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Depuis si longtemps mon regard te croise sans que le tien ne s’arrête.
Déjà mes oreilles t’avaient entendue plier sous une avalanche d’insultes.
C’était en des jardins silencieux, les oiseaux retenaient leur souffle,
Une enfant pleurait, déchirée, frêle, entre père et mère de verbe haut.
*
Si souvent j’ai pu te croiser, seule, visage bouffi d’avoir trop versé de larmes
Ou trop bu à la coupe de ton désespoir.
Parfois ton enfant te guidait, regard perdu dans les brumes hivernales.
*
Le temps agit sur nos revers, sans leur donner d’endroit.
D’où venais-tu, dans cette foule du samedi,
T’arrêtant à chaque épaule effleurée,
Le pas titubant et les yeux hagards ?
Quelle molécule haineuse avait engourdi ton esprit,
Dilaté tes pupilles, conféré à ta déambulation cette hésitation ?
Alliée à quels alcools pour oublier un sort qui s’acharne,
De faux pas en faux pas, parmi la foule indifférente,
Quand elle ne te lance pas un regard de désapprobation.
*
Si dur peuple qui ne tolère rien de ce qui lui pend au dessus de la tête,
Epée de Damoclès de la déchéance brandie à chaque jour qui passe.
Tu hésites un peu, tu ne vois plus rien du monde, que ton devoir d’avancer
Vers ce nulle part que devient peu à peu ton existence.
*
Cœur serré, comme les autres, j’évite ton dernier accroc.
Je poursuis ma route, transi d’impuissance.
Serais-je, comme vous autre, devenu aveugle et sourd ?
Je regarde mes mains qui dégoulinent déjà de ton sang de sacrifiée.
Je dois admettre mon insuffisance devant le rouleau compresseur,
L’armée du crime compte ses sous, à l’abri de coffres d’infamie.
*
Toi tu tente un pas sur cette place mouvante.
Tu ne sais plus rien de ta destination.
Ton avenir est désormais à survivre une heure ou un jour :
Mais quelle importance devant toutes ces portes hermétiquement closes ?
Manosque, 13 février 2011
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