Écrit par Jeune Afrique
Vendredi, 11 Mars 2011 17:57
àééçééàéêééà ééà
Martin Belinga Eboutou, directeur du cabinet civil du président de la République du Cameroun, Paul Biya.
La teneur des articles de MM. François Soudan et Alain Faujas dans votre numéro 2614 [voir l'ensemble du dossier ici, NDLR] nous a fortement surpris. Jeune Afrique nous avait habitués à plus de mesure et, j'ose le dire, d'objectivité.
L'enquête qu'auraient menée les deux journalistes se proposait, semble-t-il, de répondre à la question : Comment va le Cameroun ? Mais la réponse ne se trouvait-elle pas déjà dans le sous-titre de
couverture, « Le pays de Paul Biya peine à sortir de sa torpeur politique, économique et sociale » ?
S'agissant de la prochaine élection présidentielle, « les jeux sont faits », selon M. Soudan, et l'actuel chef de l'État devrait l'emporter sans problème. L'opposition serait « résignée » et l'abstention pourrait être la seule véritable surprise. Comment échafauder de telles hypothèses à plus de six mois de la date du scrutin, alors que la liste des candidats n'est pas connue et que les partis politiques n'ont pas encore manifesté leurs intentions ?
Le même journaliste évoque également la « succession » du président de la République et cite, à ce sujet, les noms de quelques supposés « dauphins », ce qui ne peut évidemment qu'embarrasser les personnalités en question, qui bénéficient de la confiance du chef de l'État. Et que dire de l'ambiance forcément délétère qui pourrait ainsi se créer au sein de l'équipe gouvernementale ? Dans un État de droit comme le Cameroun, ce problème, lorsqu'il se posera, ne sera pas réglé par la voie dynastique, mais selon les dispositions démocratiques prévues par la Constitution.
Enfin, de façon assez surprenante, M. Soudan envisage ce qu'il appelle curieusement « le scénario à la mode », c'est-à-dire la contagion d'événements comme ceux qui se sont déroulés en Tunisie et en Égypte. Pour les juger par la suite peu probables, en raison des caractéristiques de la société camerounaise, qui serait insuffisamment consciente politiquement pour transcender les clivages régionaux et communautaires. Notre explication est à la fois plus simple et, je crois, plus proche de la réalité. Les Camerounais, au cours de leur existence en tant que nation, ont eu l'expérience des malheurs qu'entraînent les désordres et l'insécurité. Ils apprécient la stabilité dont leur pays jouit depuis plusieurs décennies.
Par ailleurs, vous ne l'ignorez pas, nous disposons d'institutions représentatives qui fonctionnent normalement, la liberté d'expression est indiscutable, et les droits de l'homme sont respectés.
M. Faujas, pour sa part, s'intéresse essentiellement à la situation économique et sociale du Cameroun pour estimer que celui-ci fait du « surplace » et qu'il ne valorise pas son potentiel humain et naturel. Ce constat, sans nuance, s'explique, selon lui, par « l'inertie » de la gouvernance, qui se traduit par une croissance économique et une amélioration des conditions de vie insuffisantes.
Inversement, il reconnaît que la gestion des finances publiques est satisfaisante et que les indicateurs macroéconomiques sont plutôt favorables.
Où se trouve donc la vérité ? S'il est exact qu'une certaine forme d'inertie et une corruption rampante ont, au cours des dernières années, freiné la croissance de notre pays, le président de la République lui-même les dénonce régulièrement, et le gouvernement s'efforce de les éradiquer.
Néanmoins, il serait injuste d'occulter l'enchaînement des faits qui ont conduit à la situation actuelle : détérioration des termes de l'échange à la fin des années 1980 ; application des programmes d'ajustement structurel dans les années 1990, avec les conséquences que l'on sait sur le niveau de vie des populations ; crise de 1993-1994 ; mise en œuvre des programmes de développement économique et financier et reprise de la croissance ; enfin, crise mondiale en 2008-2009. Même si cette dernière n'a pas remis en cause nos fondamentaux, elle a provoqué un ralentissement de notre redressement, en pénalisant notre commerce extérieur et en contrariant les investissements.
Dès lors, il apparaît difficile de porter un jugement équitable sur notre politique de développement sans mentionner les facteurs qui tiennent à l'environnement international et sur lesquels nous n'avons pas prise. Par ailleurs, comme vous le savez, le Cameroun est, à l'échelle africaine, un assez grand pays par la superficie et le chiffre de sa population, ce qui en matière d'infrastructures et de développement social soulève des problèmes d'envergure. Bien que nous ne disposions pas de ressources pétrolières importantes, comme d'autres États, nous avons fait de gros efforts dans le domaine social, particulièrement en matière de santé publique et d'éducation, ce que l'on nous reconnaît habituellement.
Je note, pour m'en féliciter, qu'in fine M. Faujas admet qu'il existe de la part de l'État une volonté politique d'aller de l'avant et que nos grands projets, lorsqu'ils prendront corps, devraient finir par relancer la croissance. La souscription sans difficulté du grand emprunt d'État, en décembre dernier, est un signe de la disposition et de la disponibilité des épargnants et du secteur financier à accompagner notre redressement. J'ajoute que si M. Faujas avait été présent au récent comice agropastoral d'Ebolowa, il aurait été frappé, comme nous tous, par la vitalité et le dynamisme de notre monde agricole.
Pour conclure, permettez-moi de relever, pour le souligner, que le Cameroun ne me semble pas être ce « lion endormi » que MM. Soudan et Faujas ont peut-être un peu hâtivement dépeint. C'est évidemment un pays, comme tous les autres, qui n'échappe pas à la critique. Mais c'est aussi un pays dont la population connaît les avantages de la stabilité et qui entend bien la mettre à profit pour avancer dans la voie de l'émergence. N'est-ce pas là l'essentiel ?
François Soudan et Alain Faujas réagissent :
Cet intéressant plaidoyer appelle de notre part deux remarques. Sur le plan politique, notre appréciation d'observateurs nous a effectivement conduits à estimer qu'en ce qui concerne l'élection présidentielle d'octobre prochain « les jeux, sauf accident, sont faits ». Ce qui a pour conséquence de geler les ambitions de « dauphins présumés ou putatifs dont l'opinion cite volontiers les noms – au grand dam de ces derniers [...] si tant est, bien sûr, qu'il s'agisse là de leur objectif ». Cette prévision, somme toute banale pour tout « camerounologue », ainsi que le fait d'énumérer avec les précautions d'usage quelques-unes de ces personnalités connues de tous (et largement médiatisées) devraient-ils poser un tel problème au point de créer « une ambiance forcément délétère au sein de l'équipe gouvernementale » ? Le Cameroun n'est-il pas une démocratie ? L'esprit de solidarité censé animer l'équipe dirigeante serait-il à la merci d'un simple article de presse (fût-ce dans Jeune Afrique) ?
Sur le plan économique et social, M. Belinga Eboutou omet de faire allusion aux causes de la somnolence camerounaise que notre dossier pointait et qui empêchent le secteur privé de créer de la richesse, pour imputer aux facteurs exogènes une croissance insuffisante. Mais n'est-ce pas le devoir d'un gouvernement que de mettre le pays à l'abri des inévitables chocs venus de l'étranger ? Enfin, concernant la corruption, nous avons bien noté les progrès réalisés par le Cameroun dans la lutte contre cette plaie. Tout en constatant que des prédateurs, grands et petits, continuent de nuire à sa crédibilité. Sur ce plan aussi, le lion peut (et doit) mieux faire.