Cette troisième journée de festival a débuté dans la douleur et le recueillement. Difficile, en effet, de ne pas compatir au malheur du peuple japonais, qui a subi, dans la nuit, un terrible tremblement de terre, d’une magnitude de 8,9 sur l’échelle de Richter, suivi d’un tsunami et des vagues de dix mètres de hauteur, provoquant des dégâts matériels considérables et surtout de très nombreuses pertes de vies humaines.
Toute l’équipe d’Angle[s] de vue éprouve une profonde tristesse face à ces événements dramatiques et a une pensée émue pour toutes les victimes et leurs proches, comme ces nombreux festivaliers qui ont adressé leurs messages de soutien et de sympathie aux cinéastes japonais présents, ambassadeurs de leur pays pendant la manifestation.
Si vous le souhaitez, vous pouvez vous aussi leur envoyer vos témoignages d’amitié à cette adresse e-mail : [email protected]
L’ambiance n’était pas spécialement à la fête, donc, mais le rythme des projection s’est accéléré, avec la projection de cinq films en compétition – 3 en officielle, 2 en action asia – et la fin des hommages aux cinéastes coréens.
En compétition officielle, j’ai commencé par rattraper Donor, le film philippin de Mark Meily. Une oeuvre intéressante, car malgré un budget que l’on devine très limité et des conditions de tournage compliquées, le cinéaste réussit à nous entraîner dans son histoire et à nous tenir en haleine jusqu’au bout.
Au coeur du problème, l’argent – ou plutôt, le manque d’argent. Pour survivre dans une ville de Manille surpeuplée et globalement assez pauvre, Lizette, une jeune philippine, vend des DVD pirates sur un marché, mais son échoppe, illégale est fréquemment ciblée par les descentes de police. Quand elle tombe sur une annonce pour un poste de gérante de vidéo-club à Dubaï, elle y voit l’occasion de changer de vie. Mais là encore, il faut de l’argent pour payer “les frais de dossier”, et encore un peu pour payer un passeport. Or le compagnon de Lizette, un macho qui ne pense qu’à boire et à jouer aux cartes, dilapide fréquemment le peu qu’elle arrive à économiser. Alors elle décide d’accepter l’offre d’un inconnu, qui lui propose de l’argent en l’échange d’un de ses reins.
Aïe, cela sent le drame sordide. On imagine tout de suite une opération effectuée par un boucher dans une cave obscure, ou une escroquerie mafieuse quelconque… Mais le scénario ménage quelques surprises, et si le dénouement s’avérera bien âpre, la tragédie ne viendra pas de là où on le pense. Porté par des acteurs convaincants, dont la jeune Meryll Soriano, le film fait un peut penser aux oeuvres de Brillante Mendoza, même si la mise en scène de Mark Meily n’a pas la même ampleur. En tout cas, il permet d’ouvrir un peu plus les yeux sur les conditions de vie difficiles du peuple philippin et les efforts qu’il reste à accomplir pour plus de justice sociale…
La situation n’est guère plus reluisante pour les réfugiés nord-coréens venus tenter leur chance à Séoul. Dans The Journals of Musan, Park Jung-burn décrit l’errance d’un jeune homme, Jeon Seug-chul, qui n’arrive pas à trouver sa place dans la société. Comme tous les migrants venus du nord, il est confronté à la discrimination des employeurs sud-coréens, et quand il arrive à trouver du travail, ce sont des tâches ingrates, effectuées en échange d’un salaire de misère. Et il doit subir les brimades et les agressions physiques de certains locaux particulièrement hostiles. Dans ce contexte, difficile de se faire des amis… Il voit même les liens tissés avec d’autres compagnons nord-coréens se distendre au fur et à mesure que s’accumulent les galères et que le manque de ressources se fait cruellement ressentir…
Persécuté, sans abri ou traité comme un chien, telle est la vie de Jeon Seung-chul, à l’image du chien errant qu’il a recueilli et qui est son seul véritable ami…
Evidemment, là encore, il ne s’agit pas d’une comédie. Mais le cinéaste avait prévenu les spectateurs : “Vous allez sortir de la projection avec le coeur lourd”…
Effectivement…
On n’a pas beaucoup rigolé non plus à la projection de Birth right, second film en compétition du jour. Là encore, le cinéaste a prévenu l’assistance : “Je ne fais pas des films pour plaire au public. Sur celui-ci, disons que 80% des spectateurs vont détester et 20% vont aimer. J’espère que quelques-uns parmi vous feront partie de ces 20%”.
Personnellement, je me situe probablement entre les deux… J’ai trouvé que la démarche cinématographique était courageuse et audacieuse : maintenir une certaine tension pendant deux heures avec presque rien, juste le duel quasi-mutique de deux personnages dans un hangar obscur – une adolescente et la jeune femme qui l’a enlevée pour d’obscures raisons. Grâce aux deux actrices, impeccables, et grâce aux partis-pris de mise en scène radicaux du cinéaste – plans fixes étirés jusqu’au malaise – on est entraîné dans une histoire qui tient autant de la tragédie familiale que du thriller psychologique. Il s’agit indubitablement d’une proposition de cinéma intéressante et originale.
