Le coup de cœur d’Aude Lancelin
Plus qu'une digestion de la veille, le rêve ne serait-il pas un «brouillon du lendemain»? C'est l'hypothèse qu'envisage l'ethnopsychiatre Tobie Nathan dans un essai audacieux.
“Le rêve”, de Matisse. (Succession Matisse/Sipa)
Notre culture ne concède qu’une place dérisoire aux rêves. Insignifiantes scories de l’activité cérébrale nocturne pour nombre de scientifiques, ils sont au contraire pour la psychanalyse l’expression de désirs refoulés. Une vision encore trop réductrice aux yeux de l’ethnopsychiatre français Tobie Nathan, qui se fait fort de compléter la théorie freudienne en recourant aux « clés des songes » transmises par l’Antiquité ou aux approches talmudiques et chamaniques.
Etrange concession à des pratiques rituelles obscurantistes ? L’ouverture de Tobie Nathan à des vérités disparates lui a pourtant permis de sauver psychiquement des individus, au Kosovo par exemple, où les cauchemars post-traumatiques furent nombreux après la fin de la guerre. Souvent vue en digestion des événements de la veille, l’activité onirique serait plutôt à envisager « en brouillon du lendemain », telle est l’une des fortes hypothèses de « la Nouvelle Interprétation des rêves ». Quiconque vit sans jamais se soucier d’interroger ses rêves ne vit donc qu’à moitié et se met même intimement en danger, insiste l’auteur.
Une raison parmi d’autres de se plonger dans ce beau livre, humain et mystérieux, où les découvertes les plus récentes de la neurophysiologie côtoient non sans audace les cultures divinatoires sophistiquées du Bénin et la sagesse du Zohar.
Aude Lancelin
« La Nouvelle Interprétation des rêves »,
par Tobie Nathan, Odile Jacob, 252 p., 21,90 euros.
Source : “Le Nouvel Observateur” du 3 mars 2011.