaient éloignés en apparence de la problématique de l’examen final qui hantait les esprits de chacune, rompaient avec le quotidien des modules habituels et de leurs cohortes de révision.

Ces ateliers autorisaient également certaines libertés, preuves de la confiance qui s’était établie, comme celle de pouvoir s’isoler pendant certaines séances, et d’écrire en musique dans le respect de ses voisins (utilisation d’un baladeur). Mais le groupe s’est aussi rendu garant de ce bon fonctionnement des ateliers, par le soutien, l’écoute et les encouragements qu’il a su offrir à chaque individu qui le sollicitait. C’est donc avec plaisir que j’ai moi-même encadré cette activité.

 

Deux niveaux de lecture

Une autre source de satisfaction pour moi a été de mesurer, en fin d’année, l’étendue de la « récolte » de ces ateliers. Aquarelles, contes, nouvelles, site Internet : la moisson était bonne ! Bien entendu, ces productions sont de qualités diverses. De plus, il convient de dissocier leur aspect purement artistique de leur valeur pédagogique. Ainsi, la mesure du premier point relève en partie du goût de chacun, en matière d’esthétique, de style, d’originalité… L’évaluation du deuxième aspect, pédagogique celui-ci, doit apprécier les efforts accomplis, en prenant en compte le niveau de compétence initiale de chaque « artiste ». C’est bien sûr sous cet angle particulier que j’ai concentré l’essentiel de mes observations et de mes analyses durant les ateliers, afin d’en mesurer les effets didactiques. Face aux jeunes, j’ai pris soin cependant de respecter équitablement ces deux niveaux de lecture du travail  effectué, m’enthousiasmant tour à tour pour de belles couleurs ou fronçant les sourcils devant l’orthographe de certains mots !

Appréciation

Eclairé par mon investissement dans la naissance de chacune de ces oeuvres, et en tenant compte de mes remarques précédentes, je tire un premier bilan globalement positif du travail fourni par les jeunes. En effet, chacune a « mis la main à la pâte », butant parfois sur des obstacles, continuant sans se décourager. L’existence de cette confrontation avec ses propres difficultés, et de ces tentatives pour les surpasser (ou les contourner !) ont garanti à mes yeux la qualité du travail fourni. Les productions de l’atelier n’ont pas, volontairement, été notées. Mais celles ci, à travers l’investissement personnel de chacune, ont alimenté en partie mes appréciations accompagnant les bulletins de notes trimestriels. Il me paraissait important en effet de préserver un lien, aux yeux des jeunes, avec cet outil d’évaluation scolaire « institutionnel » que constitue le bulletin de notes. Plus qu’une incitation menaçante « à bien travailler », ceci permettait aux efforts mesurés d’être reconnus et valorisés par la Maison Familiale Rurale, aux yeux des parents notamment.

 

Une valse de couleurs et de mots

Les aquarelles composées par les jeunes m’ont, d’emblée, démontré l’étonnante sensibilité, et la force créatrice dont ces jeunes pouvaient faire preuve : la « femme ailée » de Patricia H., le « monstre charmant » de Virginie R. m’ont particulièrement marqué D’autres productions m’ont semblé plus basiques au niveau de leur inspiration, dévoilant parfois même une approche du dessin quasiment « enfantine ». De plus, si les textes « trônaient » véritablement au centre de certaines de ces peintures, d’autres étaient rendus minuscules ou rejetés sur un bord de feuille. Ceci en disait déjà long, à mon sens, sur le rapport que certaines jeunes entretenaient jusqu’alors avec les mots… Il faut remarquer enfin le caractère sombre, triste, et souvent morbide de l’approche du thème fantastique majoritairement choisie par les jeunes.

Des chefs d’oeuvre individuels

La réalisation de nouvelles individuelles a représenté pour les jeunes l’aboutissement de tous leurs efforts. Certaines brillent de mille feux et confirment de réels talents d’écriture ou les révèlent, d’autres, plus discrètes, ont du mal à traduire l’intensité des efforts qu’elles ont demandés à leurs auteurs. Toutes sont respectables de mon point de vue en ce qu’elles recèlent comme part d’intimité.

