Je prends enfin le temps de vous faire un récit un peu plus complet de «ma» Transgrancanaria (vous trouverez très bientôt en kiosque mes articles et sur le petit écran notre sujet Journal du Trail pour en savoir plus sur l’ambiance générale et la compétition)...
Pour résumer ma course... et bien elle s’est vite résumé à un long trek plutôt solitaire, assez soutenu tout de même et émaillé de quelques rencontres mais surtout de belles vues sur des paysages variés et agréables. Le côté compétitif m’a, je dois bien le dire, assez vite échappé. Je ne venais pas vraiment pour ça mais mon instinct de compétiteur a vite pris des vacances définitives dès les premières heures de course. J’avais du mal à courir sur un rythme soutenu, même si je n’allais pas bien vite... Alors à quoi bon forcer?
Autant profiter du parcours, «trekker», à un bon rythme ces 123 kilomètres et conserver pour la suite une forme physique acceptable. L’année sera bien chargée au vu de mes projets et voyager ainsi pour seulement trois jours sur place tout en travaillant (et oui je suis là-bas pour ça aussi! ;-)) n’est pas (du tout) de tout repos. Bonjour le manque de sommeil, la caféine est ma meilleure amie...
Cela dit traverser ainsi la Grancanaria est une belle expérience: j’arrive à relativement bien apprécier les paysages, je peux vaguement discuter avec quelques coureurs, je suis dans la course sans l’être vraiment et finalement je trouve ça très bien. La nature de l’île est très variée, c’est là sa moindre qualité. Bon, tout le début de la course, je n’ai rien vu: des grains de sables et des cailloux, il faisait nuit. Déjà, la lueur de ma frontale m’apparaissait particulièrement blafarde, mais j’attribuais cette faiblesse à la pluie qui, tombant drut, encombrait rapidemment ma vision à travers mes verres de lunettes. Malgré quelques essuyages, la situation ne devait vraiment s’améliorer qu’avec le lever du jour qui coïncidait comme par enchantement avec la fin de l’averse.
Le spectacle m’a alors bien plu: d’abords des pentes assez difficiles dans des pinèdes typiques, des zones rocheuses ocre rouges qui rappellent l’Atlas, le passage près des trois lacs de retenue qui offre également de beaux panoramas. L’intensité de l’effort n’étant pas trop élevée, j’ai pu regarder, prendre des photos, apprécier tout en restant en mouvement ce qui reste tout de même le but du jeu. Plus loin, on aborde les pics puis le point culminant de l’île, à 1960 mètres. Pour y aller, le parcours fait quelques détours, grimpe et descend continuellement. Avec le manque de ravitaillement (j’aurai du mieux lire la présentation quoique finalement cela ne soit pas si clairement indiqué: juste un point d’eau au 20e, quelques barres au 40e et de l’eau vers le 60e...) et les difficultés qui s’intensifient sur des chemins de plus en plus techniques, je commence à peiner davantage. Décidément la forme n’est pas là.
Le ravitaillement, cette fois ci bien plus consistant, du 81e kilomètre, me fera du bien. J’y rencontre Michael Nielsen, un danois avec qui j’ai couru une bonne partie de l’Ultra 6000D l’an passé. Décidément, nous nous croisons souvent! Il m’explique que cette course est l’une des plus dures auxquelles il a participé, que l’an passé il avait vraiment souffert mais que là ça va mieux... Bien plus difficile pour lui que le Spartathton qu’il a terminé facilement trois fois. Mon autre ami, le hollandais Erwin, m’a affirmé l’inverse tout à l’heure au départ, comme quoi les goûts, les couleurs et les courses...
En tous cas Michael détalle plutôt vite après ce ravito, alors que je relance un peu mon allure mais sans beaucoup d’effet. Enfin si, j’avance un peu plus vite quand même et surtout sans peines. Mon esprit, cependant, est plus ou moins embué: mes tourments actuels, mes espoirs aussi, enfin bref pas mal d’idées, tournent en rond, ou plutôt en spirale, dans mon cerveau. Au début, cet état d’esprit meuble mon cheminement, mais au fur et à mesure de la course et de la fatigue qui s’installe, ça commence à m’embêter. J’essaie de m’échapper par la contemplation, mobile, du paysage. Il change encore: nous traversons une agréable vallée humide, qui s’appelle Valleseco. Ironie? En tous cas c’est bien joli. La végétation rappelle ici l’Europe. Un peu plus loin, j’ai même l’impression de me retrouver quelques mois auparavant, sur le Wiclow way. La nuit va bientôt tomber, à nouveau.
Et me voilà à nouveau dans l’obscurité. Pour échapper à mes pensées, ou pour briser leur rythme en tous cas, j’ai allumé mon balladeur depuis le ravitaillement de Teror. Il faut dire qu’à l’exception de quelques courts instants, je cours seul. Donc au bout de 100 kilomètres, la musique me donne une sorte de compagnie. Mais avec la nuit, je dois surtout me concentrer sur mes pas. En effet, je m’aperçois que la pâleur de ma frontale n’était pas due à la pluie: elle est en panne! Pour améliorer les choses, la pluie, sans doute invitée par ce paysage celtique, s’abbat à nouveau sur moi et les autres coureurs restés sur le parcours.
Je suis trempé et surtout je ne vois absolument plus rien. Drôle d’expérience que ces 20 derniers kilomètres: j’avance, pas bien vite, en m’aidant de mes bâtons pour tâter le sol qui est tout de même bien rocheux par endroit, et en essayant de trouver le chemin. J’arrive à rejoindre deux coureurs, bien éclopés mais éclairés, qui m’aideront quelques temps à mieux y voir... Le dernier ravitaillement et les lumières du village sont les bienvenus. La pluie a tout de même la bienséance de s’arrêter lorsqu’il me reste cinq kilomètres à parcourir. A partir de là, ça va déjà mieux d’autant plus que la luminosité, à l’approche de Las Palmas, redevient un peu plus forte. Le temps de plonger dans une dernière descente pas franchement follichone et me voilà arriver, sur le front de mer, 22 heures 30 après être parti.
Une bien longue ballade tout de même. Je la rallonge de quelques kilomètres pour rentrer directement à l’hôtel, en compagnie de Noelle et Jean-Michel qui sont venus me retrouver à l’arrivée. Demain, conférence de presse et retour en avion... Une belle traversée mais un voyage pas de tout repos, alors que la jetée invite le vacancier au fare niente...