Je devrais aimer Henry James. Je devrais aimer Portrait de femme. Après tout, c’est furieusement bien écrit, c’est long (ce qui, pour moi, est toujours plutôt une qualité qu’un défaut) et… et voilà. Mon incapacité définitive à penser quoi que ce soit de ce roman est une des causes de mon silence des dernières semaines. J’en suis muette – contrairement à Henry James, qui parvient à écrire des volumes tout en gardant soigneusement toute la tension de l’intrigue dans ce qu’il n’écrit pas, et dans ce que ses personnages ne se disent pas ; il y a entre ces malheureux tant d’ellipses et de sous-entendus qu’on ne peut guère s’étonner qu’il y ait parfois malentendu. Le personnage d’Isabel Archer, ses aspirations entières et imprécises, la grande considération qu’elle a pour une Isabel Archer encore à éclore auraient dû me toucher, pourtant. Mais rien à faire ; cette façon redoutable qu’a Henry James de systématiser le jeu des conventions et d’user de toutes les barrières de l’éducation pour faire supposer ce qu’elles empêchent de dire me glace. C’est pourtant exactement ce que j’aime chez Jane Austen ; mais il me semble qu’en prenant un siècle et en passant l’Atlantique, ce parti-pris est devenu terriblement grinçant. Les héroïnes d’Austen incorporent le respect des conventions à leur destin personnel, le système les éduque et leur capacité à s’y soumettre en le maîtrisant conditionne l’épanouissement de leur personnalité. Celles de James sont laminées par des conventions qu’on utilise contre elles et qu’elles acceptent de bonne foi mais contre le mouvement de leur cœur. Bref, le romantisme de James me déprime. Au suivant !
Portrait de femme, Henry James, 1880
Trad. Claude Bonnafont