En début d'année, Isabelle Giordano a consacré une de ses émissions Service Public sur France Inter, au Commerce de demain.
Bien évidement on y aborde la caisse enregistreuse de demain, les nouveaux concepts...
Isabelle Giordanno et ses invités, Philippe Moati -Directeur de Recherche au CREDOC-, Chantal Zimmer -Déléguée Générale de la Fédération Française de la Franchise-, Thierry Petit -CEO Showroomprivé.com- aborde bien évidement l'avenir Multicanal du commerce
Je vous invite à écouter, réécouter cette émission, qui montre que le Web-to-Store n'est pas un effet de mode, mais une transformation durable du Commerce
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La Chronique de l'émission :
Le secteur du commerce de détail a été soumis au cours des dernières années à de puissantes forces de changement. Les technologies de l’information et de la communication ont fait naître un nouveau circuit (le e-commerce) et transformé en profondeur, pour les distributeurs, la manière de produire le service commercial et, pour les consommateurs, les modalités du processus d’achat. L’ouverture internationale du secteur s’est accompagnée de l’implantation de distributeurs étrangers, souvent innovants, et qui ont parfois bouleversé leur marché. La conjoncture macroéconomique a encouragé de nouveaux comportements de consommation répondant notamment aux tensions sur la dynamique du pouvoir d’achat. Le cadre réglementaire a connu des aménagements importants, avec en particulier la réforme des lois Galland et Raffarin... Sur un plan plus structurel, le commerce subit les transformations du capitalisme et les mutations sociétales qui mettent à mal le modèle de la distribution de masse « discount » hérité des Trente Glorieuses. Le commerce a commencé de répondre à ces transformations de son environnement : création de nouveaux concepts commerciaux, expérimentation de nouvelles modalités de relation avec la clientèle, mise en avant des marques de distributeurs et des marques-enseignes… De manière symptomatique, le commerce de proximité se réveille, alors que l’hypermarché peine à se réinventer et à contenir l’érosion de ses parts de marché. La vitesse à laquelle se déroule cette adaptation du commerce, ainsi que les directions qui sont privilégiées, dépendent très largement de la manière dont les acteurs du secteur se représentent leur environnement et anticipent son évolution. La littérature académique a mis en évidence que les stratégies d’entreprises dépendent moins des caractéristiques objectives de l’environnement que de la manière dont les décideurs se le représentent. Elle a également montré que, au-delà du caractère nécessairement subjectif des représentations qui contribue à la diversité des stratégies observées à l’échelle d’un même secteur, on observe fréquemment l’existence d’une « culture sectorielle » qui unifie les croyances et les anticipations des acteurs. Appréhender les visions d’avenir des décideurs des entreprises de distribution, et observer leur degré de convergence, constitue ainsi une clé d’entrée importante dans la compréhension des stratégies qui contribueront à construire le commerce de demain.
Pour cela, une enquête approfondie a été menée par le CREDOC auprès d’un échantillon d’une centaine de décideurs d’entreprises de distribution et de responsables d’organisations professionnelles. Le champ de l’enquête est l’ensemble du commerce de détail, hors services et hors e-commerce. Pour mettre en perspective les représentations des professionnels, le questionnaire a également été soumis à une cinquantaine de consultants et de chercheurs spécialisés sur le commerce.
> Dans l’attente d’une accélération du changementLes répondants sont très massivement convaincus que le secteur du commerce est appelé à vivre, au cours des dix prochaines années, une accélération de sa transformation. Seulement 8 % des personnes interrogées anticipent des changements d’une moindre ampleur que ceux intervenus au cours des dix dernières années (lesquelles, pourtant, ont été riches de transformations !). Remarquons que l’on compte une proportion un peu plus importante de « conservateurs » parmi les experts (14 %) que parmi les professionnels (7 %). Pour autant, une majorité s’accorde à considérer que si les changements seront de grande ampleur, ils ne conduiront pas pour autant à la remise en cause des fondamentaux du secteur. Néanmoins, 36 % estiment que le changement sera radical et d’une ampleur comparable à celui qui a suivi la naissance de la grande distribution dans les années 1960…
> Le choc des nouvelles technologiesInterrogés au moyen d’une question ouverte sur le contenu de ce changement et la nature du commerce qui en sera issu, les répondants ont d’abord mis en avant les nouvelles technologies. 64 % des professionnels, et 59 % des experts, anticipent un développement du e-commerce et/ou une évolution dans les comportements des consommateurs liée aux nouvelles possibilités offertes par ces technologies (recherche d’information, échanges de retour d’expérience entre pairs…).
