Lu ce matin sur Facebook, en provenance du Japon : "Putain apparement le réacteur a fission nucléaire est en train de fondre et on risque de se prendre une pluie radioactive XD c'est tellement la fin du monde que j'ai envie d'en rire..."
Rions donc, si c'est tellement la fin du monde, quoi faire d'autre, en effet. Et je connais un antidote radical contre les peurs qui font rire tellement le monde est devenu irréel à force de ne plus nous ressembler. C'est se replonger dans les peurs réelles du feu nucléaire, dans la bonne époque de la Guerre Froide qui a tellement inspiré, outre les historiens et éditorialistes, les écrivains et les cinéastes.
Fin des années 50, l'Angleterre tire la bête sub-dormante de ses rêves millénaires : Vampyre, Créature, Momie, Loup-Garou, Morts-vivants, personnes étranges comme ce Dr Jekill qui se transforme en Sister Hyde à la suite d'une manipulation inadéquate. En 1956, la Hammer Films, qui a produit quelques nanars avant-guerre (dont un avec Bela Lugosi, tout de même) renait de ses cendres dispersées, comme le souvenir d'une Goule. Cet accident nucléaire possible, au Japon (qui en fait m'angoisse terriblement, comme un Dr Frankenstein qui aurait un peu trop joué avec ses créatures) m'offre l'occasion de glisser un doigt dans la mécanique du souvenir.
Les films de Terence Fisher, de Roy Ward Baker, de John Gilling (mais de Terence Fisher le plus souvent et pour les mieux fabriqués) que produit La Hammer Films à partir de 1956 et que le Musée d'Orsay a la riche idée d'exhumer jusqu'au 27 mars, n'étaient-ils pas, en effet, un efficace antidote contre les peurs devenues séculaires en ce milieu du siècle le plus sanglant de l'Histoire (à l'exception du XXIème ?), peurs qui vont donner des films hantés comme La bombe de Peter Watkins, Docteur Folamour de Kubrick (film que je n'ai jamais appécié, je ne sais pourquoi), Je suis une légende (je veux parler de la version de 1964 avec Vincent Price et celle de 1972, avec Charlton Heston).
Le Prince des Ténèbres est en ville
Face à la terreur rampante qui fait qu'aux Etats, on achète plus d'abri anti-atomique qui ressemblent à de gros réfrigérateurs que de résidences secondaires, la résurrection des créatures gothiques malades de Bram Stocker, Sheridan Le Fanu, Mary Shelley par les réalisateurs, techniciens et acteurs appointés par La Hammer, fait un peu désactivation de la peur, à la façon d'un vaccin qui inoccule un mal devenu placide pour mieux le démembrer. La peur qui nous prend devant Christopher Lee jouant à Dracula en roulant des yeux rouges de haine, toutes les dents en avant, me semble une peur apprivoisée, voire légèrement amusée, qui ont pu aider nos aînés à supporter une peur plus glaçante, il y a 40 à 55 ans.
Et c'est dans un auditorium noir de monde qu'a commencé la séance, dans le respect de la tradition artisanale du genre (deux faux départs avec rallumage de la lumière sous les applaudissements d'un public très excité) avec une copie "acceptable" comme l'a dit le monsieur du Musée, mais espagnole, avec sous-titres en espagnol dans le cadre de l'image, doublés par des sous-titres français juste sous le cadre de l'image. C'était d'ailleurs parfois assez drôle de comparer les trois versions (dialogues en anglais et leurs deux traductions, approximatives).
Pour moi, la
Les aspects sexuels sont traités de manière pudibonde et intéressante. On ne voit rien, mais quand on connait un peu la vie, on se dit que, malgré les efforts du scénario pour tirer tout ça vers la morale catholique, on se rend compte que le Comte et ses faibles victimes étaient manifestement très portés sur la chose. La violence est sublimée, la cape noire de Drac est pratique pour dissimuler tant ses cochonneries priapiques que ses cuites au sang frais de jeune vierge.
Très vite, le public s'est partagé entre celles et ceux qui étaient venus pour tomber sous le charme du beau suceur et celles et ceux qui, plus vulgairement, étaient venus manifester par des rires bruyants à la sonorité quelque peu martiale leur proximité intellectuelle avec les codes du genre et leur distanciation par rapport à une théâtralité un peu outragée. Je n'ai pas du tout apprécié ces manifestations de snobisme appuyé. La Hammer a encore des choses à nous dire, notamment qu'une certaine poésie vaut mieux qu'une précision chirurgicale dans le traitement de l'horreur et ceci doit être respecté, d'autant plus que le séance était unique, exceptionnelle. Les films de la Hammer ont, certes, pillé le fond d'Universal (les films de Tod Browning ou James Whale d'avant-guerre, en particulier Dracula du premier et Le fils de Frankenstein, suivi de la Fiancée d'icelui, du second, extrèmement réussis dans une touche poétique qui donnait sa chance de rédemption au méchant -- qui ne faisait pas exprès d'être méchant, vous savez, il était lui aussi une victime), refaisant avec les moyens techniques de 1958/1975 et par ailleurs peu d'argent, les films de leurs aînés. Mais sans ridicule, avec un sens du détail qui est une des marques de fabrique du studio et, au final, une cohérence qui attise aujourd'hui la curiosité devant tous ces films à (re)découvrir à Orsay.
Je n'aime pas le regard distancié des cinéphiles sur ce cinéma authentiquement populaire et destiné à faire plaisir au public de l'époque, en lui faisant dépasser ses terreurs quotidiennes, par des peurs de théâtre.
Pendant ce temps, au Japon, de Tsunami en accident nucléaire prévisible, l'Apocalypse s'installait.
Dans la Nuit de la Hammer
sur le site du Musée d'Orsay
Histoire de vous faire envie, si vous en avez envie, une affiche de film qui n'a rien à voir avec la Hammer, qui ne court pas les couloirs du métro, mais qui me donne des envies de cinéma, on dirait du Jarmush jeune ; c'est un film de François-Jacques Ossang, cinéaste surprenant :
Bonne fin ou début de semaine.