Un indispensable débat anime le microcosme de la sécurité aérienne.
Il faut, sans cesse, remettre l’ouvrage sur le métier. Avec deux milliards et demi de passagers par an, probablement 15 milliards ŕ l’horizon 2050, la sécurité des routes aériennes constitue une priorité absolue pour l’ensemble des parties concernées. Un credo qui n’est évidemment pas nouveau –heureusement- mais qui pose constamment des problčmes inédits. En France, ils sont tout particuličrement présents dans les esprits, compte tenu du choc et des questionnements nés de la catastrophe du vol AF447, le Rio-Paris qui s’est abîmé dans l’océan le 1er juin 2009.
Voici ce dossier difficile ŕ nouveau sur le devant de la scčne, ŕ l’aube d’une quatričme campagne de recherches de l’épave de l’Airbus A330 que se prépare ŕ mener le BEA. Le prétexte, si besoin est, pour réfléchir ŕ nouveau aux actions ŕ mener pour se rapprocher davantage de l’objectif ultime, une aviation commerciale sans accidents. Les résultats obtenus au fil des décennies, on le sait, sont remarquables mais il n’en est pas moins totalement indispensable de chercher ŕ faire encore mieux, beaucoup mieux. D’autant que l’augmentation du trafic est telle, dans la durée, que sans progrčs nouveaux, ŕ long terme, les statistiques d’accidents risqueraient de devenir tout simplement intolérables.
En cette matičre, il est vain de faire référence ŕ la sacro-sainte opinion publique, ŕ ses capacités de tolérance, au rôle difficile des médias. De męme, s’il y a débat sur la Ťvictimisationť ou encore la Ťjudiciarisationť des accidents, rien ne peut détourner les compagnies aériennes, le contrôle aérien, les avionneurs et leurs partenaires, les organismes officiels, les BEA, d’une maničre de faire qui exclue les moindres concessions. Qui pense quoi, qui dit quoi, peut nourrir une réflexion, souvent utile, mais il s’agit exclusivement de faire bien, de faire mieux.
Plusieurs initiatives récentes retiennent l’attention en cette matičre, ŕ commencer par la mise en œuvre, il y a quelques semaines, d’un rčglement européen sur les enquętes de sécurité qui harmonise normes et pratiques au sein de l’Union européenne. Jean-Paul Troadec, directeur du BEA, est le premier ŕ souligner qu’il s’agit d’un texte équilibré. D’autant qu’il permet de bien définir le rôle de chacun et, bien sűr, de répéter et confirmer que les enquętes ne sont soumises ŕ aucune pression de quelque forme que ce soit. On sait que cette réalité est parfois contestée, qu’elle fait grincer les dents, qu’elle alimente de temps ŕ autre de coupables phantasmes, d’inacceptables théories du complot, sur base d’affirmations jamais fondées, jamais prouvées. Et pour cause.
L’initiative de l’Union européenne est bien reçue. L’Académie de l’air et de l’espace le souligne dans le cadre d’un commentaire qu’elle vient d’émettre aprčs műre réflexion. Elle dit notamment que Ťla confiance que le public et ses représentants auront dans l’indépendance de l’autorité d’enquęte de sécurité et dans sa compétence est un élément essentiel de son efficacitéť. Regardant plus loin, l’Académie appelle de ses vœux la création d’un organisme comparable au National Transportation Safety Board américain, cela tout en sachant que les conditions pour le faire ne sont pas encore réunies.
Reste, on en parle trop peu, la nécessité impérieuse d’ancrer partout oů elle est encore fragile, une véritable culture de la sécurité, plus particuličrement dans les compagnies aériennes elles-męmes. Une maničre de penser et agir qui doit venir du sommet de l’organigramme, dont chacun croit disposer alors que les lacunes subsistent. Sans doute relčvent-elles d’une forme subtile de perte de vigilance, la conviction de bien faire étant réelle au point d’oublier le devoir de procéder réguličrement ŕ un examen de conscience. C’est d’ailleurs le cheminement de pensée, aprčs le traumatisme de l’AF447, qui a conduit Air France ŕ demander ŕ un groupe d’experts reconnus, tous extérieurs ŕ l’entreprise, de jeter un regard critique sur la maničre de faire de la compagnie. Ce travail important, mené sous la conduite de R. Curtis Graeber (ex-Boeing), a décelé des lacunes, des fragilités. Ce document, qui va donner lieu ŕ des initiatives concrčtes, replacé dans son juste contexte, montre ŕ nouveau que la sécurité aérienne repose sur d’innombrables données, tel un puzzle géant.
Chaque pičce doit ętre ŕ sa place, sans tolérer la moindre faiblesse, le plus petit écart, la plus minuscule des distractions. Il n’y a lŕ rien de nouveau si ce n’est qu’il convient de le rappeler, sans cesse, illustration moderne des efforts épuisants, sans cesse recommencés d’un Sisyphe aviateur. Chacun voudrait lui accorder de longues vacances.
Pierre Sparaco - AeroMorning