Nicolas Sarkozy s'est enfin saisi des affaires étrangères. La guerre civile en Libye fait rage. Le candidat
avait évidemment ses motivations toutes personnelles. Heurté par les accusations d'amateurisme et de collusion lors du printemps arabe de ces derniers mois, il a repris l'initiative, se montrant
plus offensif que ses collègues occidentaux. Cette fermeté était peu coûteuse, mais électoralement très utile. Le candidat Sarkozy a besoin du Monarque Nicolas. L'Elysée est un siège de campagne.
Et les ministres sont livrés à eux-mêmes.
Libye, et le retour du Shérif Sarkozy
Dès le 6 mars, la France fut le premier pays à reconnaître le Conseil national de Transition libyen (CNT)
comme seule autorité légitime de Libye. Jeudi 10 mars, le Monarque recevait même à l'Elysée, et surtout devant les photographes, deux émissaires du CNT. Il leur promettait frappes ciblées et
blocus aérien... si l'Europe en est d'accord. Le ministre Juppé, qui croyait avoir le dossier en main,
s'étrangle. Personne ne l'avait prévenu de cette accélération sarkozyenne. L'administration Obama préfère l'intervention humanitaire, à l'Est du pays. A Bruxelles, la chef de la diplomatie
européenne, dont l'insignifiance ravissait les chefs d'Etat qui l'avaient nommée voici deux ans, refusait que l'UE fasse de même, voire considère toute intervention armée. Et l'OTAN, cette
fameuse alliance atlantique dont la Sarkofrance a rejoint le commandement intégré en 2009, a été récusée par les dirigeants français eux-même pour le conflit libyen : « trop provocante
», nous expliqua-t-on.
Nicolas Sarkozy pouvait donc être bravache. Pour l'instant, c'est tout bénéfice ! Il se refait une virginité
diplomatique, et apparaît, à bon compte, comme le sauveur occidental des rebelles libyens. La famille Kadhafi a réagi. Le colonel lifté a multiplié les déclarations aléatoires, tantôt promettant
le sang, tantôt de revenir en France pour une visite officielle. L'un de ses fils a joué l'incompréhension : pourquoi tant de haine, alors que la Libye kadhafienne était l'un des remparts contre
Ben Laden ? Jeudi, à peine les deux émissaires du CNT avaient-ils quitté Nicolas Sarkozy, que l'agence d'information officielle libyenne promettait des révélations - un « grave secret »
- sur le financement électoral du candidat de la droite. Dimanche, un intermédiaire du contrat Agosta, proche du gouvernement Balladur en 1995 et de Brice Hortefeux, avait été interpellé (puis
libéré) à son arrivée à l'aéroport du Bourget, près de Paris. Il détenait 1,5 millions d'euros non déclarés, et raccompagnait deux journalistes du JDD auteurs d'une interview du colonel
Kadhafi.
Vendredi, les combats faisaient rage à Ras Lanouf, l'une des villes côtières et pétrolières reprise par
l'armée officielle. Lors d'un conseil européen spécialement consacré, vendredi, à l'actualité libyenne et proche-orientale, Nicolas Sarkozy
a répété son credo, des frappes ciblées et « purement défensives » pour empêcher Kadhafi d'utiliser armes chimiques et aviation contre ses opposants et des civils. Le Monarque était
déchaîné. « Il semble que Sarkozy veuille abattre le dictateur libyen seul » commentait un journaliste allemand. On se doute bien
qu'il n'adoptera pas la même attitude à l'égard du président à vie du Yémen, ou des émirs contestés du Golfe.
Et que dire sur son grand ami Bachar Al Assad, en Syrie ?
Le Monarque s'afficha pour 40 minutes de conférence de presse à l'issue du Conseil. On avait retrouvé notre
toréador, si volontaire dans les
paroles : « le Conseil européen est unanime pour réclamer le départ du colonel Kadhafi et de ses séides, le Conseil précisant qu'en aucun cas le colonel Kadhafi ne peut être
reconnu comme un interlocuteur du Conseil européen... ». C'est tout. Kadhafi peut écraser la rébellion tranquillement. On dirait un mauvais remake de la première du Golfe, quand l'alliance
internationale laissa Saddam Hussein écraser la révolte chiite en 1991.