La concurrence du e-commerce est prise très au sérieux. En moyenne, les répondants estiment que le poids du e-commerce dans le commerce de détail s’établira, en 2020, à 24 % (soit une multiplication par 4 ou par 5 par rapport à son poids actuel !). Un sur trois envisage même une part de marché supérieure à 30 %...
Cette concurrence accrue du e-commerce rend indispensable la présence des enseignes sur ce canal. Ce mouvement, qui a déjà été amorcé, serait appelé selon nos répondants à s’intensifier au travers de la diffusion des stratégies dites « multicanal ». Ce faisant, les distributeurs feraient coup double : ils pourraient espérer récupérer sur le Net tout ou partie du volume d’affaires perdu par les magasins, et ils s’adapteraient dans le même temps aux nouvelles attentes des consommateurs en étant en mesure d’offrir une palette de services plus large. Les acteurs interrogés sont plutôt confiants dans la capacité des distributeurs à saisir les opportunités du e-commerce. Environ 1 sur 2 estime que le e-commerce, en 2020, sera dominé par les entreprises du commerce en magasins (contre 1 sur 4 qui envisage la domination des « pure players »).
> Répondre aux attentes de consommateurs toujours plus exigeantsLes mutations sociétales arrivent en tête des facteurs de changement susceptibles d’avoir le plus fort impact sur l’évolution du commerce : 70 % des professionnels retiennent ce facteur parmi les 3 qui, selon eux, pèseront le plus. Les mutations sociétales sont le moteur de changements profonds dans les attentes et les comportements des consommateurs.
Les nouveaux outils que leur offrent les technologies de l’information et de la communication sont pensés comme un facteur de renforcement du pouvoir des consommateurs, au travers de l’amélioration de leur niveau d’information et de leur capacité d’arbitrage. Les consommateurs seront d’autant plus en mesure de se faire entendre par les distributeurs que ces derniers devraient se montrer plus attentifs aux attentes de leurs clients afin de limiter l’évasion vers le e-commerce. La montée de l’individualisme dans la société contemporaine a mis à mal le modèle de la consommation de masse. Nombre de répondants anticipent que les consommateurs exprimeront des demandes de plus en plus individualisées et seront en attente d’une relation plus personnalisée dans laquelle ils seront reconnus comme des personnes singulières.
Lorsqu’on leur demande de définir les domaines dans lesquels devront se concentrer leurs efforts d’adaptation face à ce qu’est supposé être le commerce en 2020, près de 60 % des distributeurs interrogés retiennent « la capacité à créer une relation plus profonde et plus riche avec les clients ». Interrogés de manière ouverte sur les principaux changements attendus sur le plan des attentes des consommateurs à l’égard du commerce, 30 % des répondants ont spontanément évoqué la demande d’un commerce juste, transparent, qui s’engage et tient ses promesses. En négatif, l’accent qui est mis sur ce registre témoigne de la conscience que les acteurs du commerce ont du bas niveau de confiance qui entache aujourd’hui la relation des enseignes avec leurs clients. Le commerce devra donc se montrer plus respectueux de ses clients, mais aussi des valeurs auxquelles ils sont attachés. 68 % des personnes interrogées considèrent que l’on devrait assister à la diffusion à grande échelle d’une consommation raisonnée, responsable, éthique…
L’adaptation à l’évolution anticipée des attentes des consommateurs passerait aussi par un ciblage plus précis des clients. Ce serait un moyen d’augmenter le degré de pertinence de l’offre par rapport à la spécificité de chaque demande, mais aussi de se différencier face aux concurrents. 54 % des distributeurs ont pointé « la capacité à mettre en oeuvre une offre différenciatrice » comme chantier prioritaire afin de s’adapter à ce que sera le commerce en 2020. Un répondant sur quatre a spontanément mis en avant, dans sa vision de ce en quoi le commerce de 2020 se distinguera de celui de 2010, l’idée d’un commerce plus segmentant, plus spécialisé, mettant en avant ses différences pour mieux s’attacher des cibles de clientèles spécifiques.
