Rencontre avec Vialka (reportage + interview)

Publié le 12 mars 2011 par Hartzine

Vialka, c’est Eric Borros à la guitare et Marylise Frecheville à la batterie. Leur petite fille de 4 ans, Illdiko, a déjà parcouru deux fois le globe, notamment en Chine, avec ses troubadours soniques de parents. Au printemps dernier, je me désarticulais en dansant extasié à l’écoute d’une session enregistrée sur la radio new-yorkaise WFMU. Puis en plein été, dans le Doubs, au milieu des pierres froides du Château de Joux, j’ai pu me réchauffer sans mal lors de leur passage au festival “Ça s’joux au château”. Cet hiver, je me décidais enfin à leur déclarer ma flamme dans une interview par mail. Je ne sais pas pourquoi exactement, mais je me suis mis en tête à ce moment-là d’aller chez eux : je voulais voir l’Auvergne, je voulais voir comment ils vivent, comment ils réussissent tout en étant parents à vivre leur passion et à exécuter des tournées effrénées à longueur d’année.
Le rendez-vous est pris fin janvier. Je pars pour Thiers au bout du monde avec ma caméra. Ils ont décidé de s’installer dans cette ville, patrimoine historique de la coûtellerie que les délocalisations d’usines de couteaux depuis les dix dernières années ont transformé en cité fantôme entourée d’usines en friches et aux vitrines de commerce désespérément vides. Les rythmes ciselés de Vialka vont bien à cette ville qui a son festival de musique rock, La Pamparina. Si les chats ont trouvé leur royaume dans les friches industrielles, la Dore, la rivière qui alimentait les forces motrices des usines, continue à couler sous le creux de l’Enfer, centre d’art contemporain érigé dans les murs d’une ancienne coûtellerie.
La joie communicatrice de leur musique vient de leur énergie d’aller vers leur public. Rapidement, ils se sont constitué un véritable réseau à travers la planète. Reçu aux quatre coins du monde, Vialka fait aujourd’hui plus de 100 concerts par an dans plus de 50 pays.  Chine, Europe, Amérique, Australie… Inutile d’essayer de compter les markers dans Google Maps. Ces tournées sont l’occasion de collaborations artistiques exceptionnelles comme avec le chinois performeur Xiao He qu’ils ont invité à jouer en France ou le groupe israélien Kruzenshtern I Parohod avec qui ils ont enregistré un split en 2005. Un de leurs prochains projets a beaucoup retenu mon attention. En collaboration avec leur ami Cédric Carles, un designer franco-suisse qui a mis au point le “solar soundsystem”, une machine solaire permettant d’alimenter un soundsystem, ils tourneront en Inde à la fin de l’année à la rencontre des artistes locaux.

L’interview

Bob Drake est une nouvelle fois aux manettes sur votre prochain album La Poursuite de l’Excellence, qui vient de paraître. C’est un personnage sans doute très attachant, j’imagine que vous partagez un certain nombre d’opinions avec lui, mais dans quelle mesure lui faites-vous confiance pour l’enregistrement de votre musique ?

Bob Drake n’est pas un ingénieur banal: c’est un magicien du son. Il est très exigeant et rigoureux à l’enregistrement, et puis on ne sait jamais à quoi vont ressembler les morceaux qu’il mixe. Nous lui faisons
pourtant confiance, car si on se penche sur sa production, c’est un déluge de précisions qui donne à la musique une vraie forme. D’aucun préfèrent les sons bruts comme dans un live, mais nous partons de
l’idée qu’un disque s’écoutant maintes fois, chaque fois peut apporter une nouvelle lecture. D’autre part c’est avec Bob que nous avons appris à travailler en studio, c’est une âme très patiente et généreuse avec
qui nous sommes très confortables, ce qui est important pour gérer les éventuels conflits, car il y en a, évidemment.

Vialka signifie petite chorale en russe je crois. D’emblée, ça m’a fait penser à une marque de détergeant ou d’aspirine. Si votre musique soigne ou débouche, il est difficile de se procurer votre produit chez des revendeurs. Vous vous êtes associés au label australien Dual Plover depuis Succès Planétaire International : comment les avez-vous connus et que vous apporte cette structure aujourd’hui ?

Nous avons rencontré Lucas Abela, le fondateur du très éclectique label Dual Plover, lors notre première tournée aux Etats-Unis à l’automne 2003. Il tournait alors avec son projet solo, Justice Yeldam, où il joue de la vitre avec son visage. Nous avons partagé l’arrière du Toyota et ses effluves de choucroute pour quelques milliers de kilomètres, en papotant politique internationale et débrouille. Il nous a aidés à organiser notre première tournée en Australie, puis la deuxième… et lorsque l’idée de nous co-produire s’est présentée, nous l’avons suivie, pour nous donner plus de visibilité. Deux autres labels, ReR Megacorp (USA) et Auris Media (Israël), ont mis nos produits dans les réseaux commerciaux courants, mais en général le meilleur moyen de se procurer nos disques est de s’aventurer aux concerts ou de les acheter sur notre site internet, car il faut bien avouer que la marchandise en magasin est aujourd’hui plombée.

Vous avez commencé à écouter quoi comme musique étant gamins ?