Sarkozy nous avait promis que l'Union européenne était
repartie grâce à lui (Traité de Lisbonne, présidence française, réponse commune à la crise, etc). Elle reste un nain politique paralysé. Il nous avait vendu le rapprochement avec l'OTAN comme la seule issue pour la défense européenne. Mais pour la Libye, un conflit majeur à quelques centaines kilomètres de
l'UE, l'OTAN planque ses drapeaux. En novembre dernier, Sarkozy nous avait surpris en signant un
incroyable accord de coopération militaire avec le Royaume-Uni. Mais là encore, cette fabuleuse entente cordiale ne sert à rien.
Le Monarque reste sur sa tribune et joue au cow-boy. On
attendait avec impatience ses commentaires sur les explosions de centrale nucléaire au Japon après le terrifiant
tsunami de vendredi... la diplomatie atomique du monarque en a pris un coup...
L'Elysée, QG de campagne
La semaine politico-médiatique
avait débuté bien différemment. Sarkozy était tout concentré, comme à chaque fois, sur sa campagne. Deux sondages successifs publiés par le Parisien plaçaient Marine Le Pen en tête des intentions de vote au premier tour de l'élection présidentielle, si cette dernière avait
lieu aujourd'hui. A l'UMP, certains perdirent leur sang-froid. Depuis octobre, la présidente du FN prend des points sur
l'électorat Sarkozy et les couches populaires. Du débat identitaire de novembre 2009 au discours de Grenoble, Nicolas Sarkozy a si bien soufflé sur les braises ! Et son échec politique,
économique et social n'est pas là pour rattraper l'affaire. Mercredi, il rassura les sénateurs. Jeudi, ce fut au tour des dirigeants de l'UMP. A chaque fois, il rince son clan aux frais du
contribuables. L'Elysée est devenu un siège de campagne.
Pourtant, ce spectre du 21 avril à l'envers, et de la disqualification de Nicolas Sarkozy, étaient bien
utiles au candidat élyséen pour tétaniser le centre-droit. Jean-Louis Borloo avait justement motivé près de 70 députés pour qu'ils joignent leur vote à ceux de l'opposition pour récuser la
déchéance de nationalité pour les Français récemment naturalisés et auteurs de crimes contre des représentants de l'ordre public. Dès mardi matin, François Fillon annonçait que le gouvernement
faisait machine arrière. L'article est retiré de la loi sur l'immigration et l'intégration votée dans la journée.
A l'Elysée, Nicolas Sarkozy a fait le ménage parmi ses conseillers. Exit Olivier fils d'Alain Marleix,
responsable du charcutage électoral. Jeudi, il a sacqué Abderrahmane Dahmane, son conseiller « Diversité » nommé en janvier. Ancien secrétaire national à l'immigration de l'UMP, Dahmane avait osé
critiquer, dans des termes violents, la tenue du débat sur l'Islam, et incité les adhérents de confession musulmane de l'UMP à « ne pas renouveler leur adhésion ».
Lundi, il était souriant avec un échantillon de femmes-patronnes invitées au Palais pour la journée internationale des femmes.
Ministres orphelins
Le gouvernement navigue à vue. Son patron est trop candidat pour assumer la gestion des affaires courantes.
Et ses ministres pataugent. Lors du Conseil des ministres de mercredi, François Baroin s'est ainsi félicité du bilan de la Révision Générale des Politiques Publiques. Cette RGPP justifie, depuis
2007, la suppression de quelque 100.000 postes de fonctionnaires. Baroin répéta ses mauvaises évaluations - 2,7 sur les 7 milliards d'euros d'économies de la RGPP. La Cour des Comptes,
en février dernier , avait pourtant contesté ces chiffres, soulignant que « l’économie nette à
attendre des réductions d’effectifs serait donc de l’ordre de 100 à 200 M€ en 2011, mais elle pourrait en réalité être encore plus faible ». Benoist Apparu était content de la création de
2.400 places de logements d'urgence en 2010. La Fondation Abbé-Pierre s'inquiétait, il y a un mois, de la situation des 10 millions de mal-logés en France. Sa collègue Roselyne Bachelot, en
charge des « solidarités actives », était ravie d'avoir pu charger deux enfants par nouvelle place en crèche.