Le développement du service vient compléter cette vision d’ensemble des voies empruntées par le commerce pour mieux satisfaire ses clients dans l’avenir. Plus généralement, le commerce en magasin cherchera à cultiver ses avantages comparatifs par rapport au e-commerce, ce qui passe plus généralement par la volonté de faire vivre une expérience positive aux clients.
> Le retour du commerce de proximitéInterrogés sur les perspectives de développement des différents formats de point de vente et les différentes formes d’implantation commerciale, les professionnels et les experts expriment des visions d’avenir en rupture par rapport aux tendances de ces dernières décennies. L’avenir semble être à la proximité… Une importante majorité de répondants (69 %) anticipe un renforcement au cours des 10 prochaines années du poids des petites surfaces de proximité alors que, pour près de 3 répondants sur 4, celui des hypermarchés serait condamné à reculer. Les avis sont plus partagés pour ce qui concerne l’avenir des grandes surfaces spécialisées et du hard-discount. Les répondants se montrent également très optimistes quant à l’avenir du commerce de centre-ville, en particulier dans les villes petites et moyennes, qu’à 72 % ils imaginent bénéficier d’une part croissante dans l’appareil commercial d’ici 2020. Ils se montrent aussi optimistes quant à l’avenir du commerce en zone rurale : 47 % le voient en hausse et 34 % demeurer stable. Une majorité de répondants (52 %) voit en revanche le poids des retail parks (les parcs d’activités commerciales de périphérie) reculer. Les avis sont plus mitigés pour ce qui est de l’avenir des centres commerciaux, mais seule une minorité de répondants anticipe un renforcement de leur poids dans l’appareil commercial.
> Quel scénario pour 2020 ? On est frappé, à la lecture des résultats de l’enquête, du peu de poids que les visions d’avenir des répondants accordent à des thématiques traditionnelles telles que la sensibilité des consommateurs au prix, l’importance du prix bas dans la concurrence entre les enseignes, les perspectives de développement du hard-discount, la nécessité de maîtriser les coûts, d’acquérir la taille critique…
Manifestement, sur le plan des représentations tout au moins, les acteurs du commerce sont en train de tourner la page de la distribution de masse discount. Le commerce qu’ils imaginent pour 2020 est résolument « orienté client » et recherche sa compétitivité avant tout au travers de sa capacité d’écoute et de satisfaction des attentes des clients, dans toute leur diversité.
Ce retournement radical des modes de pensée est illustré de manière synthétique par la réaction des personnes interrogées aux trois scénarios que nous leur avons présentés et qui décrivent des visions contrastées de ce que pourrait être le commerce en 2020 :
Le scénario du « règne du prix cassé », s’inscrit dans le sillage de la théorie de la roue de la distribution et fait jouer à la concurrence par les prix un rôle structurant.
Le scénario du « commerce de précision » met en scène un commerce qui prend acte de la diversité des attentes des consommateurs et généralise les stratégies de segmentation différenciation.
Le scénario du « commerce serviciel » décrit un commerce qui a dépassé une conception de son métier centrée sur l’achat pour la revente, pour se penser comme pourvoyeur d’effets utiles et apporteur de solutions.
