Encore un film sur lequel je n’avais pas spécialement prévu de me précipiter, un peu agacée par le tapage médiatique accompagnant sa sortie. Je n’avais pas envie de passer une soirée en compagnie du couple Kiberlain-Luchini. J’avais tort. Je suis ressortie la mine réjouie et je n’étais pas la seule : les applaudissements ont spontanément crépité dans la salle de cinéma (de banlieue …) où je suis allée le voir un jour de semaine.
J’ai tout apprécié. Les acteurs, connus et méconnus, sont parfaits. Les interprètes espagnoles assurent crédiblement leur rôle. Normal : elles l’ont appris phonétiquement. Rien à redire sur les décors, les costumes, les dialogues. Le scénario est bien ficelé, slalomant astucieusement entre les clichés sans jamais trébucher. La fin apporte une fraicheur sympathique. Chacun aura trouvé sa chacune, même la femme trompée qui découvrira qu’elle se fourvoyait dans un mariage qui n’était pas pour elle.
Pourquoi alors lui consacrer une chronique ? Pour confirmer que c’est un film à voir, et qui vous procurera un des trois kifs nécessaires journaliers à votre bien-être. Et pour rebondir sur un pan de mes souvenirs de jeunesse qui se sont trouvés réactivés.
Plonger dans l’espace des années 60 a rafraichi le souvenir idéalisé que j’avais gardé de la cuisine de mon enfance. Mes parents ont déménagé au cours des années 70, alors que j’étais au bord de l’adolescence (qui à cette époque ne commençait pas avant l’âge de 15 ans …) et je n’ai pas vu la pièce évoluer sous les transformations qu’elles ont toutes subi. L’endroit me semblait moderne. Rétrospectivement je le trouve fonctionnel, sans plus. Je prends conscience du manque de romantisme de la toile cirée qui débordait sur la table rectangulaire. De l’eau qui gouttait sur la pierre à évier. De l’exposition épicière sur les étagères.
Aujourd’hui l’inox étincelle dans des cuisines pimpantes comme des salles de restaurant ou équipées comme des laboratoires. En 1962, même à Paris, même dans les étages bourgeois, il n’y a aucune décoration. La blancheur est de rigueur et le seul signe de modernité se manifeste par la présence du plastique en train de détrôner la tôle galvanisée des bassines.
Je me dis que les temps ont bien changé et que la cuisine est sans doute la pièce qui a connu l’évolution la plus spectaculaire.
Ce 6ème étage a fait resurgir d’autres souvenirs moins lointains. Ceux de ma première indépendance, concomitante du premier job à temps plein. J’avais 20 ans. La société entrait dans les années 80 et, du moins en province, il était courant que les jeunes sans le sou emménagent dans ces anciennes chambres de bonne. La mienne était au 7ème et je crois que j’y étais la seule occupante. L’atmosphère y était moins joyeuse que dans le film. N’ayant aucune famille dans l’immeuble je ne pouvais pas « couper au court » en faisant une partie de la montée en ascenseur, traverser un appartement jusqu’à la cuisine, ouvrir la porte donnant sur l’escalier dit de service pour continuer à pieds sur un nombre restreint d’étages.
Je faisais l’ascension depuis le hall dans un escalier poussiéreux en tournicoti à la peinture écaillée et je vous jure que si j’avais oublié un ingrédient pour le dîner je ne redescendais pas.
Les réserves alimentaires dormaient la nuit dans un sac accroché à l’extérieur de la fenêtre, à commencer bien sûr par le lait qui ne passait jamais par la case « frigo ». Quand je vois aujourd’hui partir à la poubelle un yaourt « périmé » de la veille cela me fait toujours un drôle d’effet.La chambre était un espace minuscule, avec l’eau (froide) sur le palier. Des WC collectifs. Un vasistas qui s’ouvrait en grinçant au-dessus des toits à la couverture zinguée sur un panorama à 180°. Pas de chauffage, mais un air de paradis tout de même. La liberté embellit tout.
Les femmes sortaient avec le fichu sur la tête sans qu’alors on parle de foulard ou de soumission. La mode des chignons crêpés a été plus efficace que toutes les revendications d’indépendance. Elle eu raison de ce morceau de tissu qui est descendu autour du cou.
Le bouche à oreille a du bon quand il vous pousse ainsi vers d’aussi belles choses, comme il y a quelques années le Bonheur d’Agnès Varda.