Mais – car il y a un mais – il est dommage qu’elle souffre de certaines longueurs. A partir du moment où on a deviné les motivations de la kidnappeuse – assez rapidement dans mon cas – le film perd de sa force et la durée de certaines scènes suscite un certain ennui…
Cela dit, le cinéaste avait raison. Effectivement, les avis autour du film sont très partagés et très tranchés. Certains adorent, d’autres détestent…
Le dernier film en compétition présenté, Udaan, n’a pas connu ce problème. Très applaudi, le premier long-métrage de l’indien Vikramaditya Motwane semble avoir fait l’unanimité au sein du public. Il faut dire qu’une belle histoire racontée avec des plans ne durant pas tous dix minutes et apportant une petite pointe d’optimisme, cela n’est pas franchement monnaie courante cette année.
Le film s’articule autour d’une relation père-fils tumultueuse, celle qui unit Rohan, un adolescent de 17 ans rêvant de devenir écrivain, et son père un homme frustré et violent qui entend bien dicter leur conduite à ses deux enfants. Il s’agit d’un récit initiatique dans lequel le jeune homme va apprendre à s’affranchir de l’encombrante tutelle paternelle et réaliser ses rêves. Il bénéficie surtout des prestations des comédiens, tous formidables, avec une mention spéciale aux deux jeunes acteurs principaux, particulièrement justes.
Dans la compétition Action Asia, Blades of blood de Lee Joon-ik et Mr et Mrs Incredible de Vincent Kok semblent avoir globalement plu aux festivaliers, qui parlent d’oeuvres “classiques et peu originales, mais efficaces”.
Hors compétition, le festival a bouclé l’hommage à Hong Sang-soo avec la projection de Oki’s movie, le dernier long-métrage du cinéaste.
Une fois encore, le cinéaste décline ses thèmes et ses intrigues de prédilection. Il est question de création artistique, de cinéma et de leur connexion avec la vraie vie, de relations amoureuses compliquées, de petits mensonges et grandes trahisons,… Et comme d’habitude Hong Sang-soo expérimente une forme de narration éclatée, offrant les points de vue de ses différents personnages. Cette fois-ci, il a choisi de compiler quatre court-métrages illustrant différents versants du même triangle amoureux faisant intervenir un professeur de cinéma, son étudiant favori et une jeune femme dont ils sont tous deux amoureux.
Le film est légèrement moins maîtrisé que Ha ha ha d’un point de vue scénaristique mais il tient quand même la route et confirme la démarche du cinéaste, qui continue d’affiner sa méthode narrative. En tout cas, c’est une très bonne idée que d’avoir projeté ses films dans une même programmation, et de proposer en complément l’intégrale de l’oeuvre du cinéaste… C’est la meilleure façon de se faire une idée des qualités d’un auteur et de son évolution artistique.
Le festival a aussi proposé aux spectateurs de découvrir Night fishing le nouveau film de Park Chan-wook (Old boy, Thirst…), coréalisé avec Park Chan-kyong. Une oeuvre surprenante puisqu’il s’agit d’un court-métrage expérimental présentant la singularité d’avoir été entièrement tourné avec un iphone 4. Et franchement, le résultat est bluffant. L’image est d’une netteté impressionnante et exploite au maximum toutes les fonctionnalités de l’appareil. Cette technique est mise au service d’une histoire de fantôme autour d’un homme parti pêcher, seul, de nuit, dans la forêt… Couleurs saturées façon vieux film en technicolor, noir & blanc très travaillé, avec effets vaporeux, effets de surimpressions, la palette d’effets proposés est particulièrement riche et inspirée. Bon évidemment, le format de trente minutes est un peu court, mais cette démonstration de force pourrait inspirer bien des cinéastes amateurs et heureux possesseurs du petit joujou de la marque à la pomme…
La journée s’est bouclée avec la projection du dernier film de Kim Jee-woon, autre grand cinéaste honoré cette année à Deauville. Après une incursion dans le western parodique (Le bon, la brute et le cinglé), le cinéaste revient au thriller horrifique avec J’ai rencontré le diable, qui a remporté les prix du public et de la critique lors du dernier festival de Gerardmer. Il raconte l’éprouvant jeu du chat et de la souris que se livrent un agent secret (Lee Byung-hun) et le serial-killer qui a tué sa femme (Choï Min-sik). Sous la caméra de Kim Jee-woon, le résultat est parfaitement rythmé. On ne sent pas du tout passer les 140 minutes – quand même ! – que dure la projection et on s’en prend plein les mirettes, avec nombre de scènes mémorables – mais à déconseiller aux âmes sensibles. Le problème, c’est que ce film sort après la Trilogie de la vengeance de Park Chan-wook (Sympathy for Mr Vengeance, Old boy, Sympathy for Lady Vengeance) ou des oeuvres comme The Chaser. Rien de bien novateur donc, et c’est peut-être parce qu’il est conscient de cela que le cinéaste joue la carte de la surenchère dans les effets gore et le sadisme gratuit. Dommage, car du coup, le film perd de sa force.
Franchement, sans la performance des deux acteurs principaux et le brio narratif du cinéaste, on serait un peu moins indulgents vis-à-vis de ce “vigilante movie” assez basique.
Suite des festivités demain, avec de nouveaux films en compétition et la présentation du nouveau Tsui Hark, Detective Dee, le mystère de la flamme fantôme.
A demain, donc pour de nouvelles chroniques asiatiques…