 

Alternance : des précisions sidérantes

Le principal enseignement que j’ai tiré des écrits individuels est lié à leur thème principal, (choisi en commun) qui peut être résumé ainsi : « une journée de stage pas comme les autres ».

En effet, même si j’escomptais de telles conséquences pour cet exercice, j’ai été stupéfait de lire avec quelle précision ces stages étaient décrits dans ces nouvelles. Mieux que dans n’importe quel rapport, la veine littéraire semble ainsi favoriser le transport de multiples détails sur l’environnement du jeune durant cette période de stage : conditions de travail, paysages environnants, objets utilisés… jusqu’au caractère et à la description physique de ses collègues. De plus, ces écrits révèlent de très nombreux passages nous plongeant véritablement dans le « monde intérieur » de ces jeunes, constituant autant d’indices sur leurs façons de réagir en situation de stage : « je pense être devenue folle… » - « Durant la pause, je ne dis pas un mot… ».

On comprend mieux l’importance de ce phénomène si on établit un lien ici avec la transformation du langage chez l’enfant décrite par VYGOTSKY, théoricien du constructivisme social. Pour lui en effet, de simple outil de communication, le langage devient un « langage intérieur », qui constitue alors le mode de pensée fondamental chez l’enfant.

Par endroit également, le texte nous livre de touchantes « petites habitudes » prises en stage par leur auteur. Suite à mes observations, j’ai donc abordé avec les jeunes cet aspect de leur travail. Afin de leur faire prendre conscience de la richesse de ces textes, nous sommes revenus ensemble sur l’une de ces nouvelles : « Un étrange cuisinier » de Corinne V., que la classe avait particulièrement appréciée lors de sa lecture en atelier. Nous avons donc relevé ensemble ce qui différenciait ce texte d’un rapport de stage, dans sa description notamment. J’ai ensuite proposé aux jeunes d’appliquer cette grille de lecture à leurs propres nouvelles, afin que chacune relève dans son propre texte ces trésors de précision...

La vitrine : un site antique !

L'ensemble des oeuvres (aquarelles, textes) a été présenté à l'époque sur un site internet dédié, qui "date" aujourd'hui. Les jeunes ont été associées à la création de ce site dans le cadre du cours d'informatique dont j'avais également la charge. (Des écrans publicitaires intempestifs se sont malheureusement invités depuis suite au faible nombre de visiteurs) : 

   Visiter le site


Ma place au sein des ateliers

Mon rôle tout au long de mon activité s’est apparenté à celui du chef d’orchestre. En effet, à travers les différents aspects de cet atelier, il a fallu que j’adopte différentes postures de formation qui rappellent tout à fait ce métier particulier. Ainsi, il fallait perpétuellement organiser des enchaînements permettant tour à tour de faire ressortir une cohésion d’ensemble (unisson), ou de laisser s’exprimer les talents individuels en les encourageant (solos). Cette véritable animation de groupe fait appel à différentes compétences : disponibilité, écoute, adaptation et parfois même improvisation ! Cet exercice nécessite également une bonne dose d’énergie… !

 

Tentative de bilan

Des compétences valorisées

L’atteinte de cet objectif ne fait aucun doute dans mon esprit ! Cette autosatisfaction, frisant parfois l’orgueil, je l’ai justement rencontrée maintes fois chez les jeunes, au détour d’un atelier. De plus, la variété des activités a réellement permis à divers talents de s’exprimer, dans divers domaines. Le regard porté alors sur chacune pouvait dès lors changer, le mien y compris… Il suffit de contempler par exemple la peinture de Patricia H. qui éprouve « habituellement » de grandes difficultés à écrire.

