Après un film d’ouverture qui semble n’avoir pas fait l’unanimité – les échos parlent, au choix d’une oeuvre “ennuyeuse et esthétisante” ou d’une ”adaptation réussie, sublimement filmée” – le festival démarre sur les chapeaux de roues avec pas moins de quatre films présentés en compétition.
En compétition officielle, il y avait Donor, film philippin de Mark Reilly au sujet assez âpre, puisqu’il parle d’une jeune femme tentant de vendre un de ses reins au marché noir pour avoir une chance de quitter le pays et s’installer à Dubaï… Et, dans un autre registre, le film chinois The Old Donkey de Li Ruijun, qui raconte le combat d’un vieux paysan pour garder ses terres, convoitées par des entrepreneurs sans scrupules. Deux oeuvres qui traitent, chacune à leur façon, des problèmes rencontrés par les peuples d’Asie, dans certaines régions du globe.
Je n’ai vu aucun de ces deux films pour le moment. Le premier semble avoir reçu un accueil favorable, tandis que le rythme lent du second et son manque de moyens techniques semblent avoir rebuté pas mal de festivaliers…
En revanche, j’ai vu Sketches of Kaitan City. Une oeuvre qui ne respire pas franchement la joie de vivre puisqu’elle est tirée des nouvelles de Yuasushi Sato, auteur japonais qui a mis fin à ses jours pendant l’écriture de ce recueil… Ce film-fleuve entremêle cinq histoires ayant pour cadre la ville de Kaitan City, au nord du Japon et plus ou moins reliées les unes avec les autres, thématiquement du moins. Il y est question de relations humaines et familiales, de solitude, de conflits sociaux et de perspectives d’avenir, de la lutte entre le Japon traditionnel et la société moderne, avec ce que cela suppose comme mutations économiques et sociales… Et on y oppose également les modifications urbaines à une nature immuable. On y croise un ouvrier dévasté par la fermeture du chantier naval, l’un des principaux pourvoyeurs d’emplois de la ville ; une vieille femme qui refuse de quitter son quartier, destiné à être transformé en zone commerciale ; un employé du planétarium qui ne supporte plus les absences nocturnes de sa femme, hôtesse dans un bar, et la nonchalance de son fils, adolescent rebelle et malpoli; un chef d’entreprise spécialisé dans la livraison de gaz qui se heurte à la crise économique, aux reproches de son père, fondateur de ladite entreprise, et à la folie de sa femme, qui passe ses nerfs sur leur enfant; et enfin un jeune homme qui, de passage dans sa ville natale, refuse de passer saluer ses parents…
Les sujets et les thématiques sont intelligemment entrelacées, mais le film souffre, hélas, de son rythme bien trop lent. Notamment sur la fin, où scénariste et cinéaste ont cru bon d’apporter une résolution à chacune des petites histoires mises en place, peut-être pour ne pas frustrer les spectateurs. Mais le résultat est opposé aux effets escomptés. Ces fins successives plombent le film, qui devient du coup un peu indigeste.
Dommage, car l’ensemble ne manque pas d’intérêt et est interprété de façon convaincante.
J’ai également vu le premier film de la compétition Action Asia, True legend, qui narre l’histoire mythique de Su Can, grand maître des arts martiaux chinois, connu pour avoir inventé la méthode de combat dite “boxe de l’homme ivre”, l’une des plus efficaces du wushu.
Aux commandes de ce film d’arts martiaux classique, une autre légende, du cinéma cette fois : Yuen Woo-ping. Le bonhomme est célèbre pour avoir signé les chorégraphies martiales de films tels que Kill Bill, Tigre & dragon ou Matrix. Des références en la matière… Mais cela ne fait pas de lui un bon cinéaste pour autant. Yuen Woo-Ping multiplie en effet les ralentis et les accélérés, fait virevolter sa caméra dans tous les sens. Bon d’accord, ça a le mérite de bouger un peu, et on ne peut pas dire que l’on s’ennuie au cours des deux heures de film. Mais cette mise en scène saturée d’effets tape-à-l’oeil dessert le film, déjà handicapé par le jeu d’acteur calamiteux de Vincent Zhao, l’acteur principal, et par un script qui vire au grand n’importe quoi.
Cela dit, ce grand n’importe quoi est aussi ce qui rend le film plus fun, plus réjouissant : le méchant numéro un du film tire son pouvoir d’un bain régulier de mygales, scorpions et serpents dont il puise le venin et combat Su Can au-dessus d’une fosse grouillant des fameuses bébêtes ; le méchant numéro deux (David Carradine, dans un de ses derniers rôles) dirige une salle de combat où il fait régner la terreur avec ses sbires, colosses russes aux poings en béton armé. D’où des combats dantesques entre le héros et des montagnes de muscles qui n’ont rien de très engageant…
Clairement, le film ne vaut que pour ces scènes de combat variées (sabres, poignards volants, bâton, kung-fu…) parfaitement orchestrées. Les fans de genre pourront y trouver leur compte, même si l’ensemble n’a rien de foncièrement original.
