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Le livre du jour - Auprès de moi toujours, de Kazuo Ishiguro

Par Benard

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A la fin de l'année je ne serai pus accompagnante, et bien que cela m'ait beaucoup apporté, je dois admettre que je serai heureuse de pouvoir me reposer - de m'arrêter, de penser et de me rappeler. Je suis sûre que ce besoin impérieux d'ordonner tous ces vieux souvenirs est en partie lié à ça, à la préparation au changement de rythme. Ce que je voulais vraiment, je suppose, c'était mettre au clair tout ce qui s'était passé entre moi, Tommy et Ruth après que nous avions grandi et quitté Hailsham. Mais je me rends compte à présent qu'une part importante de ce qui s'est produit par la suite a découlé de notre vie à Hailsham, et c'est pourquoi je veux d'abord passer en revue très attentivement ces souvenirs de jeunesse.

A la veille d'un tournant dans sa vie d'adulte, Kath revient sur son enfance atypique au sein du légendaire collège d'Hailsham. Un lieu où elle et ses amis auront passés la totalité de leur enfance et de leur adolescence, un lieu où si les pensionnaires sont des élèves, les enseignants sont des gardiens…

Commence alors un récit des faits qui ont marqués Kath dans ses relations avec ses deux amis : Tommy le colérique et Ruth, la manipulatrice obsédée par son influence dans le groupe et la nécessité de paraitre toujours dans le coup. Rapidement, l'étrangeté du lieu apparait de même que le malaise latent qui induit pas mal de comportements puérils.

Nous venions d'étudier de la poésie, mais pour une raison quelconque nous nous étions mis à parler des soldats enfermés dans des camps de prisonniers pendant la Seconde Guerre mondiale. L'un des garçons demanda si les barrières autour des camps étaient électrifiées puis quelqu'un d'autre dit que cela avait dû être vraiment étrange de vivre dans un endroit comme celui-là, où on pouvait se suicider quand on voulait, simplement en touchant une clôture. La remarque se voulait peut-être sérieuse, mais le reste de la classe la trouva très drôle. Nous étions tous en train de rire et de parler à la fois, et Laura - c'était bien d'elle - se leva de sa chaise et fit une imitation hystérique de quelqu'un qui tendait la main et s'électrocutait. Pendant un moment il y eut un chahut monstre, avec tout le monde qui criait et faisait semblant de toucher des clôtures électrifiées.

Je continuais d'observer Miss Lucy pendant l'incident et je vis, l'espace d'une seconde, une expression fantomatique traverser son visage tandis qu'elle regardait la classe. Puis - je l'observais toujours avec attention - elle se ressaisit, sourit et dit :”C'est aussi bien que les clôtures de Hailsham ne soient pas électrifiées. Il arrive de terribles accidents quelquefois.”

Elle prononça ces mots tout bas, et parce que les gens criaient encore, sa voix fut plus ou moins noyée par le bruit.

Bien que le destin de ces enfants soient sous entendu rapidement, le malaise persiste et devient plus flagrant lors de la seconde étape de leur vie quand ils découvrent le monde extérieur et sont mêlés aux pensionnaires d'autres établissements.

En observant Chrissie et Rodney à cet instant, je me souviens d'avoir pensé que oui, ils étaient corrects. Ils étaient gentils à leur façon et essayaient de remonter le moral de Ruth. Au même moment, pourtant, je me souviens d'avoir éprouvé à leur égard - même si c'étaient eux qui parlaient, tandis que Tommy et moi gardions le silence - une sorte de ressentiment au nom de Ruth. Car si sympathique qu'ils fussent, je voyais qu'au fond d'eux-mêmes ils étaient soulagés. Ils étaient soulagés que les choses eussent tourné ainsi ; d'être en position de réconforter Ruth, au lieu d'être rejetés en arrière, dans le sillage de la vertigineuse envolée de ses espoirs. Ils étaient soulagés de ne pas avoir à affronter, plus violemment que jamais, l'idée qui les fascinait, les travaillait et les terrifiait : cette idée qu'il existait toutes sortes de possibilités ouvertes aux élèves de Hailsham, c'est-à-dire nous, mais qui ne leur étaient pas ouvertes, à eux. Je me souviens d'avoir pensé combien Chrissie et Rodney étaient en réalité différents de nous trois.

C'est au cours de cette entrée dans l'âge adulte que les relations entre les trois amis se détérioreront et que chacun se tournera seul vers la troisième étape de sa vie… C'est vers la fin de cette étape que Kath se retournera sur son passé et retrouvera ses anciens amis pour une rencontre qui tournera à la catharsis. Quant à la particularité d'Hailsham, elle ne sera révélée qu'à la toute fin du roman.

Bien que le thème d'Auprès de moi toujours ne soit pas nouveau, son traitement en sous entendus, non dits et auto aveuglement (les élèves connaissant l'essentiel de leur destin mais l'occultant) est extrêmement prenant. Les personnages sont très bien campés, ils prennent vie au cours de leurs affrontements mesquins et évoluent au fil des désillusions. Bref un roman subtil qui se dévore littéralement, sans sombrer dans le pathos, un très bon moment.

Source : http://efelle.canalblog.com/


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