Le scénario du « règne du prix cassé » est clairement rejeté. Le gros des répondants se répartit de manière à peu près équilibrée entre le scénario du « commerce de précision » et celui du « commerce serviciel ». Dans le commentaire apporté à leur choix, plusieurs répondants ont insisté sur la possibilité d’un commerce en 2020 qui combine des éléments associés à chacun de ces différents scénarios, soulignant ainsi une tendance qui se dégage de l’ensemble des réponses au questionnaire : la marche vers un commerce pluriel, où des formats et des positionnements diversifiés répondront à l’hétérogénéité des attentes. Certains ont évoqué l’idée d’une séquentialité entre les scénarios : le commerce de précision serait une étape vers un commerce serviciel. Le fait que les experts se soient, davantage que les professionnels, positionnés en faveur du scénario du commerce serviciel est, de ce point de vue, peut-être significatif.
> La révolution mentale comme facteur d’accélération de la transformation du commerce ?Au total, les visions exprimées par les acteurs interrogés dans cette enquête témoignent de ce qu’un important travail de redéfinition de la culture sectorielle a été opéré au cours des années récentes. Les limites de plus en plus visibles du modèle de la distribution de masse, les expériences menées par les distributeurs les plus innovants (en France ou à l’étranger), mais aussi le renouvellement des générations à la tête des entreprises de distribution (il est significatif que l’âge des répondants soit corrélé au caractère plus ou moins « conservateur » de leurs visions d’avenir) et les avancées réalisées par les chercheurs et les consultants dans la compréhension de la dynamique du commerce… ont probablement formé un cocktail suffisamment puissant pour vaincre l’inertie mentale. Les acteurs du commerce semblent donc aujourd’hui massivement convaincus que le commerce de détail sera « orienté-client », travaillera les marchés de manière chirurgicale et adoptera une posture de plus en plus servicielle…
Dans la mesure où les visions d’avenir contribuent à la définition des stratégies, on peut donc s’attendre à une accélération des mutations engagées dans le secteur du commerce au cours des années récentes. Il reste cependant à évaluer, d’une part, le degré d’enracinement des visions d’avenir révélées par l’enquête et leur sensibilité à la conjoncture et, d’autre part, le degré d’inertie des entreprises de distribution, sur le plan de leur organisation interne et de leurs compétences, pour réussir à réformer en profondeur leur mode de fonctionnement afin de s’adapter à leur vision de ce que sera le commerce en 2020.
> Une certaine myopie ?Les résultats de l’enquête révèlent ce que l’on pourrait considérer comme une incohérence dans les visions d’avenir exprimées par les répondants. Par plusieurs aspects, ces visions induisent logiquement une contraction significative de l’activité dans le commerce de détail en magasin : la forte croissance de la part de marché du e-commerce, une conjoncture du pouvoir d’achat morose, une poursuite du mouvement de tertiarisation de la consommation, l’augmentation du poids des dépenses contraintes dans le budget des ménages, l’accroissement du poids des dépenses donnant lieu à prélèvement automatique sur le compte des clients…
Pourtant, la perspective d’une contraction de l’appareil commercial n’est que très rarement évoquée par les répondants. Signe de l’optimisme des distributeurs sur ce point, ils sont 62 % à estimer que leur enseigne va connaître un développement substantiel au cours des dix prochaines années… Soit il existe un biais d’échantillonnage dans le profil des répondants faisant que les enseignes représentées seraient particulièrement adaptées à ce que sera le commerce demain, soit la décennie à venir pourrait se montrer lourde de déconvenues… Maintenant que l’inertie mentale est rompue et que les visions d’avenir se sont ajustées aux mutations de l’environnement, la différence se fera sur la capacité à mener à bien le changement stratégique qui s’impose. Cette fois, c’est le degré d’inertie des organisations et des compétences qui sera mis à l’épreuve.
Source : France Inter, Service Public, émission du 3 janvier 2011, http://sites.radiofrance.fr/franceinter/em/servicepublic/index.php?id=99516