Cette journée était aussi dédiée à l’hommage à Hong Sang-soo.
Le cinéaste était présent pour recevoir son prix honorifique, remis des mains du président du jury Amos Gitaï. Visiblement ému, il s’est contenté de balbutier quelques remerciements aux organisateurs et au public, avouant ne pas trop savoir quoi dire.
Il est vrai que le style cinématographique du bonhomme est plutôt humble et intimiste, à l’image de Ha ha ha, présenté juste après l’hommage.
Ce film, primé à Un Certain Regard lors du dernier festival de Cannes, correspond à une discussion entre deux vieux copains qui fêtent leurs retrouvailles. Chacun se raconte, à tour de rôle, des anecdotes de leurs séjours respectifs dans la même petite ville. Ils ne se doutent pas que ces petites histoires ont en commun les mêmes protagonistes…
Hong Sang-soo met en scène de jeunes adultes à un moment-clé de leurs existence, devant faire des choix pour leurs carrières et leurs vies privées, montre leurs amours tourmentées et indécises.
Le film présente bon nombre de points communs avec La Femme est l’avenir de l’homme, réalisé en 2004 par le cinéaste coréen, et il était intéressant de le voir ou de le revoir pour constater l’évolution de sa filmographie. Ca tombe bien, le festival l’a projeté en début d’après-midi, en même temps que l’intégrale des oeuvres du réalisateur.
Les deux films reposent sur les mêmes concepts narratifs : de petites histoires entremêlées, correspondant aux points de vue croisés de différents protagonistes amoureux des mêmes femmes et faisant le point sur leurs vies respectives. Ils ont les mêmes qualités – superbes plans fixes cadrés avec un style très particulier, très personnel ; narration très inspirée par la Nouvelle vague française – et les mêmes défauts – un rythme qui s’effiloche quelque peu après une belle entrée en matière.
Et, bien sûr, les thèmes des deux films sont très proches – et sans doute d’inspiration autobiographique. On pourrait penser que Hong Sang-soo tourne en rond, qu’il raconte sans cesse la même histoire. Peut-être, mais il a indéniablement progressé entre ces deux oeuvres. Ha ha ha est un peu moins mécanique dans sa construction, plus tourné vers les personnages, plus vivant. La pointe d’amertume qui alourdissait parfois les oeuvres passées du cinéaste se fait moins manifeste, laissant davantage de place à l’humour et à une pointe d’optimisme salutaire.
Oui, Hong Sang-soo parle toujours des mêmes sujets – le cinéma et la création artistique, les relations hommes-femmes et les triangles amoureux, l’amitié et la rivalité… Mais il fait évoluer sa palette de sentiments et de tonalités pour tendre vers des oeuvres de plus en plus équilibrées, et s’impose définitivement comme le chef de file d’un cinéma d’auteur coréen atypique et très personnel…
Pour boucler la journée, quoi de mieux qu’un petit match de catch ? (Euh, pas du vrai combat, je vous rassure, je ne suis pas masochiste…)
Sorti en 2000, The Foul king est une des oeuvres de jeunesse de Kim Jee-won, l’autre grand cinéaste coréen honoré cette année par le festival. On y fait connaissance avec Im Dae-ho, un employé de banque minable subissant les attaques verbales et physiques de son patron qui n’a de cesse de l’humilier publiquement. Un soir, il tombe par hasard sur une salle d’entrainement de catcheurs professionnels et décide d’y prendre des cours. Au départ, il s’agit juste d’apprendre comment se dégager de l’étranglement que lui impose fréquemment son chef tyrannique, mais très vite, son personnage gaffeur et truqueur séduit les organisateurs de combats de catch. Et le bonhomme est très vite envoyé dans l’arène avec les pros…
Le pitch est simple, mais le résultat est assez irrésistible. Chaque moment d’entraînement, chaque match est un grand moment d’humour burlesque, car les partenaires de Dae-ho sont tout aussi pathétiques que lui. Il faut voir ces loosers se débattre magnifiquement contre des gros boudins de sable, se refiler des beignes pour de faux – ou pour de vrai - et apprendre à utiliser à bon escient les coups les plus tordus (poudre aux yeux, fourchettes, cordes d’étranglement…).
Même si le film subit un petit coup de mou en son coeur, il est mené à un rythme entraînant jusqu’à la scène finale, un combat d’anthologie. Oui, clairement, Randy The Ram et Rocky Balboa peuvent aller se rhabiller, il s’agit d’une des plus belles confrontations de catch jamais vue sur grand écran…
Voilà un petit film sympathique filmé avec beaucoup d’originalité et d’énergie, qui donne furieusement envie de découvrir la dernière oeuvre du bonhomme, J’ai rencontré le Diable. Pas le même registre, bien sûr, puisqu’il s’agit d’un thriller horrifique, mais on peut faire confiance au réalisateur, à sa mise en scène brillante et sa direction d’acteurs parfaite, pour passer avec bonheur de la comédie au polar, en passant par le fantastique…
A demain, donc, pour d’autres chroniques asiatiques…