Plus que le retour sur les différents aspects de mon projet liés à cet objectif, je vous livre ici une anecdote qui résume à bien, à mes yeux, l’essence de ce succès : Habi S. est une jeune fille qui éprouve d’énormes difficultés en expression. La classe le sait et l’entoure de sa compassion… Ayant remarqué les efforts énormes fournis par cette jeune fille dans la rédaction d’un texte, et après m’être assuré auprès d’elle de sa qualité, je l’encourage à voix haute, devant la classe, à en donner lecture… Frissonnement, murmures, chacune s’apprête à larmoyer devant ses difficultés. Habi S. accepte, forçant déjà mon admiration. Son texte est beau, sa lecture plus claire qu’à l’ordinaire. Silence dans la classe. Rompu par un cinglant « Fais-voir ! ». Virginie R., une tête de classe en expression, s’était retournée, surprise. Et elle voulait relire le texte d’Habi. Pour moi, c’était gagné.

Des plaisirs individuels

Contre certaines de mes attentes, l’atteinte de cet objectif a semblé tout à fait indépendant de celui décrit plus haut. En effet, le fait d’aimer écrire n’a pas toujours été lié pour les jeunes au besoin de reconnaissance. Ainsi, certaines jubilaient sur leur texte « dans leur coin », ne voyant pas l’intérêt de présenter leur texte aux autres… Cette remarque stigmatise le caractère profondément individuel de l’acte d’écriture. Le plaisir que l’on retire de l’écriture semble donc répondre à cette même logique, celui-ci ne pouvant, ni ne devant, être partagé. Le reste est une affaire de goût… Mais, à travers ces ateliers, j’ai surtout tenté de sensibiliser les jeunes à la beauté, à la portée des mots. En ce sens, je pense avoir atteint en partie mon objectif. J’ai constaté en effet que de réels efforts étaient faits dans le choix de mots, dans le cadre des séances « d’échauffement », puis plus tard lors de la réalisation des nouvelles. Se demander toujours si c’est le bon mot, le meilleur mot. L’acquisition de ce réflexe a fait reculer chez certaines l’utilisation de mots « creux » ou vides de sens. Le plaisir d’écrire s’est donc développé, selon moi, parallèlement à un enrichissement du vocabulaire utilisé dans les textes. Toujours selon mes observations, cet enrichissement n’était que peu souvent lié à l’acquisition de nouveaux mots, mais était souvent conditionné par le recours, jusqu’alors inusité, à la diversité de son propre lexique…

Des progrès, mais  difficiles à mesurer

C’est certainement l’atteinte de cet objectif qui m’a posé le plus de difficultés, tant au niveau de l’investissement personnel qu’il m’a demandé que de la mesure des progressions individuelles qu’il nécessitait. En premier lieu, le fait que les oeuvres finalement obtenues ne comportent plus, a priori, de fautes d’orthographe, laisse déjà imaginer la somme des rectifications qu’il a fallu apporter à ces textes, avant de pouvoir présenter un tel résultat.

Au terme de mes observations, j’ai pu relever trois types de recours à ces corrections. Une fois les fautes pointées, par mes soins le plus souvent, le premier recours, et celui que j’essayais de limiter au maximum, était naturellement de m’appeler à la rescousse. Le deuxième, moins fréquent, était le recours par la jeune elle-même à des documents susceptibles de l’aider (dictionnaire le plus souvent). Le troisième enfin, pratiqué déjà par quelques binômes et que j’encourageais, était de solliciter l’aide de ses collègues d’atelier.

Cette entraide passait avant tout par l’acceptation, par l’auteur, de la lecture du texte par autrui. Il entraînait également un contrat « moral » qui consistait pour le lecteur à respecter l’auteur du texte, dans sa façon de présenter les éventuelles fautes. Il est certain que des progrès ont été réalisés en ce domaine, dans le sens d’une « acceptation » de ses difficultés (en en parlant avec sa voisine), et de leur prise en charge. Il reste cependant que, trop souvent encore, les jeunes ont eu tendance à « laisser filer » les fautes, comptant bien sur moi et personne d’autre, au final, pour les corriger.