Frédéric Lefebvre, l'ancien porte-flingue et porte-voix de la Sarkozie décomplexée devenu secrétaire d'Etat
au Tourisme, se refuse toujours à imposer une transparence des cartes de restaurants contre la bouffe surgelée. Et
Xavier Bertrand reste extatique devant la poignée de création d'emplois salariés au 4ème trimestre 2010
(36.000 !). Même le Figaro a flairé l'arnaque : le ministre commentait les chiffres de la Sécu, plus favorables que ceux de l'Insee et de Pôle emploi. Sur le Mediator, Bertrand s'abrite derrière
ses assises du médicament. Ces tables rondes, inutiles car surchargées, sont censées déboucher sur des recommandations en matière de transparence médicale. Elles se tiennent à huit-clos. Cherchez l'erreur.
Claude Guéant, le ministre de l'intérieur, pouvait être soucieux. Jeudi, le Conseil constitutionnel a censuré
14 articles de la loi LOPPSI II, dont quelques mesures phares du Monarque comme les expulsions en urgence par le préfet, l'extension des pouvoirs des polices municipales, ou le recours à la
video-surveillance privée. Pour l'opposition, c'est une victoire, mais une maigre victoire. L'arsenal répressif demeure, les lois s'empilent, l'insécurité progresse. RSF vient d'ailleurs
d'ajouter la France à sa liste des « pays sous surveillance ». Comme la Libye, le Venezuela ou la
Russie.
Monologue électoral devant ouvriers silencieux
Mardi, le candidat Sarkozy avait sa visite hebdomadaire sur le terrain,
en Bretagne, dans deux petits bleds bien sécurisés. Le fiston de Guéant avait mobilisé quelques troupes de militants pour peupler les rues de Beignon et Josselin. Devant une assistance
d'ouvriers, dans une usine « très propre » (dixit Sarkozy), le candidat s'inventa des clivages pour mieux se poser en défenseur de la cause industrielle prétendument attaquée par des ennemis
imaginaires : « on parle mal des usines en France », ou : « Usine, c'est pas un gros mot. Ouvrier, c'est noble.» Evidemment, il critiqua les 35 heures, qui n'ont pourtant pas
grand chose à avoir avec la désindustrialisation du pays depuis 30 ans. Il loua la défiscalisation des heures supplémentaires de l'été 2007, un machin qui coûte 3 milliards par an, et plombe
l'embauche. Sarkozy n'avait pas eu le temps de lire le rapport de la Cour des Comptes sur la
convergence fiscale franco-allemande remis vendredi : les Sages soulignait que coût et durée du travail étaient similaires de part et d'autres du Rhin. Et que la différence se trouvait dans
l'importance du travail partiel en Allemagne. Le candidat Sarkozy se félicita également de la suppression de la taxe professionnelle. Jolie arnaque, elle est remplacée par deux autres
contributions.
Le Président des Riches tenta même de justifier sa réformette de la fiscalité du patrimoine : « il n'y a
pas assez d'entrepreneurs familiaux». C'était gonflé. Personne dans l'assistance ne pouvait moufter. Pas de micros à disposition. Sarkozy ne filme pas ses échanges mais ses monologues.
L'allègement de l'ISF promis pour l'été prochain n'a rien à voir avec le développement d'un capitalisme familial : les biens professionnels, et même la détention d'actions de sa propre
entreprise, sont déjà exonérés d'ISF.
« Le rôle du président de la République, c'est de répondre aux questions des Français, leurs vraies
préoccupations » déclara le candidat devant quelques maires locaux un peu plus tard. Vraiment ? En 2010, le nombre de bénéficiaires des minima sociaux a cru de 200.000 (+6,2%). Deux cent milles familles,
pour un total de 3,7 millions de foyers.
Et pour ceux-là, qu'avait à dire le Monarque Nicolas ou le candidat Sarkozy ? Rien.
Ami sarkozyste, as-tu déjà filé chez la voisine
Marine ?
Sarkofrance