LES PERFOREILLES
Troisième édition du festival organisé par la revue LGO/Le Grand Os et de la Cie Lohengrin avec la participation de la librairie Oh les beaux jours, dans le cadre de la manifestation nationale Le Printemps des poètes.
Jeudi 10 mars // 21h Catherine Froment lecture-performance Huilo Ruales Hualca poésie-lecture Sébastien Lespinasse récit poème Cie Lohengrin lecture et une courte intervention de André Robèr
Vendredi 11 mars // 21h André Robèr poésie-lecture Antoine Boute poésie sonore Aurelio Diaz Ronda / Pasina & Cie danse-théâtre-poésie et une courte intervention de Bartolomé Ferrando
Samedi 12 mars // 19h Yves Le Pestipon conférence-action : « Passage, paysage : de Giscard à Guittard » Samedi 12 mars // 21h Séverine Astel performance Lê Quan Ninh musique improvisée Bartolomé Ferrando performance Cie Lohengrin poésie-musique et une courte intervention de Antoine Boute
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Prononcer juste
"On peut tomber dans l’altitude, comme dans la profondeur. L’élasticité de l’esprit empêche cette chute-ci, la force de
la gravité propre à la sobre réflexion prévient celle-là. Toutefois, à condition qu’elle soit juste, et fervente, et lucide et vigoureuse, la sensibilité constitue sans doute la meilleure
sobriété, la meilleure réflexion du poète." Hölderlin
Osez pousser la porte du Théâtre du Hangar pour le festival Perforeilles où poésie et
performance s’invitent sur le plateau. Non, il ne s’agit pas d’une initiative réservée à l’intelligentsia toulousaine habituée à lire Michel Deguy. En matière de poésie contemporaine, un réflexe
idiot crispe les meilleures volontés. On pense à tort : "Ame futile s’abstenir. Conseillé aux hyperréflexifs. Domaine réservé aux éduqués et aux lettrés." On vous assure si besoin en est
qu’il faut se libérer de ses mauvaises pensées. Car le Clou est sorti véritablement enchanté et même avouons-le complètement exalté des découvertes faites lors de cette première soirée. On parle
bien de poésie contemporaine pourtant ? Le talent des artistes rassemblés dans ce bref festival parvient totalement à faire lâcher les résistances et à convaincre : loin des dérives
abstraites, la poésie n’est pas une expérience incommunicable mais matière sonore et sensible à partager.
Trois soirs pour les amoureux du verbe
Dans le cadre du Printemps de Poètes, la Compagnie Lohengrin, la revue Le grand Os et la librairie Oh les beaux jours s’associent pour assurer une programmation de trois soirées avec pléthore d’artistes annoncés comme ci : poètes de l’oralité (Antonio Boute, Sébastien Lespinasse), poètes-performeurs (Bartolomé Ferrando, Catherine Froment, Séverine Astel), poète musicien (le percussionniste-monde Lê Quan Ninh), poète comédiens (Aurélio Diaz Ronda/Pasina et la Compagnie Lohengrin ), poètes de la rencontre et du frottement des langues (Huilo Ruales Hualca, romancier et poète équatorien, André Robèr, poète d’expression créole).Au menu, de la matière à réflexion aussi avec une conférence-action intitulée "Passage, paysage : de Giscard à Guittard" animée par Yves Le Pestipon. Un foisonnement d’expériences à vivre en perspective. Et cela se sait déjà : le festival démontre qu’au moment de sa troisième édition, il a déjà fait le plein de fidèles ; c’est en effet dans une salle débordante d’amoureux du verbe et d’amateurs de performances que s’ouvrait la première soirée.
"La chute est magnifique"
Le poète équatorien Huilo Ruales Hualca ouvre le bal ; assis seul à une table, lunettes posées sur le nez, poèmes en main écrits sur des feuilles en désordre, d’une adresse sentencieuse, il déclame ses vers. Simplicité du dispositif, aucun effet ni artifice, seul le texte et la voix assurée pour le faire raisonner suffisent. Il s’interroge sur l’identité du poète et la définition de la poésie. Avec "Comment être fortuné sans avoir besoin de chance" le poème se fait l’écho d’un vécu lentement déposé puis sédimenté dans les profondeurs mémorielles de l’expérience. Suivent une brève apparition du poète créole André Robèr et l’étonnante présence de Jacques Lacan avec le texte "Télévision" repris l’hiver dernier à la Cave poésie par Didier Roux. Et là pourrait s’amorcer un long débat : serait-ce l’obscurité et la densité des concepts opératoires de la psychanalyse dont on n’a jamais fini d’épuiser le sens qui rendraient le propos poétique ? Peut-être.Rupture totale et place à la mise en scène de la parole avec Sébastien Lespinasse. Il nous lit des extraits d’un roman écrit de sa main où il narre les aventures au déroulement imprévu de Fougax et Barineuf. A travers eux, il s’étonne de la réalité multiple et fuyante du moi et des instances qui divisent le sujet. Je ne suis pour l’autre que le rapport dans lequel j’entre avec lui. Troubles à l’écoute de cette pensée "J’aimerais vraiment te faire naître parce que je sais que tu me manques déjà." Le poète abandonne progressivement le jeu pour évoquer à pas de loup et beaucoup de pudeur l’expérience du sentiment d’étrangeté par rapport à sa propre vie. On en sort piqué au vif.
Un pas de plus dans l’écart avec Catherine Froment qui livre une performance à partir d’un propre texte, à l’imagination incroyablement féconde, désabusée et parfois à mourir de rire. Elle fait le récit de chutes successives où après les mots d’amour, les coups pleuvent, le corps est maltraité : "je découpe mes tétons au cutter et je demande des tuyaux aux infirmières". A plusieurs reprises, elle tombe frénétiquement au sol comme aspirée par un trou d’air et se relève aussitôt pour renaître ailleurs. Mais après chacune de ses renaissances, le chaos se réinvite et la chute est de plus en plus raide et rapide. A la fin, cheveux enduits de peinture, le visage de talc, et le corps empaillé, elle offre l’image figée d’un oiseau mythologique pétrifié. Stupéfiant !
Durant cette soirée, le spectateur a éprouvé des ambiances variées du plus feutré où priment simplicité et nudité de l’expression du vers à l’enflure de l’excès. Sacré trajet. Publié le 12 Mars 2011 Le clou dans la planche
||Katia Fallonne