Mon rôle dans le développement des compétences en expression écrite a donc été déterminant, en mettant en avant les nécessaires médiations qui devaient conditionner ce développement. Mais, et c’est ce qui ressortait de l’expérience, je restais aux yeux des élèves le principal médiateur cognitif, garant de leur apprentissage. En effet, tout en se démarquant du constructivisme individuel, et de la psychologie génétique de Jean PIAGET, les théoriciens du constructivisme social, comme VYGOTSKY, ont mis en évidence l’importance de cette relation au médiateur. Reuven FEUERSTEIN a par la suite émis des propositions pour améliorer cette médiation essentielle. C’est à travers cette relation à autrui que se transmettraient notamment le sens et la signification d’un apprentissage, permettant ensuite à l’apprenant de mieux se structurer.

Un autre enseignement de cette théorie de la médiation cognitive est qu’il est important pour le médiateur de bien mesurer l’état actuel du développement d’un jeune avant d’envisager quels situations d'apprentissage lui proposer. Or, concernant la mesure des progrès effectués ou restant à effectuer par les jeunes, il m’est très difficile aujourd’hui encore de trancher cette question, faute d’avoir mis en place un outil satisfaisant pour les mesurer finement. Je pense notamment à des évaluations individuelles, portant sur des points précis, qui auraient pu être mises en place avant et après ces ateliers. Mais, celles-ci n’auraient-elles pas en partie dénaturé mon projet aux yeux des jeunes ? Je me bornerai donc à vous confier mon impression générale, qui est positive. On peut raisonnablement avancer en effet que la pratique de l’écriture, de surcroît dans un tel cadre pédagogique, ne peut être que bénéfique. Les ponts établis entre les ateliers et les séances de cours d’expression ayant, en particulier, bien fonctionné. Mais, pour moi, la question reste cependant en suspens.

Un résultat inattendu

J’ai pu observer, à travers les productions obtenues, qu’un objectif inattendu semblait avoir été atteint. En effet, la teneur souvent morbide, des aquarelles surtout, mais également de certains textes, m’avait conduit à m’interroger. Etait-ce lié simplement au thème fantastique ? Ou fallait-il en attribuer une nouvelle fois la cause à la télévision ? Je pense aujourd’hui que ces productions ont pu servir d’exutoire. Elles auraient donc permis, à la plupart de ces jeunes, de livrer une partie du drame qu’elles avaient connu l’année précédente (le décès de l’une de leurs camarades de classe). Art-thérapie ? On utilise ce terme pour désigner cette « utilisation des arts plastiques dans un objectif psychothérapeutique ou ré-éducatif ». Jean-Pierre KLEIN explique ce processus de la façon suivante :

« ces mises en formes imaginaires de soi-même…provoquent peu à peu la transformation du sujet créateur… lui indiquent un sens…partent de ses douleurs et de ses violences, de ses folies, de ses joies aussi, de toutes ses intensités, de ses idéaux comme de ses forces obscures, pour en faire le matériau d’un cheminement personnel »

 

Elargir le recours au sens créatif, y compris en formation professionnelle

Le principal enseignement de mon action a résidé, selon moi, dans sa démonstration de l’intérêt que pouvait constituer en pédagogie le recours aux arts plastiques et au sens artistique en général. J’ai pu vérifier, en effet, combien cet appel à la créativité de l’apprenant était porteur de nombreux atouts. En dehors des vertus apaisantes, épanouissantes, et parfois même psychothérapeutiques de ces pratiques artistiques, il est apparu également à travers mes analyses qu’elles pouvaient constituer un véritable vecteur d’apprentissage. En effet, pour qui se joue des détours, des images et autres métaphores, l’oeuvre artistique fournit de réelles informations sur l’apprenant, y compris sur des aspects professionnels, comme l’a également montré cette étude. L’enseignement professionnel pourrait donc, selon moi, tirer de larges bénéfices de ce recours à la créativité, au même titre que tout autre enseignement. C’est une piste de recherche, en tout cas, que je livre ici.

VYGOTSKY (L.-S.), Mind in Society, Harvard University Press, 1978

PIAGET (J.), Psychologie et pédagogie, Médiations, 1969

VYGOTSKY (L.-S.), Mind in Society, Harvard University Press, 1978

FEUERSTEIN (R.), Apprendre à penser, Eshel, 1989

KLEIN (J.-P.), L’Art-thérapie, P.U.F., Coll. « Que sais-je ? »