March 8th, 2011 at 12:41 by Magali Tardivel-Lacombe
Où l’on s’étonne que le plus grand pays arabophone ne produise pas de best-sellers…
Deuxième volet de l’analyse sur l’édition en Egypte (lire la première partie), tirée de mes discussions avec Sherif Bakr (éditions Al-Arabi, Arab Academy for Professional Publishing), Heba Salama (éditions Book House), Ali Hamed (éditions Sanabel) et Balsam Saad (éditions et librairie Al-Balsam) au Caire.
Pour les projets qui vagabondent hors des sentiers battus, les éditeurs égyptiens ne peuvent jamais compter sur des ventes faramineuses. Ali Hamed réussit, tant bien que mal, à contourner l’éprouvante course d’obstacles. Tout en continuant de travailler pour Dar al-Hilal (Le croissant), maison d’édition étatique fondée en 1892 et qui, pendant sa période faste (1950-70), publiait des magazines, des BD Mickey, ainsi que des classiques de la littérature égyptienne et internationale, il édite désormais, aux éditions Sanabel (Grains de blé), les livres qu’il aime et choisit lui-même. Il fait tout, tout seul : l’édition, la mise en page, l’impression. Du coup, son catalogue est mince mais sélectionné avec minutie : Jack London, Raouf Moussad (journaliste égyptien), Marquez… De même, il a publiéMoi et le Japonde Ragai Wanis, un peintre et caricaturiste égyptien de 73 ans qui vit aujourd’hui en Australie ; dans ce récit autobiographique, il raconte et illustre l’année 1962, qu’il a passée au Japon. Timidement, Ali nous confie : “J’espère écouler les 3 000 exemplaires de cet ouvrage en un an. Mais c’est peut-être un peu trop ambitieux ?” Sherif Bakr le taquine : “Oui, tu es un doux rêveur…” Ils rient de concert.Pour sa part, avec les éditions de sciences sociales Al-Arabi, Sherif n’imprime que 1000 exemplaires de chaque titre, ce qui s’avère déjà difficile à écouler en trois ans. Il utilise tous les canaux possibles pour les faire connaître : sa librairie, les universités, le mailing, Facebook… Sans oublier les foires du livre de la région, par exemplecelle de Khartoum, au Soudan ; mais toutes sont grand public, donc peu d’exemplaires se vendent à cette occasion.
Le nœud du problème semble résider dans la faiblesse du réseau de distribution, plus que dans un cruel manque d’acheteurs. Je suis stupéfaite d’entendre, de la bouche d’un éditeur comme Sherif : “Si, en tant que lecteur, vous voulez vous procurer un livre, vous pouvez attendre 24 heures… ou toute la vie ! En Egypte, il n’y a aucun moyen fiable de savoir où trouver un titre”. Jusqu’à il y a six ans, il n’existait pas de librairie indépendante dans le pays, hormis quelques petites boutiques qui, souvent couplées à une maison d’édition (comme c’est le cas d’Al-Arabi), vendaient aussi des magazines et des bonbons. Depuis des lustres, également, des vendeurs d’occasion travaillent à même les trottoirs. La grande librairie indépendante Diwan, où flotte un étonnant parfum d’Europe, était donc la première du genre au Caire. “De plus, Amazon n’existe pas dans le monde arabe”, souligne Sherif. “Pour la vente de livres sur Internet, on ne dispose que de quelques petits sites. En fait, les Egyptiens ne font pas confiance à Internet”.Lire la suite : http://www.frankfurter-buchmesse.eu/magali/2011/03/08/un-sphinx-aux-pieds-dargile-23/