Les médias semblent s'evertuer à ne parler que des nus de Lucas Cranach lorsqu'ils évoquent l'exposition qui lui est consacré au Musée du Luxembourg à Paris. Il est vrai que le maître allemand a excellé en la matière avec ce que l'on appelle la ligne sinueuse. Les courbes, la posture de ses Eve par exemple, ne sont pas sans rappeler les maniéristes italiens. Le corps se présente selon un certain nombre de canons (dont la position de trois quart du buste, une jambe avancée et les pieds à 90°; la position que prennent les danseuses classiques). Ces canons contribuent indéniablement à l'élévation esthétique, sorte de sublimation, mais aussi à la suggestion d'une volupté évidente.
Cela étant dit, il convient aussi de retenir de cette exposition, trois autres points, à mon avis essentiels : l'art extraordinaire du portrait du maître, son sens des compositions étonnantes et un soigné dans le traitement de l'huile et des pigments, digne des plus grands virtuoses flamands.
Pour le portrait, l'exposition vous accueille, dans un clair obscur très bien agencé, avec cet auto-portrait envoutant de Lucs Cranach (Coblence - SchlossStolzenfels). Regard incisif, avec mélange d'interrogation, comme si le peintre nous soupçonnait de quelque chose. Ces portraits, où les peintres font surgir les visages de la plus grande obscurité sont particulièrement incisifs et nous hypnosent littéralement. Sur le thème du portrait, il y a également les dessins représentant Martin Luther, notamment une gravure sur cuivre où l'homme incarnant la Réforme est représenté en moine augustin (Washington, National Gallery of Art). Le regard ici traduit admirablement l'autorité morale et spirituelle du personnage. On imagine l'individu par facile du tout, tout entier dévoué à sa mission. Il y a aussi, le splendide dessin représentant le portrait déterminé et soucieux du Comte Philipp von Solms-Lich (Bautzen, Stadtmuseum). L'influence de Dürer sur ces portraits est indéniable. Les compositions étonnantes. Sur son auto-portrait d'abord, avec le visage partant en arrière. Le déséquilibre formel du visage contribue à accentuer le sentiment d'incertitude, le questionnement intrinsèque que suggère l'expression du visage. Sublime trouvaille. D'autres exemples, qui pourraient sembler mineurs, nous interpellent comme le petit tableau Hercule et Antée (Bremen, Galerie Neuse Kunsthandel) où les corps se déstructurent pour occuper l'espace de façon incroyablement dynamique et incongrue.
La maîtrise de la technique enfin, est prodigieuse sur les ciels et paysages des scènes religieuses. C'est particulièrement notable dans le dyptique : la Sainte Famille entourée des anges et L'Education de la Vierge Marie (Dessau, Anhaltische Gemäldegalerie) où le dégradé du ciel nous plonge dans la lumière la plus divine qui soit.
Pour "boucler la boucle" sur le thème du nu, l'exposition consacre une large section à cette partie. Le sujet est certainement incontournable chez ce peintre qui a su marquer ses femmes d'un type reconnaissable entre mille. J'ai surtout retenu la magnifique Lucrèce (collection particulière), notamment pour ses parures qui contribuent à exalter la blancheur opaline de sa poitrine et, surtout, la subtile évocation du suicide par des gouttes de sang coulant d'un minuscule entaille de la pointe acérée du couteau.
J'ai aussi été séduit par la beauté juvénile de l'Allégorie de la Justice (collection particulière) dont le hiératisme et les positions maniérés ne peuvent cacher une sensualité indéniable.
L'Exposition se déroule jusqu'au 23 mai 2011.
On notera le très intéressant catalogue électronique édité par la RMN sur cette exposition et produit pour l'iPad, selon le même modèle que celui qui avait été constitué pour l'exposition sur Claude Monet.