D’abord beaucoup de musique classique aux cours de danse et piano, puis lorsque j’ai su faire marcher la sono toute seule j’ai pu mettre ce qu’avaient en réserve mes parents, vraiment n’importe quoi : compilations de chansons paillardes, chanson française (surtout Brassens et Piaf), Jean-Michel Jarre, Beatles, Pink Floyd, Dire Straits, Boney M, cassettes de musique traditionnelle indienne, cassettes de new-wave commercialisées dans le but ultime de faire taire les enfants en voiture.

Vous vous intéressez de près à ce qui sort aujourd’hui en musique ?

Nous nous intéressons à tout, autant que faire se peut, grâce à l’internet, à notre médiathèque municipale, et la mémoire phénoménale d’Eric qui lui permet de dénicher la bonne musique sans trop d’effort de repérage.

Marylise, à quel âge as-tu appris la batterie ? Imaginais-tu alors à l’époque devenir ce duo explosif qu’est Vialka ?

J’ai commencé à jouer régulièrement de la batterie en 1994, j’apprends toujours. A l’époque j’étais une élève plutôt sérieuse au lycée, ce qui réduit l’imagination à un mot sans contenu. Avec les potes nous voulions devenir riches et célèbres de la même manière que ma fille de 4 ans est une princesse aujourd’hui. Tout portait à croire cependant que j’avais une vocation pour la scène, quelle qu’elle fût.

Vous êtes dans la culture DIY : comment tombe-t-on là-dedans, par nécessité ou par envie irrépressible de créer ? Est-ce qu’on en souffre à un moment ? Suels conseils me donneriez-vous pour adopter cette philosophie ?

David, c’est tout ça à la fois… Quand tu en as besoin, ça vient. Alors tu dois te jeter dedans, dans n’importe quel vide, à moins que le sol ne se soit déjà dérobé de sous tes pieds. Un mot définit classiquement notre acharnement à nous produire : la passion. Car la reconnaissance se fout de la somme de travail fourni ; elle fluctue aux aises du hasard.

Qu’est-ce que vous aimez le plus, à part jouer bien sûr, quand vous êtes en tournée ?

Admirer les paysages, rencontrer les gens, leur parler, les écouter, apprendre leur langue, les comprendre, manger à leur façon, dormir n’importe où, baiser n’importe où, ne pas avoir d’affaires à soi, aller se promener et se perdre, être tout léger, n’être plus rien, se fondre dans le paysage.

Comment s’organise une tournée mondiale ?

Avec les nerfs de la guerre et une grande confiance dans l’humanité.

Que prend Vialka pour reprendre courage ?

Un peu d’amour dans quelques litres de larmes salées, des baguettes en bois et une guitare.

Des groupes comme Deerhoof ou Dirty Projectors font une musique pas si éloignée de la vôtre : le jeu de batterie constamment en rupture de Greg Saunier et le jeu de guitare inspiré du style traditionnel africain de David Longstreth, ça ferait presque du Vialka, je vous le dis ! Vous appréciez ce qu’ils font respectivement ?

Quel compliment ! Nous (re)découvrons ces artistes en ce moment, justement. Ça nous plaît beaucoup, il est probable que nous ayons des influences communes ; j’espère que nous croiserons leur chemin un jour !

Les Singes Merdiques ça arrive comment ce genre de lyrics ?

Ça arrive quand tu lis Murakami au lieu de t’amuser avec tes semblables pendant les vacances de fin d’année.

Vous êtes contre le capitalisme et l’hégémonie américaine ; la politique vous intéresse, celle de la France en particulier puisque vous y vivez. Selon vous, comment rassembler et rendre le pouvoir au gens ? Votre musique agit comme un réveil pour le corps et l’esprit, elle a à voir avec votre vision du monde et la politique en particulier sur l’album Plus Vite que la Musique. Comment s’est produit cette fusion du rock et de votre conscience citoyenne ?

Nous avons toujours exprimé une rage de constat, non didactique. Les paroles de Plus Vite que la Musique ont été le fruit d’un débordement créatif lors de ma grossesse. Notre parcours avait été jusqu’alors tracé en marge du système, et tout à coup, il a fallu assurer l’existence civile et l’avenir d’une autre personne, soit réfléchir aux tiroirs “avenir de l’humanité”, “état”, “suivi médical”, “bail de location”, “habiter”, “métier”, “déclaration d’impôts”… notre conscience citoyenne est apparue dans le chant à ce moment-là, sans être le sacerdoce de la musique. Puis pour répondre à la question du milieu de ta question : alors que le service public est progressivement rayé de la carte par nos politiciens alliés des requins banquaires et des multinationales, le quidam n’a pas encore vraiment le besoin d’éprouver le désir de reprendre le pouvoir de ses institutions pourtant si précieuses. Ôtez-lui pain, vin et télé, autrement dit les allocations, il pensera peut-être à réagir.

Collette Magny, Léo Ferré… Avez-vous été influencés directement par leurs chants de révolte ?

J’aime bien Léo Ferré mais je ne connais pas Collette Magny (lacune rectifiée depuis ma visite). Dans la section “chants de révolte”, j’apprécie particulièrement Michèle Bernard ou la compagnie Jolie Môme, mais elles ne représentent pas des influences directes. Pour écrire, j’oublie tout afin de ne rien copier.

Que faites-vous comme cadeaux à vos proches ?

Des livres et du bon manger artisanal local. Peut-être les DVD de We Feed the World ou Le Monde selon Monsanto, ou la carte du réseau nucléaire en France.