Une chose est sûre, sur le plan visuel, la quête vengeresse du barbier de Fleet Street est un régal : Londres en ville cendrée et poisseuse, des flots de sang fluo à la Dario Argento, couleurs poussiéreuses et ombres voraces... Stylisé en diable, Sweeney Todd peut aussi compter sur sa pléiade d'acteurs au poil, que ce soit Johnny Depp en mode Edward Scissorhands sanguinaire, Alan Rickman en juge salace et salaud, Helena Bonham Carter en poupée d'aspirine un peu timbrée ou Sacha Baron Cohen en faux italien mais vrai escroc. Un point enfin pour l'humour noir, fait de crânes qui éclatent comme des melons trop mûrs, de cannibalisme restaurateur, de personnages bien chargés et de chansonnettes pour la plupart joliment troussées et poussées. A l'exception notable de la rengaine romantique du marin Anthony Hope, exaspérante à s'en crever les tympans avec un surin.
Mais alors, où le problème ? Partout ailleurs, soit dans le rythme, chaotique du fait de la nature même du film, et surtout dans le scénario. Sweeney Todd est en effet un film superficiel auquel on a oublié d'insuffler un peu plus qu'une misanthropie radicale (les mômes qui se torchent au gin, les inégalités sociales, la crasse...) et une esthétique gothique. Ainsi, le cruel destin de Benjamin Barker, barbier emprisonné à tort par un juge qui voulait lui voler sa femme et sa fille, n'est que le prétexte d'une enfilade de gorges ouvertes au rasoir, jusqu'à un final en eau de boudin où l'on en vient à se demander si le casting n'aurait pas mérité d'être lui aussi coupé en deux. Ainsi, du côté d'Anthony Hope et de Johanna (entre autres), la blondinette de fille de Barker/Todd, on ne trouve au final que des Roméo et Juliette fantoches vidés de toute substance au profit du grand-guignol, des litres de rouge qui tâche et des rictus sadiques de Depp. En résumé, Sweeney Todd est un spectacle fascinant, mais malheureusement pas beaucoup plus.
Sweeney Todd: The Demon Barber of Fleet Street (DreamWorks)Verdict du Père Siffleur