Aujourd’hui j’aimerais revenir sur l’essence des parfums Guerlain, leur continuité, leurs personnalités chaque fois déclinées et renouvelées mais toutes construites sur un socle commun. Une base qui fait la signature de la maison, la seule et l’unique, appelée la « Guerlinade ».
C’est cette continuité qui fait des adeptes de Guerlain des fidèles. Si vous êtes tombé amoureux d’un parfum, vous êtes susceptible de vous laisser charmer par tous les autres. Il y a comme un air de famille, quelque chose d’étrangement familier dans chacun de ses parfums, un je ne sais quoi qui les relie au-delà de leurs différences.
La notion de Guerlinade recouvre cette association spécifique de senteurs que quasiment tous les parfums de Guerlain partagent : bergamote, rose, jasmin, fève de tonka, vanille, iris, notes animales. Mais elle dépasse évidemment le simple recours à ces substances. C’est surtout la manière dont elles sont orchestrées les unes par rapport aux autres qui importe. Guerlain tend à donner à chaque parfum un impact émotif et sensuel, reconnaissable comme lui appartenant.
Le concept de Guerlinade s’appuie sur quatre thèmes, les piliers de sa personnalité :
Un plaisir immortel : la bergamote donne au parfum un zeste de calme et de transport, la rose et le jasmin enrichissent et relèvent la composition, la fève de tonka apporte la senteur de la pâte d’amande, du foin et du tabac tandis que l’iris agrémente le résultat final d’une note boisée et nostalgique, les notes animales sont là pour la tiédeur charnelle et la vanille, la substance fétiche de Guerlain, pour la sensuelle profondeur de la fragrance. Le mariage est simple mais sent bon. L’objectif de Guerlain a toujours été d’ouvrir des nouvelles voies au délice, plutôt que de provoquer.
L’odeur des rêves: dans la parfumerie, l’usage du contrepoint (juxtaposition de substances contrastées qui agissent les unes sur les autres avec une force égale) donne naissance à une sensation tridimensionnelle qui nous propulse, comme le fait la madeleine de Proust, au beau milieu de nos fantasmes, de nos humeurs et de nos souvenirs. Il permet d’éviter la lassitude, la monotonie. Depuis Jicky, Guerlain considère qu’un parfum réussi est un parfum dont un rêve est à l’origine.
Au-delà de l’ordinaire : le surdosage est probablement la propriété de la Guerlinade qui a valu à Guerlain une réputation de maison « risquée ». Même si le portfolio de Guerlain inclut quelques parfums discrets, la notion d’excès est devenue une règle étroitement liée au contrepoint, dans la mesure où la première ouvre la voie au second. Pour donner un exemple concret : Pour Shalimar, Jacques Guerlain a donné une intensité maximale à la fragrance fraîche et charnelle de Jicky en ajoutant des doses massives de vanille et de citron. Cela frôle l’impolitesse, certes, mais c’est juste équilibré comme il faut pour ne pas faire suffoquer.
Less is more : un parfum Guerlain est l’équivalent d’une peinture à l’huile composée à partir d’une palette réduite, chaque couleur étant appliquée à des motifs simples à l’aide d’un large pinceau. Par la suite, les centaines de petits détails, laborieusement ajoutés et enrichis un par un, laissent éclater le résultat final tout en restant invisibles. « Toujours adhérer à des idées simples et les appliquer scrupuleusement », voilà ce que disait Pierre-François-Pascal Guerlain dès le début.