Deux couples d'amis vieux de trente ans : Eva et Rudi, veste en soie et costume-cravate ; Georges et Isabelle, table verte fluo et sièges en formica.... Dans le coin, est assis, impassible, le fils de Georges et Isabelle. Maître d'école, il s'attache chaque soir après le travail à rendre visite à ses vieux parents, lesquels en retirent grande satisfaction : ils avaient hésité à engendrer, les enfants sont des vampires, toutefois le leur sait leur rendre tout l'amour donné. Ce n'est pas comme chez leurs riches amis, les pauvres : la fille est « partie » voici 17 ans -son fantôme hante encore l'escalier-, et son frère a fugué peu après ce « départ ». Le voilà de retour, reprochant à ses parents de l'avoir trop aimé...
On parle des adultes comme de « grandes personnes »... sous-entendant derrière l'adjectif « grandes », "responsables", "autonomes" et "libres"... ? Les personnages de Marie Ndiaye, à quelques exceptions près, ne peuvent être qualifiés ainsi : les parents sont dépendants d'enfants qu'ils élèvent pour eux-mêmes d'un amour égoïste et étouffant ; la communauté empêche les individus de punir les coupables logés en son sein et le terrorisme qu'elle instaure rogne sa vitalité -les enfants- ; la pression du groupe a aussi pour effet d'ostraciser les étrangers... En somme, les « grandes » personnes n'écoutent pas, assourdies qu'elles sont par leurs certitudes, leur orgueil et leurs conventions... A moins que, si hautes perchées, elles n'aient les oreilles inaccessibles... Peut-être est-cela, au final, être une « grande» personne ? Ne faut-il pas mieux rester enfant à jamais, enfant parmi les enfants, les fantômes, voire les morts ?
Le sujet donne envie, mais la pièce, si on lui ôte quelques belles scènes très réussies, est fadasse comme la vie considérée en tant que somme de menus événements. Le Monde imputait notre déception à la mise en scène de Christophe Perton, laquelle présente pourtant quelques belles trouvailles (un voyage dans les marais ; ces oiseaux, charognes qui vampirisent nos cadavres à moins qu'ils ne soient les âmes errantes assourdissant le ciel de leurs cris mal compris). N'est-ce pas plutôt l'écriture de Marie Ndiaye, -certes très belle, très prompte à décrire les infimes paradoxes de nos coeurs-, qui est, dans le cas de ce texte, difficilement adaptée aux planches ?
« Je ne sais pas le sens qu'a cette parabole », écrit l'auteure en parlant du maître éloigné du monde des adultes. « Je n'ai d'ailleurs jamais l'impression d'avoir des sujets : j'ai a priori uniquement des personnages et des situations », poursuit-elle (cf le programme distribué au théâtre). Il en résulte donc une somme de situations, d'instantanés*, un joli excercice de style dépourvu du souffle dramatique qui fait venir le spectateur au théâtre et l'y accroche...
Théâtre de la Colline,15 rue Malte-Brun (métro Gambetta), Paris 20e 01 44 62 52 52
*cf. le roman Trois femmes puissantes, Goncourt 2009